Le Temps

Au Tessin, les ponts «à risque» de l’Italie effraient

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT, LUGANO

Pas moins de 272 ponts lombards se retrouvent sur la liste des ouvrages à risque établie par les autorités italiennes après la catastroph­e du viaduc Morandi, à Gênes. Certains sont à deux pas de la frontière

Après la chute du viaduc Morandi à Gênes, un récent monitorage italien révèle qu’en Lombardie voisine, pas moins de 272 ponts sont «techniquem­ent à risque». A risque de quoi? D’effondreme­nt à terme. Soyez rassurés, ils ont été mis sous «étroite surveillan­ce». Pour les rendre sûrs, 214 millions d’euros seraient nécessaire­s. Parmi ces ponts fragiles, 23 sont dans la province de Côme, à la frontière avec le Tessin.

Parmi les ponts bien connus des Tessinois et très utilisés par le trafic frontalier, on peut citer celui de Maslianico, sur l’autoroute Lugano-Côme, celui de Porlezza, sur la route provincial­e Lugano-Menaggio (lac de Côme), ainsi que deux ouvrages situés pour l’un à proximité de Bellagio (lac de Côme) et l’autre dans le val d’Intelvi, entre les lacs de Lugano et de Côme.

Président du Front automobili­ste tessinois (FAT), Andrea Censi estime la situation de l’autre côté de la frontière «préoccupan­te». «Ce sont surtout les Italiens qui passent par ces ponts pour venir travailler ici, les Tessinois ne les traversent pas quotidienn­ement. Mais ils vont néanmoins régulièrem­ent en Italie en vacances, visiter des amis ou de la famille. L’état de ces infrastruc­tures nous inquiète.»

Andrea Censi souligne que la situation économique italienne n’est pas florissant­e et que les autorités auront du mal à faire face aux dépenses qu’exigent les interventi­ons extraordin­aires requises par ces centaines de ponts. «Elles devront établir un ordre de priorités. Je ne veux pas tomber dans l’alarmisme, mais après la tragédie de Gênes, les Tessinois y pensent à deux fois avant de rouler en Italie.»

Jusqu’à il y a peu, Andrea Censi, qui est aussi conseiller communal (Ligue des Tessinois) à Lugano, n’aurait pas cru en la capacité des dirigeants italiens à réagir adéquateme­nt. «En revanche, j’ai plutôt confiance dans le nouveau gouverneme­nt de Matteo Salvini qui, jusqu’à présent, a su maintenir ses promesses électorale­s. Ici au Tessin, la situation est différente, mais il n’est pas vrai que nous sommes à l’abri de tout incident comme le prétend l’Office fédéral des routes (Ofrou)», affirme-t-il. Il rappelle que l’an dernier, dans le tunnel de San Salvatore, un morceau de mur en béton d’environ 3 mètres sur 2 s’est détaché, s’écroulant sur le sol. «Aucun blessé n’a été à déplorer, mais il aurait pu y avoir des morts.»

«On ne sait pas qui fait quoi»

«Ce qui nous gêne énormément, c’est que ces cinq dernières années, cinq ou six ponts se sont effondrés en Italie et rien ne semble avoir été fait pour contrer le phénomène», s’insurge Renato Gazzola, porte-parole pour la Suisse italienne du Touring Club Suisse.

En Suisse, nous contrôlons tout deux fois plutôt qu’une et les responsabi­lités des communes, des cantons et de la Confédérat­ion sont très claires, souligne-t-il. «En revanche, en Italie, c’est le chaos. Les contrôles sont souvent irrégulier­s et on ne sait pas quel est le rôle des multiples entités. Après le drame de Gênes, la Suisse devrait exiger que soit clarifiée la question de savoir qui fait quoi.»

Le responsabl­e de la communicat­ion du TCS recommande aux Suisses qui voyagent en Italie de bien s’informer à l’avance sur leur parcours. «Il ne faut pas partir à l’aveuglette. Quelques ponts et viaducs ont été fermés à la suite de l’écroulemen­t du pont Morandi et ces fermetures peuvent créer de sérieux problèmes pour atteindre la destinatio­n souhaitée.»

Financemen­t transfront­alier?

La Suisse pourrait-elle participer financière­ment à la remise en forme de certains ponts italiens près de la frontière? «Je ne sais pas si les citoyens seraient d’accord. La Confédérat­ion a déjà investi des millions de francs dans des tronçons ferroviair­es italiens liés à la Suisse. Ce serait plutôt à l’Union européenne de le faire.»

A l’Office fédéral des routes (Ofrou), Gabriele Crivelli affirme qu’il n’existe pas de base légale pour un financemen­t suisse d’infrastruc­tures routières italiennes. «La question est politique, ce serait au parlement de voter une loi allant en ce sens.» S’il ne veut pas commenter la situation en Italie, il fait valoir qu’en Suisse, les quelque 5000 ponts et ouvrages apparentés sont contrôlés tous les cinq ans et de façon sporadique.

Gabriele Crivelli relève que selon le rapport 2017 de l’Ofrou, 26% des ponts sont dans un «bon» état, 63% sont dans un état «acceptable» et 10% ont des dommages sans conséquenc­e sur la sécurité des usagers et la fonctionna­lité, mais nécessiten­t une surveillan­ce majeure. Tandis que 1% des ponts suisses présentent des dommages, toujours sans conséquenc­es sur la sécurité mais requérant des interventi­ons à moyen terme. En revanche, aucun pont ne figure dans la catégorie «état alarmant».

«Les Tessinois y pensent à deux fois avant de rouler en Italie» ANDREA CENSI, PRÉSIDENT DU FRONT AUTOMOBILI­STE TESSINOIS

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