Saucissonner l’accord institutionnel avec l’UE?
Le monde politique ne sait plus quoi inventer pour envoyer balader l’Union européenne (UE) sans la fâcher. La dernière idée serait d’empocher avec une contrepartie minimale la concession offerte par l’Union pour débloquer la négociation de l’accord institutionnel. La Suisse et l’UE signeraient un accord sur le règlement des différends autour d’une clause d’arbitrage. En échange, la Suisse promettrait de verser le fameux milliard de la cohésion et de revenir dans cinq ans pour discuter des autres points abordés, si possible avec des solutions. Peut-être dans l’intervalle la partie suisse pourrait-elle même en signe de bonne volonté modifier unilatéralement tel ou tel aspect des mesures d’accompagnement, par exemple la règle des huit jours – qui serait ramenée à quatre jours – et renoncer aux cautions versées par les entreprises pour garantir le paiement d’amendes éventuelles. Elle l’évoquerait à voix basse, mais elle ne saurait s’y engager formellement. Il s’agirait à tout prix d’éviter la rupture, de parler tout au plus d’interruption… La question qui domine cette fin d’été est de savoir s’il faut avoir davantage peur des réactions de l’UE en cas d’échec des pourparlers ou de celles de l’UDC en cas de succès. Lamentable!
Depuis que l’Union syndicale et Travail suisse ont mis leur veto à l’assouplissement des mesures d’accompagnement, la poursuite des négociations avec l’UE est menacée: l’Union veut que la Suisse se rapproche du système de protection des salaires en vigueur dans l’Union, de manière à harmoniser les règles du marché du travail. La pratique suisse en matière de contrôle des travailleurs temporaires comporte des exigences jugées par l’UE chicanières et contraires à la libre circulation des personnes. Le différend à ce sujet est à l’origine de la demande de l’UE de négocier un accord institutionnel. Faute d’avoir préparé le terrain assez tôt et assez habilement, les négociateurs suisses sont aujourd’hui freinés dans leur élan. Le front intérieur ne suit pas, ni dans ce secteur ni dans celui des aides d’Etat, l’un et l’autre thèmes de revendication pourtant anciens de l’UE. La relance des négociations annoncée en mars 2018 ne correspondait pas à une position consolidée de toutes les parties prenantes du pays.
Dans une négociation internationale du type de celle qui s’est engagée avec Bruxelles depuis le 22 mai 2014, rien n’est agréé tant que tous les points en discussion ne sont pas réglés. L’accord partiel des plénipotentiaires sur l’arbitrage n’existe que dans le contexte d’ensemble de la négociation. En cas d’échec, chacun reprend ses billes et rien n’est acquis. La proposition de Jean-Claude Juncker, président de la Commission, d’insérer une clause d’arbitrage dans le mécanisme de règlement des différends – avancée lors de sa visite à Berne le 23 novembre 2017 – avait pour objectif de faciliter la solution des autres points en suspens. C’était un compromis par rapport à la position initiale de l’Union.
Maintenant, la Suisse voudrait s’en contenter, incapable d’aller plus loin. Elle ne peut que chercher à limiter les dégâts. Mais l’UE aurat-elle intérêt à se prêter à une solution partielle qui n’engloberait même pas le marché du travail? Une simple déclaration d’intention ne saurait lui suffire: quelle garantie peut-on lui donner que, dans cinq ans, la Suisse sera prête à franchir le pas auquel elle se refuse aujourd’hui? Y aura-t-il en 2023 plus de pression de la part de l’économie privée en vue d’un accord? Ou plus de difficultés sur le marché européen au point qu’un accord avec l’UE sera devenu inévitable et peut-être même urgent? L’UE sera-t-elle toujours intéressée à un accord institutionnel sui generis avec la Suisse après l’expérience désastreuse de la négociation de 2014 à 2018 et après avoir digéré le Brexit?
Le renvoi des pourparlers à d’hypothétiques jours meilleurs comporte autant de risques que la démarche courageuse qui consisterait à les conclure dès maintenant par un accord d’ensemble.
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