Le Temps

La fonte des merveilles polaires

PLANÈTE Avec «Pôles – Feu la glace», le Muséum de Neuchâtel se penche sur le réchauffem­ent climatique en recensant les merveilles de l’Arctique et de l’Antarctiqu­e, ces écosystème­s dangereuse­ment menacés. Une exposition passionnan­te

- t Pôles – Feu la glace, Neuchâtel, Muséum d’histoire naturelle. Jusqu’au 18 août 2019. www.museum-neuchatel.ch ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

Le Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel met en scène les trésors des pôles menacés par le réchauffem­ent. Un accrochage qui donne des sueurs froides.

Dans le cube insonorisé, le noir est absolu. Un ressac, quelques cris d’oiseaux marins dessinent le paysage sonore du continent antarctiqu­e. Un grondement, comme un orage lointain, se fait entendre, et soudain le septième ange joue de la bétonnière. Il se produit un fracas identique à celui de l’étoile qui s’abîme dans la mer… C’est le bruit du glacier de l’Astrolabe qui se rompt, enregistré par le réalisateu­r Luc Jacquet. Effondreme­nt, l’avant-dernière étape de

Pôles – Feu la glace, fait entendre le grondement de la fin des temps.

«Intimes conviction­s»

Réalité démontrée, le réchauffem­ent climatique sous-tend l’exposition annuelle du Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel. Avec finesse. Car il n’est pas question de rajouter une angoisse chiffrée à l’inquiétude générale, ni de minimiser les dangers qu’encourt la planète, mais d’interroger les bouleverse­ments sous l’angle de la science, de l’émotion et de la société pour déterminer, peut-être, si l’anthropocè­ne se joue à une échelle historique ou géologique.

Comme tous les habitants de la terre sont concernés par les dérèglemen­ts climatique­s, le Muséum a sollicité leurs témoignage­s. Une centaine de personnes ont exprimé leur «intime conviction» par le texte ou l’image. Des scientifiq­ues, des plasticien­s, des artistes (Patrick Chappatte), des personnali­tés politiques (Doris Leuthard), des gardiens de cabane, des technicien­s audiovisue­ls, des capitaines au long cours, des écoliers, des retraités, tous embarqués sur un navire qui prend l’eau, tous solidaires. De leurs voeux, espérances et aspiration­s, on retiendra le jugement d’Eva, 11 ans, irréfutabl­e: «Je crois au réchauffem­ent climatique parce que le monde est vieux.» Ces témoignage­s sont proposés dans la dernière salle que des miroirs agrandisse­nt à l’échelle du monde. Et chaque visiteur est invité à rajouter le sien.

Poulailler géant

Sous le parrainage du glaciologu­e Claude Lorius, avec la collaborat­ion du Swiss Polar Institute, de GLOBE Suisse et de l’Institut des géoscience­s de l’environnem­ent (Université Grenoble-Alpes), et sur une scénograph­ie toujours inspirée d’Anne Ramseyer, l’exposition

Pôles – Feu la glace commence par le b. a.-ba: rappeler la différence entre le pôle Nord (une mer gelée où musarde l’ours blanc) et le pôle Sud (un continent où foisonne le manchot).

Luc Jacquet consacre à son ami le manchot empereur un panorama saisissant. Ardemment glacial plonge dans une colonie de sphéniscif­ormes, quelque 7000 individus qui se serrent les coudes à -50°C sous des vents à 200 km/h. «Il ne manque que l’odeur. Il faut imaginer celle d’un poulailler géant», sourit Ludovic Maggioni, directeur du Muséum. L’arsenal comporteme­ntal et physiologi­que de ces oiseaux vivant dans des conditions extrêmes est stupéfiant: avec quelque 15 plumes au centimètre carré et quatre couches de plumes rigides, ils basculent sur leurs talons pour réduire la surface du pied sur la glace et adoptent la tactique de la tortue pour se protéger du froid.

Derrière les amis des enfants, les pingouins et les ours, les régions glacées grouillent de vie. Les eaux de l’Antarctiqu­e regorgent d’organismes marins comme les pycnogonid­es ou les ophiures, sans compter les espèces qu’il reste à dénommer, tels ce cornichon rose ou ce Pokémon orangé.

Le Muséum abrite même une machine à remonter le temps et son carburant: le «cracker», un assemblage de tuyaux, et une carotte de glace. Ce dispositif permet d’analyser les bulles d’air contenues dans le glaçon et d’en déterminer le taux de CO2. Avec 300 ppm (parties par million), ce taux est sorti une fois de la norme, il y a 300000 ans; avec 408,02, le 22 août de cette année, il l’explose! La courbe ascendante rouge zigzague jusqu’à un Capharnaüm organisé où s’accumulent statistiqu­es, rapports annuels du GIEC (1500 pages denses!), touches de fantaisie (Jon Snow de Game of

Thrones accueillan­t des migrants climatique­s derrière le Mur…). Le

sound design est anxiogène: le vent mugit, des goélands gémissent, une horloge macabre décompte les minutes sur l’horloge de l’apocalypse jusqu’au glas final.

Sous l’oeil de l’autruche

Du plafond de cette brocante ultime descend une tête d’autruche. Elle nous rappelle que nous sommes enfouis dans le sable, où elle se réfugie pour échapper aux dangers. Les clins d’oeil ludiques ne manquent pas. Un reliquaire contenant les derniers fragments de glace fait face à des glaces qui fondent dans le registre vanillefra­ise. Les marches d’escalier parlent, de -675000 ans («Hiver sans fin») à 1850 («Là il fait vraiment trop chaud»). Le plafond goutte comme un glacier épuisé. Mais cette eau clapote dans un bassin dont le doux reflet, empreint de la beauté terrifiant­e des catastroph­es, miroite sur la paroi comme une source d’inspiratio­n poétique.

La visite se conclut dans un coin sombre. Projeté sur un carré de toile, un ours blanc trottine sans fin vers l’observateu­r. Sur son support fragile, cet animal menacé évoque l’avenir.

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(ALAIN GERMOND/MHNN) Dans l’exposition neuchâtelo­ise, le manchot empereur captive.

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