«Il y a une bienveillance envers l’industrie militaire qui n’existait pas avant»
Géraldine Savary, membre de la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats, réagit à la suite de la publication d’un rapport du Contrôle des finances sur les exportation d’armes
Un rapport du Contrôle fédéral des finances révèle de graves problèmes en lien avec les exportations d’armes: les inspections menées à l’étranger par Berne seraient insuffisantes, l’industrie de l’armement helvétique serait peu contrôlée et des produits interdits à l’exportation finiraient tout de même à l’étranger en court-circuitant les processus administratifs suisses. Membre de la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats et Conseillère aux Etats PS, Géraldine Savary s’exprime sur la situation actuelle.
L’exportation de matériel de guerre profite-t-elle du départ de Didier Burkhalter? La pesée d’intérêts entre les bénéfices économiques de ce secteur et le rôle de la Suisse en tant que gardienne des Conventions de Genève est certainement différente depuis l’arrivée de M. Ignazio Cassis. Il y a une forme de bienveillance par rapport à l’industrie militaire qui n’existait pas avant. De manière plus générale toutefois, cela fait dix ans qu’on assiste à un assouplissement régulier des ordonnances sur le matériel de guerre. En 2009, face à l’initiative «contre l’exportation de matériel de guerre», le Conseil fédéral avait pourtant promis une application stricte des lois en vigueur. Avec une première modification dans le sens de l’industrie en 2014, puis une autre en 2018, on voit que la parole donnée au peuple n’a pas été respectée
Où se trouve l’équilibre entre la conservation du savoir-faire helvétique et le respect des droits de l’homme? Je trouve normal que la Suisse dispose de sa propre industrie militaire et qu’elle cherche à protéger ses savoirs. Une certaine souveraineté est nécessaire pour éviter de dépendre de l’étranger. Mais quand on constate qu’on retrouve des armes suisses dans les mains de Boko Haram, il faut se poser des questions
Une politique d’exportation stricte ne menacerait-elle toutefois pas des emplois en Suisse? C’est un risque. Mais pas non plus une réalité. Je suis tout d’abord persuadée que notre industrie militaire pourrait se concentrer sur d’autres produits à forte valeur ajoutée, dans le domaine de la surveillance notamment. Ensuite, soyons audacieux! Le matériel de guerre ne représente que 0,14% du volume total des exportations. Plutôt que de chercher à développer à tout prix ce secteur, nous pourrions, au contraire, décider de nous en retirer au maximum. Pour privilégier la carte de visite helvétique de défense des Conventions de Genève et notre rôle de médiateur international. L’industrie de l’armement pourrait également se réorienter. Vers le domaine de la protection des données et le combat de la cybercriminalité, par exemple. Cela permettrait de compenser d’éventuelles pertes d’emplois. En outre, il faut désormais plaider pour une vision à long terme, ne pas mentir au peuple et arrêter de changer l’ordonnance sur le matériel de guerre tous les quatre ans
Que proposez-vous pour infléchir la tendance? L’assouplissement de l’ordonnance sur le matériel de guerre n’a de justification ni économique ni politique. Il a, de plus, été prouvé en 2014 que la modification à la baisse des règles en vigueur ne contribue pas pour autant à un accroissement des exportations. Dès lors, l’accueil particulièrement réceptif fait aux doléances de l’industrie de l’armement est problématique par rapport au devoir de prudence que le gouvernement devrait manifester. Le rapport du contrôle fédéral des finances invite d’ailleurs le parlement à plus de distance avec la branche. Nous verrons si, pour faire changer les choses, le lancement d’une nouvelle initiative populaire est nécessaire ou non.
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CONSEILLÈRE AUX ÉTATS (PS/VD) «Je suis persuadée que notre industrie militaire pourrait se concentrer sur d’autres produits à forte valeur ajoutée, dans le domaine de la surveillance notamment»