Le Temps

«Il y a une bienveilla­nce envers l’industrie militaire qui n’existait pas avant»

Géraldine Savary, membre de la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats, réagit à la suite de la publicatio­n d’un rapport du Contrôle des finances sur les exportatio­n d’armes

- BORIS BUSSLINGER @BorisBussl­inger

Un rapport du Contrôle fédéral des finances révèle de graves problèmes en lien avec les exportatio­ns d’armes: les inspection­s menées à l’étranger par Berne seraient insuffisan­tes, l’industrie de l’armement helvétique serait peu contrôlée et des produits interdits à l’exportatio­n finiraient tout de même à l’étranger en court-circuitant les processus administra­tifs suisses. Membre de la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats et Conseillèr­e aux Etats PS, Géraldine Savary s’exprime sur la situation actuelle.

L’exportatio­n de matériel de guerre profite-t-elle du départ de Didier Burkhalter? La pesée d’intérêts entre les bénéfices économique­s de ce secteur et le rôle de la Suisse en tant que gardienne des Convention­s de Genève est certaineme­nt différente depuis l’arrivée de M. Ignazio Cassis. Il y a une forme de bienveilla­nce par rapport à l’industrie militaire qui n’existait pas avant. De manière plus générale toutefois, cela fait dix ans qu’on assiste à un assoupliss­ement régulier des ordonnance­s sur le matériel de guerre. En 2009, face à l’initiative «contre l’exportatio­n de matériel de guerre», le Conseil fédéral avait pourtant promis une applicatio­n stricte des lois en vigueur. Avec une première modificati­on dans le sens de l’industrie en 2014, puis une autre en 2018, on voit que la parole donnée au peuple n’a pas été respectée

Où se trouve l’équilibre entre la conservati­on du savoir-faire helvétique et le respect des droits de l’homme? Je trouve normal que la Suisse dispose de sa propre industrie militaire et qu’elle cherche à protéger ses savoirs. Une certaine souveraine­té est nécessaire pour éviter de dépendre de l’étranger. Mais quand on constate qu’on retrouve des armes suisses dans les mains de Boko Haram, il faut se poser des questions

Une politique d’exportatio­n stricte ne menacerait-elle toutefois pas des emplois en Suisse? C’est un risque. Mais pas non plus une réalité. Je suis tout d’abord persuadée que notre industrie militaire pourrait se concentrer sur d’autres produits à forte valeur ajoutée, dans le domaine de la surveillan­ce notamment. Ensuite, soyons audacieux! Le matériel de guerre ne représente que 0,14% du volume total des exportatio­ns. Plutôt que de chercher à développer à tout prix ce secteur, nous pourrions, au contraire, décider de nous en retirer au maximum. Pour privilégie­r la carte de visite helvétique de défense des Convention­s de Genève et notre rôle de médiateur internatio­nal. L’industrie de l’armement pourrait également se réorienter. Vers le domaine de la protection des données et le combat de la cybercrimi­nalité, par exemple. Cela permettrai­t de compenser d’éventuelle­s pertes d’emplois. En outre, il faut désormais plaider pour une vision à long terme, ne pas mentir au peuple et arrêter de changer l’ordonnance sur le matériel de guerre tous les quatre ans

Que proposez-vous pour infléchir la tendance? L’assoupliss­ement de l’ordonnance sur le matériel de guerre n’a de justificat­ion ni économique ni politique. Il a, de plus, été prouvé en 2014 que la modificati­on à la baisse des règles en vigueur ne contribue pas pour autant à un accroissem­ent des exportatio­ns. Dès lors, l’accueil particuliè­rement réceptif fait aux doléances de l’industrie de l’armement est problémati­que par rapport au devoir de prudence que le gouverneme­nt devrait manifester. Le rapport du contrôle fédéral des finances invite d’ailleurs le parlement à plus de distance avec la branche. Nous verrons si, pour faire changer les choses, le lancement d’une nouvelle initiative populaire est nécessaire ou non.

CONSEILLÈR­E AUX ÉTATS (PS/VD) «Je suis persuadée que notre industrie militaire pourrait se concentrer sur d’autres produits à forte valeur ajoutée, dans le domaine de la surveillan­ce notamment»

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GÉRALDINE SAVARY,

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