Le Temps

Le Brésil pleure la perte d’un de ses plus beaux joyaux

- CHANTAL RAYES, SÃO PAULO @RayesChant­al

Le Musée national de Rio de Janeiro a été la proie, dimanche, d’un incendie spectacula­ire qui a anéanti l’essentiel de ses collection­s. Une tragédie qui illustre les failles d’un Etat acquis à l’austérité et peu enclin à faire face à son passé

Deux siècles d'histoire partis en fumée. Une collection inestimabl­e, presqu'entièremen­t détruite par l'incendie qui a ravagé, dimanche soir, le Musée national de Rio de Janeiro, joyau culturel et scientifiq­ue du Brésil. Dans un pays à la dérive, en proie à une interminab­le crise politique, économique et morale, «cette tragédie est comme un suicide national, écrit Bernardo Mello Franco, éditoriali­ste au journal O Globo. Un pays meurt quand il détruit sa propre histoire».

«Dans un Brésil qui semble ne pas avoir de mémoire, ou du moins qui en fait peu de cas, une telle catastroph­e sonne comme une terrible métaphore», renchérit le politologu­e Claudio Couto sur sa page Facebook. A un mois de la présidenti­elle du 7 octobre, c'est en effet un nostalgiqu­e de la dictature militaire (1964-1985), le candidat d'extrême droite Jair Bolsonaro, qui est en tête des sondages.

Non conforme aux normes

Cet incendie aux causes encore inconnues est aussi le symbole de la déchéance de Rio, un Etat en faillite à cause de la corruption et du recul de la manne pétrolière. Ce n'est qu'à l'aube que les pompiers l'ont finalement maîtrisé. Il a fallu attendre l'arrivée de camions citerne, les bouches d'incendie du plus ancien musée du Brésil ne fonctionna­nt pas. L'édifice historique qui l'accueille, le palais impérial de Saint-Christophe, n'était pas aux normes en termes de sécurité contre les incendies.

Que restera-t-il de ses murs? La défense civile ne s'est pas encore prononcée. Autrefois résidence de la cour portugaise, fuyant l'invasion du Portugal par Napoléon, en 1807, puis de la famille impériale brésilienn­e, le palais fut le témoin de grands moments de l'histoire du pays. C'est là que l'Indépendan­ce a été signée en 1822; là aussi que s'est tenue l'assemblée constituan­te de la République, entre 1890 et 1891.

Collection colossale

Depuis 1818, l'imposante bâtisse néoclassiq­ue, posée dans le parc de Boa Vista, dans le nord de Rio, abrite ce qui est devenu, outre une institutio­n scientifiq­ue de renom, le plus grand musée d'histoire naturelle et anthropolo­gique d'Amérique latine. Ses trois étages abritaient pas moins de vingt millions de pièces de géologie, botanique, paléontolo­gie, zoologie et archéologi­e, la cinquième collection la plus importante au monde. Il y avait là fossiles, minéraux et artefacts gréco-romains. Le plus ancien squelette humain des Amériques, celui de Luzia, une femme qui aurait vécu dans ce qui est aujourd'hui l'Etat du Minas Gerais, il y a plus de onze mille ans. La plus grande collection égyptienne d'Amérique latine: statues, stèles, tombeaux, momies... Sept cents pièces au total.

«L'essentiel des collection­s, des exposition­s et des laboratoir­es a été détruit», écrit la Folha de São Paulo. Seule aurait été sauvée la collection d'invertébré­s, située dans une annexe, ainsi que Bendegó, un météorite de cinq tonnes, l'un des plus grands au monde. «Une perte irrécupéra­ble pour la recherche scientifiq­ue mondiale», regrette l'ancien directeur du musée, Sergio Kunland de Azevedo. Tandis que la Fédération nationale des architecte­s et urbanistes fustige «l'état d'abandon des collection­s nationales, comme d'une bonne part des projets culturels et sociaux du pays».

Cette catastroph­e «aurait certaineme­nt pu être évitée», a reconnu le ministre de la Culture Sergio Sá Leitão. Salles fermées, fils électrique­s exposés, murs écaillés: depuis des années, les signes de dégradatio­n du Musée national de Rio étaient visibles. Son directeur adjoint, Luiz Fernando Dias Duarte, dénonce la «négligence» des gouverneme­nts successifs. «Maintenant, tout le monde se dit solidaire, mais nous rencontron­s d'énormes difficulté­s pour obtenir les budgets nécessaire­s», a-t-il déclaré sur la chaîne GloboNews. En cause, la crise économique sans précédent et les politiques d'ajustement. Déjà, sous Dilma Rousseff, le musée national de Rio avait dû fermer ses portes en 2015, n'ayant alors même plus de quoi payer le personnel.

Les politicien­s cloués au pilori

Arrivé au pouvoir après la destitutio­n controvers­ée de la présidente déchue, Michel Temer a encore durci l'austérité. Cette année, le budget du musée a été amputé de... 85%, tombant à un peu plus de douze millions de francs. Elle-même en crise, l'Université fédérale de Rio de Janeiro, dont dépend la vénérable institutio­n, ne parvient plus à lui remettre que 60% de sa contributi­on annuelle, dont le montant s'élève à quelque 120 mille francs.

Pour son bicentenai­re, célébré en juin, pas un ministre n'a fait le déplacemen­t. Aucun président n'a foulé son sol depuis Juscelino Kubitschek (1956-1961). «Ici, on ne se souvient des musées que lorsqu'ils prennent feu ou quand ils montrent des exposition­s qui dérangent ceux qui n'y ont jamais mis les pieds», flingue, dans un tweet, le journalist­e Antero Greco, en faisant allusion à la nouvelle droite conservatr­ice, sorte de Tea party tropical, qui s'est imposée ces dernières années dans le débat culturel au Brésil.

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(RICARDO MORAES/REUTERS) Le Musée national de Rio était le plus grand musée d’histoire naturelle et anthropolo­gique d’Amérique latine.

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