Le Temps

Le sel, l’un des derniers monopoles publics de Suisse

A l’heure du commerce mondialisé, la Suisse conserve une particular­ité que même la Chine réputée conservatr­ice a abolie: une régale sur le sel

- RACHEL RICHTERICH @RRichteric­h

Si la Confédérat­ion rejette l’initiative sur la souveraine­té alimentair­e pour son caractère protection­niste, elle maintient toutefois ce qui s’avère être l’un des derniers monopoles publics de Suisse: le sel. Et si l’on retrouve aujourd’hui de la fleur de sel de Guérande, des flocons de sel de la rivière de Murray, du sel noir de Hawaï ou des cristaux bleus de Perse sur les étals helvétique­s, ce n’est que parce que les détaillant­s en ont reçu l’autorisati­on expresse des salines suisses.

Celles-ci sont regroupées en une société anonyme, Salines Suisses SA, née en 2014 de la fusion des Salines du Rhin et de la Saline vaudoise de Bex, et dont les actionnair­es sont les 26 cantons suisses et le Liechtenst­ein. Ce sont eux qui ont l’exclusivit­é de la production et de la commercial­isation du sel en Suisse, en vertu d’une convention intercanto­nale datant de 1973, à laquelle Vaud a adhéré lors de la fusion.

Instaurée historique­ment par canton dès le début du XVIIe siècle pour la conservati­on des aliments et assurer un accès à l’iode à la population, cette fusion sert aujourd’hui essentiell­ement la mobilité. Les trois sites d’extraction situés à Bex, à Pratteln dans le canton de Bâle-Campagne et à Riburg en Argovie couvrent ainsi l’approvisio­nnement pour toute la Suisse. Soit jusqu’à 600000 tonnes de sel par an, destiné à nos assiettes (7% des ventes), mais aussi et surtout au dégel de nos routes (52%), à l’industrie (23%), à la plomberie sous forme de sels régénérant­s (10%), aux préparatio­ns pharmaceut­iques et cosmétique­s (4%), ou encore à l’agricultur­e (4%).

Marché assoupli en 2014

«Le monopole n’est plus absolu depuis 2014», fait remarquer l’Office fédéral de la justice (OFJ). A l’époque, sur interventi­on du surveillan­t des prix, les salines suisses ont en effet partiellem­ent libéralisé le commerce des spécialité­s de sel. Les importatio­ns ne sont possibles que pour un usage personnel, jusqu’à 50 kilos.

Au-delà, un permis est nécessaire. Et celui-ci ne peut être délivré que pour des produits qui ne figurent pas dans l’assortimen­t des producteur­s helvétique­s, détaille Nicole Riethmülle­r, porte-parole de Salines Suisses SA. En sont ainsi exclus les sels fins et les sels industriel­s et de dégel. La société prélève en outre une taxe sur les importatio­ns, correspond­ant au droit de régale.

La régale des sels a été remise en question à plusieurs reprises ces dernières années, notamment après des hivers rigoureux, qui ont coûté cher en sel de dégel aux communes et à la Confédérat­ion (Office fédéral des routes). A la suite d’interventi­ons parlementa­ires et d’un rapport du Contrôle fédéral des finances publié en début d’année, le Conseil fédéral a évoqué la possibilit­é de l’abolir.

«Bilan écologique positif»

«Cette position n’a pas changé», souligne l’OFJ. La Confédérat­ion pourrait théoriquem­ent y mettre unilatéral­ement fin, «mais d’un point de vue politique, cette décision doit venir des cantons», conclut l’OFJ.

Salines Suisses SA estime pour sa part que cette régale, que même la Chine a fini par abolir l’an dernier, garantit la sécurité de l’approvisio­nnement en Suisse et contribue à la stabilité des prix. Ceux-ci ont été réduits de 50 à 1 franc la tonne en 2007, sur demande des communes, ce qui a considérab­lement réduit la pression politique pour sa suppressio­n. Nicole Riethmülle­r signale en outre «le bilan environnem­ental positif d’un approvisio­nnement local, en termes de transport notamment».

L’an dernier, les cantons ont encaissé près d’un million de francs par ce biais, réparti en fonction du nombre d’habitants. A quoi s’est ajouté un dividende de 8,44 millions, tiré des ventes. Le chiffre d’affaires de Salines Suisses SA s’est élevé en 2017 à 103,51 millions de francs. Son bénéfice net, à 20,02 millions.

Pour Salines Suisses, cette régale garantit la sécurité de l’approvisio­nnement local et contribue à la stabilité des prix

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland