L’étude choc d’Avenir Suisse
Le laboratoire d’idées Avenir Suisse affirme que l’actuelle politique agricole fait complètement faillite et coûte pas moins de 20 milliards de francs par an. L’Union suisse des paysans crie à la provocation
C'est un dépliant qui résume tout. D'un côté, la face solaire de l'agriculture: on y voit une Suisse idyllique avec ses fermes cossues, ses champs bien soignés et son bétail en stabulation libre. De l'autre côté, sa face d'ombre avec le même paysage sur lequel Avenir Suisse a érigé une forêt de chiffres des coûts économiques et sociaux «colossaux» qu'occasionne l'agriculture. Selon le laboratoire d'idées, celle-ci génère chaque heure une moins-value de 1,8 million de francs.
Le comble dans ce tableau très sombre que dresse Avenir Suisse, c’est que le paysan est loin de profiter de la généreuse manne étatique
Ainsi, la politique agricole coûterait au total 20 milliards de francs par an! A deux semaines de la votation sur deux initiatives agricoles, le laboratoire d’idées Avenir Suisse lâche une véritable bombe. Il publie une étude en forme de réquisitoire impitoyable envers la politique agricole actuelle. Le constat est cruel: alors que cette politique est l’une des plus chères du monde, elle ne fait même pas le bonheur des agriculteurs.
Jusqu’ici, tout le monde s’accordait à penser que la politique agricole coûtait environ 4 milliards de francs. En réalité, c’est cinq fois plus, affirme le laboratoire d’idées. Il faut y ajouter 4 milliards supportés par les consommateurs en raison des barrières douanières, ainsi que 3 milliards au détriment des entreprises, car le dossier agricole bloque la conclusion d’accords de libreéchange. Ce n’est pas fini: l’agriculture cause indirectement des dégâts à l’environnement pour 7 milliards. Total de la facture: près de 20 milliards.
La jungle législative
Telle est la thèse d’Avenir Suisse. Bien sûr, elle est on ne peut plus provocatrice pour le monde agricole. Mais le laboratoire d’idées, comme toujours dans ses études, commence par produire des chiffres pour susciter le débat. D’entrée, il dénonce l’usine à gaz qu’est cette politique: elle fait l’objet de deux articles constitutionnels, d’une dizaine de lois et de 120 ordon- nances. Soit 4000 pages de prescriptions législatives!
Actuellement, 150000 personnes travaillent encore dans le secteur primaire, qui génère 0,7% du PIB. «C’est peu pour ce que cela coûte», se dit le citadin-consommateur-contribuable, confronté à un prix des denrées alimentaires d’en moyenne 78% supérieur à celui qui prévaut dans les pays de l’UE. Un protectionnisme qui ferait perdre 1000 francs par an à chaque ménage.
Selon Avenir Suisse, la politique actuelle fait complètement faillite. En vingt ans, les dépenses de la Confédération ont grimpé de 47000 à 70000 francs par exploitation. Mais celles-ci continuent de disparaître: il n’en reste plus que 51000. Qui, de plus, s’endettent toujours davantage: le taux d’endettement par hectare est passé de 26000 à 31000 francs.
Le comble dans ce tableau très sombre que dresse Avenir Suisse, c’est que le paysan est loin de profiter de la généreuse manne étatique. «Les agriculteurs sont instrumentalisés et servent d'appât dans les flux financiers de cette politique», note l'un des auteurs de l'étude, Patrick Dümmler. Ici, le laboratoire d’idées se montre très critique envers trois entreprises. En amont de la filière, Fenaco, qui fournit les intrants aux agriculteurs. Avec ses 10 000 collaborateurs, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 6,3 milliards en 2017. Ces dernières années, elle a renforcé sa position sur le marché suisse.
Sur le banc des accusés figurent également Coop et Migros et leurs filières de transformation Bell et Micarna. Malgré l’apparition des discounters allemands Aldi et Lidl, ces géants oranges n’ont pas baissé leurs prix et ont, eux aussi, consolidé leur position dans le commerce de détail.
Que faire alors? Avenir Suisse propose une stratégie à l’horizon 2030 pour moderniser cette politique. Celle-ci passerait par une réduction de la protection douanière, l’abolition des subventions préservant les structures, une réforme de l’indemnisation par les paiements directs et une simplification de l’actuelle jungle législative. De telles mesures permettraient de maintenir 85% de la production actuelle. Et le paysan deviendrait un véritable entrepreneur. «Il ne s'agit pas de sacrifier les paysans. Le secteur du fromage montre qu'une libéralisation a conduit à une hausse des
«C’est un pamphlet contre l’agriculture», a confié le directeur de l’Union suisse des paysans (USP), Jacques Bourgeois.
exportations vers l'UE», insiste pour sa part Noémie Roten, co-auteure de l'étude.
«Un pamphlet et une provocation»
Inutile de dire que cette étude a provoqué la colère des paysans. «C’est un pamphlet contre l’agriculture, une provocation de plus de la part d’Avenir Suisse», a confié le directeur de l’Union suisse des paysans (USP) Jacques Bourgeois. «Ce chiffre de 20 milliards est complètement irréaliste. De manière générale, Avenir Suisse fait fi de l’environnement économique, soit un îlot de cherté, dans lequel nous nous trouvons», déplore Jacques Bourgeois.
Quant à l'Association suisse pour un secteur agroalimentaire fort (Assaf), elle a déploré cette vision «empreinte du dogmatisme du libre-échange agricole». «Avenir Suisse se disqualifie en ne montrant aucun intérêt pour les 600'000 emplois et les 86 milliards de chiffre d'affaires que génère le secteur agroalimentaire».
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