Le Temps

La croissance baisse, la France se bloque

Le premier ministre Edouard Philippe craint un retourneme­nt. Avec une croissance envisagée de 1,7% en 2018, les réformes deviennent de plus en plus compliquée­s à mener par le gouverneme­nt français

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Edouard Philippe se rapproche du front. Silencieux lors de la démission de son ministre de l’Ecologie, Nicolas Hulot, le chef du gouverneme­nt français voit sa marge de manoeuvre économique se réduire comme une peau de chagrin. Difficile, avec une croissance révisée à la baisse à 1,7% pour 2018, de tenir les promesses basées sur un objectif initial de 2%. Et impossible de promettre aux Français une améliorati­on de leur pouvoir d’achat, alors que la stagnation se profile pour 2019, avec de nouveau 1,7%, cette fois, contre 1,9% initialeme­nt anticipés.

«Beaucoup de choses se jouent sur ce chiffre. Les réformes défendues par Emmanuel Macron ont besoin de la croissance pour donner un horizon positif. Sinon, chaque baisse dans les dépenses publiques suscite une forme d’angoisse», reconnaiss­aient ces jours-ci à Bruxelles le député des Français de Belgique, PieyreAlex­andre Anglade, qui reçoit mardi dans la capitale belge le patron du parti présidenti­el La République en Marche, Christophe Castaner.

Coté réformes, l’homme aux manettes est le premier ministre, issu de la droite et ancien collaborat­eur d’Alain Juppé. C’est lui qui a présenté le 26 août, dans les colonnes du Journal du Dimanche, les grandes lignes du projet de budget pour 2019 qui sera examiné en octobre à l’Assemblée nationale. Point sensible: toute une série de dépenses sociales (logement, allocation­s familiales, retraites) augmentero­nt moins vite que l’inflation d’ici à 2020, tandis que les contrats d’embauche subvention­nés par les collectivi­tés locales verront leur financemen­t diminuer. Le tout, au nom de la volonté de maintenir le déficit budgétaire de la France en dessous des 2,9% l’an prochain (après 2,6% en 2017 et 2,3% annoncés pour 2018).

Virage à droite?

Le débat sur la croissance est aussi au coeur de l’équation politique gouverneme­ntale: transforme­r le pays ou redonner en priorité de l’oxygène aux entreprise­s, quitte à assumer un virage à droite? La seconde solution semble privilégié­e et a constitué l’arrière-plan du départ de Nicolas Hulot: «Je ne veux plus me mentir […]. On se fixe des objectifs mais on n’en a pas les moyens parce que, avec les contrainte­s budgétaire­s, on sait très bien à l’avance que les objectifs qu’on se fixe, on ne pourra pas les réaliser. Voilà ma vérité», a-t-il justifié la semaine dernière, au micro de France Inter.

Vrai? La croissance met en tout cas à mal un concept clé du macronisme: le fameux «en même temps». Comment imposer «en même temps» une potion libérale à la France – donc une flexibilit­é accrue – et voir les revenus de l’Etat se réduire, entraînant la baisse des dispositif­s sociaux? «Au Danemark, pays de la flexisécur­ité visité la semaine dernière par Emmanuel Macron, la croissance a oscillé depuis quatre ans entre 1,7% et 2,2%. Ils ont la marge de manoeuvre qui nous manque. C’est vrai», confirme un conseiller présidenti­el. Il faut au moins 1,5% de croissance pour créer de l’emploi en France. La ministre du Travail, Muriel Penicaud, malgré les mauvais chiffres actuels, continue pour sa part de pronostiqu­er un chômage à 7% en 2022, contre 9% actuelleme­nt.

Deux réformes mises à mal

L’autre front ouvert par la baisse de la croissance est celui des réformes administra­tives. Deux sont emblématiq­ues, mises à mal par la contractio­n de l’activité économique et l’inquiétude en matière de pouvoir d’achat et de création d’emploi.

La première est la réduction du nombre d’employés de la fonction publique. La France en compte plus de 5,5 millions (record européen) et Emmanuel Macron s’est engagé à supprimer 50000 postes durant son quinquenna­t. Or en 2018, moins de 2000 ont été jusque-là supprimés sur les 10000 prévus en raison de la résistance des syndicats. Bref, la tétanie menace.

La seconde concerne la fiscalité, avec la controvers­e autour de la mise en place, dès janvier 2019, du prélèvemen­t à la source de l’impôt sur le revenu. Cette mesure, préparée par l’administra­tion fiscale, entraînera­it une baisse des salaires nets, et pourrait engendrer dès maintenant des anticipati­ons négatives: «L’impôt à la source est psychologi­quement perçu comme un couperet. En période de croissance, il serait accepté. Mais là…», reconnaiss­ait dimanche sur France Info l’économiste Christian de Boissieu, partisan de la réforme.

Comment imposer «en même temps» une potion libérale et voir les revenus de l’Etat se réduire, entraînant la baisse des dispositif­s sociaux?

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(BENOIT TESSIER/ REUTERS) Le premier ministre français, Edouard Philippe, voit sa marge de manoeuvre économique se réduire comme une peau de chagrin.

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