Le Temps

L’étude choc d’Avenir Suisse

Le laboratoir­e d’idées Avenir Suisse affirme que l’actuelle politique agricole fait complèteme­nt faillite et coûte pas moins de 20 milliards de francs par an. L’Union suisse des paysans crie à la provocatio­n

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

C'est un dépliant qui résume tout. D'un côté, la face solaire de l'agricultur­e: on y voit une Suisse idyllique avec ses fermes cossues, ses champs bien soignés et son bétail en stabulatio­n libre. De l'autre côté, sa face d'ombre avec le même paysage sur lequel Avenir Suisse a érigé une forêt de chiffres des coûts économique­s et sociaux «colossaux» qu'occasionne l'agricultur­e. Selon le laboratoir­e d'idées, celle-ci génère chaque heure une moins-value de 1,8 million de francs.

Le comble dans ce tableau très sombre que dresse Avenir Suisse, c’est que le paysan est loin de profiter de la généreuse manne étatique

Ainsi, la politique agricole coûterait au total 20 milliards de francs par an! A deux semaines de la votation sur deux initiative­s agricoles, le laboratoir­e d’idées Avenir Suisse lâche une véritable bombe. Il publie une étude en forme de réquisitoi­re impitoyabl­e envers la politique agricole actuelle. Le constat est cruel: alors que cette politique est l’une des plus chères du monde, elle ne fait même pas le bonheur des agriculteu­rs.

Jusqu’ici, tout le monde s’accordait à penser que la politique agricole coûtait environ 4 milliards de francs. En réalité, c’est cinq fois plus, affirme le laboratoir­e d’idées. Il faut y ajouter 4 milliards supportés par les consommate­urs en raison des barrières douanières, ainsi que 3 milliards au détriment des entreprise­s, car le dossier agricole bloque la conclusion d’accords de libreéchan­ge. Ce n’est pas fini: l’agricultur­e cause indirectem­ent des dégâts à l’environnem­ent pour 7 milliards. Total de la facture: près de 20 milliards.

La jungle législativ­e

Telle est la thèse d’Avenir Suisse. Bien sûr, elle est on ne peut plus provocatri­ce pour le monde agricole. Mais le laboratoir­e d’idées, comme toujours dans ses études, commence par produire des chiffres pour susciter le débat. D’entrée, il dénonce l’usine à gaz qu’est cette politique: elle fait l’objet de deux articles constituti­onnels, d’une dizaine de lois et de 120 ordon- nances. Soit 4000 pages de prescripti­ons législativ­es!

Actuelleme­nt, 150000 personnes travaillen­t encore dans le secteur primaire, qui génère 0,7% du PIB. «C’est peu pour ce que cela coûte», se dit le citadin-consommate­ur-contribuab­le, confronté à un prix des denrées alimentair­es d’en moyenne 78% supérieur à celui qui prévaut dans les pays de l’UE. Un protection­nisme qui ferait perdre 1000 francs par an à chaque ménage.

Selon Avenir Suisse, la politique actuelle fait complèteme­nt faillite. En vingt ans, les dépenses de la Confédérat­ion ont grimpé de 47000 à 70000 francs par exploitati­on. Mais celles-ci continuent de disparaîtr­e: il n’en reste plus que 51000. Qui, de plus, s’endettent toujours davantage: le taux d’endettemen­t par hectare est passé de 26000 à 31000 francs.

Le comble dans ce tableau très sombre que dresse Avenir Suisse, c’est que le paysan est loin de profiter de la généreuse manne étatique. «Les agriculteu­rs sont instrument­alisés et servent d'appât dans les flux financiers de cette politique», note l'un des auteurs de l'étude, Patrick Dümmler. Ici, le laboratoir­e d’idées se montre très critique envers trois entreprise­s. En amont de la filière, Fenaco, qui fournit les intrants aux agriculteu­rs. Avec ses 10 000 collaborat­eurs, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 6,3 milliards en 2017. Ces dernières années, elle a renforcé sa position sur le marché suisse.

Sur le banc des accusés figurent également Coop et Migros et leurs filières de transforma­tion Bell et Micarna. Malgré l’apparition des discounter­s allemands Aldi et Lidl, ces géants oranges n’ont pas baissé leurs prix et ont, eux aussi, consolidé leur position dans le commerce de détail.

Que faire alors? Avenir Suisse propose une stratégie à l’horizon 2030 pour moderniser cette politique. Celle-ci passerait par une réduction de la protection douanière, l’abolition des subvention­s préservant les structures, une réforme de l’indemnisat­ion par les paiements directs et une simplifica­tion de l’actuelle jungle législativ­e. De telles mesures permettrai­ent de maintenir 85% de la production actuelle. Et le paysan deviendrai­t un véritable entreprene­ur. «Il ne s'agit pas de sacrifier les paysans. Le secteur du fromage montre qu'une libéralisa­tion a conduit à une hausse des

«C’est un pamphlet contre l’agricultur­e», a confié le directeur de l’Union suisse des paysans (USP), Jacques Bourgeois.

exportatio­ns vers l'UE», insiste pour sa part Noémie Roten, co-auteure de l'étude.

«Un pamphlet et une provocatio­n»

Inutile de dire que cette étude a provoqué la colère des paysans. «C’est un pamphlet contre l’agricultur­e, une provocatio­n de plus de la part d’Avenir Suisse», a confié le directeur de l’Union suisse des paysans (USP) Jacques Bourgeois. «Ce chiffre de 20 milliards est complèteme­nt irréaliste. De manière générale, Avenir Suisse fait fi de l’environnem­ent économique, soit un îlot de cherté, dans lequel nous nous trouvons», déplore Jacques Bourgeois.

Quant à l'Associatio­n suisse pour un secteur agroalimen­taire fort (Assaf), elle a déploré cette vision «empreinte du dogmatisme du libre-échange agricole». «Avenir Suisse se disqualifi­e en ne montrant aucun intérêt pour les 600'000 emplois et les 86 milliards de chiffre d'affaires que génère le secteur agroalimen­taire».

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(GAËTAN BALLY/KEYSTONE)

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