L’obsolescence programmée n’est pas une fatalité
Deux sentiments opposés se mêlent à l’issue de la lecture du livre Du jetable au durable – En finir avec l’obsolescence programmée. Il y a d’abord l’envie de céder au fatalisme face aux subtiles stratégies des fabricants – que ce soit d’électronique, d’électroménager ou de textile – pour réduire la vie de leurs produits. Il y a ensuite l’envie d’explorer plus profondément les pistes, détaillées avec précision dans l’ouvrage, pour combattre ce fléau.
Les deux auteurs de cet ouvrage de 160 pages, sorti en 2017 et toujours terriblement actuel, sont des acteurs engagés: Laetitia Vasseur et Samuel Sauvage. Tous deux ont fondé l’association française Halte à l’obsolescence programmée (HOP), et Samuel Sauvage en est aujourd’hui le président. Le mal est partout, rappellent-ils. Il y a bien sûr ces smartphones conçus pour être réparés le moins possible – et, même quand ils le sont, ils sont désactivés par leur fabricant, comme l’avait fait Apple pour les iPhone 6 et 6S, dont le bouton central avait été changé. Il y a aussi ces téléviseurs, dont le condenseur est souvent sous-dimensionné ou placé trop près d’une source de chaleur. Ou ces lave-linge conçus pour ne laver que 2000 à 2500 fois.
La forme la plus pernicieuse d’obsolescence programmée est sans nul doute celle liée aux logiciels: certains programmes et applications ne tournent que sur les téléphones ou ordinateurs de dernière génération, accélérant le cycle de renouvellement – les auteurs parlent ainsi d’une durée de vie de neuf mois des smartphones en région parisienne…
Mais il y a des pistes pour tenter de sortir de ces pièges. Certains fabricants misent sur le durable pour promouvoir leurs produits. C’est le cas du britannique Dyson, du fabricant autrichien de textiles Wolford ou du fabricant néerlandais de smartphones équitables Fairphone. Mais dans le secteur de la technologie, reconnaissent les auteurs, difficile de percer avec une telle stratégie. L’économie collaborative, sur le modèle d’Airbnb ou de Blablacar, pourrait offrir une aide. Mais il n’est pas certain qu’elle permette, au final, de freiner la frénésie d’achat des appareils dernier cri.
Autre piste: la réparation, tout simplement. En France, le groupe Seb devrait mettre en ligne des vidéos pour expliquer comment réparer certains appareils. En Suisse, Migros fournit sur son site un vaste catalogue de pièces détachées. Un peu partout, les ateliers de réparation fleurissent, tout particulièrement pour les smartphones. Même si leurs tarifs frisent parfois l’indécence, on peut espérer que leur multiplication fera baisser rapidement les prix des réparations. A noter que Le Temps organise, ce samedi, un «Repair Café» à Lausanne. Dans le même esprit, les boutiques de reconditionnement des produits sont elles aussi un bon moyen de lutter contre obsolescence programmée. Si un consommateur n’a pas besoin d’un smartphone dernier cri, pourquoi ne pas débourser 150 francs pour s’en offrir un, d’occasion et en parfait état, qui est sorti sur le marché il y a trois ans?
La France pionnière
Derrière ces pistes se trouve toujours le consommateur: à lui d’agir de manière responsable, de ne pas se jeter frénétiquement sur les appareils les plus récents. L’ouvrage l’esquisse, et nous en sommes convaincus: le consommateur a aussi besoin de l’aide de l’Etat pour faire face aux stratégies parfois machiavéliques des fabricants.
Et sur ce point, force est de constater que la France est à la pointe au niveau européen. Le pays possède, depuis 2015, une loi qui permet de poursuivre et de condamner les entreprises qui réduisent «délibérément la durée de vie d’un produit» pour «en augmenter le taux de remplacement». Cet arsenal juridique a déjà permis d’attaquer plusieurs concepteurs de produits high-tech. Et Paris veut aller plus loin encore. Au mois de juillet dernier, le gouvernement décidait de créer, à partir du 1er janvier 2020, un «indice de réparabilité» qui devra être attribué à chaque produit. Celui-ci se verra attribuer une note de un à dix, une manière de faire pression sur les fabricants et d’aider les consommateurs. Rappelons qu’en Suisse, malgré les demandes des associations de défense des consommateurs, aucune législation de ce type n’existe.
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