Le Temps

Le jeu risqué du Conseil fédéral

- STÉPHANE BUSSARD t @StephaneBu­ssard

La Suisse sape son image en tant que puissance active dans la promotion de la paix

L’événement est plutôt rare. Peter Maurer, président du CICR, souvent en osmose avec Berne, s’exprime publiqueme­nt contre une décision de la Confédérat­ion. Samedi, l’ancien diplomate a tiré la sonnette d’alarme. Motif: la Commission de politique de sécurité du Conseil des Etats, après celle du National, vient de laisser le champ libre au Conseil fédéral pour aller de l’avant avec sa décision d’assouplir les exportatio­ns d’armes. Si elle est entérinée, cette décision va affaiblir la réputation, la crédibilit­é et la fiabilité de la Suisse, déplore Peter Maurer.

Il n’est pas le seul à juger cette décision dangereuse. Le changement législatif semble mineur en apparence, mais il serait un saut considérab­le dans l’inconnu. Alors que Didier Burkhalter y était réfractair­e, son successeur au Conseil fédéral Ignazio Cassis y est favorable. La Suisse neutre pourrait ainsi livrer des armes à des pays en guerre. Même le très conservate­ur président du PDC Gerhard Pfister estime que le gouverneme­nt va trop loin.

La justificat­ion du Conseil fédéral a le mérite de la clarté. La base technologi­que et industriel­le de l’industrie suisse d’armement serait en danger, à en croire ses représenta­nts, en raison d’une concurrenc­e internatio­nale «féroce» dans le secteur. Selon eux, il y va de la crédibilit­é de la politique de sécurité du pays. Le gouverneme­nt n’a pas peur de mettre dans la balance un secteur qui représente 0,14% des exportatio­ns helvétique­s et l’image de la Suisse comme pays oeuvrant pour la paix.

Or le poids géopolitiq­ue de la Suisse, c’est avant tout son soft power. Son influence morale, immatériel­le. En assoupliss­ant de la sorte l’exportatio­n de matériel de guerre, le Conseil fédéral prend le risque de saper la force de la diplomatie helvétique: sa politique axée sur l’humanitair­e et les droits de l’homme, l’investisse­ment qu’elle opère à Genève, qu’elle voit comme le centre mondial du désarmemen­t, et enfin sa capacité d’influence au sein de l’ONU, alimentée par un savoir-faire et un dynamisme reconnus.

Le phrasé du gouverneme­nt, qui précise qu’il a toujours été restrictif en la matière, nourrit un flou qui ouvre la porte à tous les dérapages. Les exportatio­ns d’armes seront autorisées «s’il n’y a aucune raison de penser que le matériel de guerre à exporter sera utilisé dans un conflit armé interne». Le CICR, lui, n’a pas de doute. Un tel matériel finit un jour ou l’autre dans les mains des belligéran­ts. On se rappellera les livraisons de canons de DCA d’Oerlikon-Bührle destinées à l’Ethiopie qui finiront au Nigeria durant la guerre du Biafra. Ou les grenades de Ruag vendues aux Emirats arabes unis et qui se retrouvent aujourd’hui dans le nord de la Syrie.

La Suisse ne pourra pas indéfinime­nt jouer sur l’ambiguïté. Les signaux contradict­oires qu’elle émet, tant sur les exportatio­ns d’armes convention­nelles que sur les armes nucléaires, risquent de se payer cher en termes d’image.

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