Le Temps

«Parfois, oui, il faut faire grève»

MATHIAS REYNARD Parlementa­ire depuis ses 24 ans, le conseiller national socialiste valaisan est candidat à la présidence de la faîtière des syndicats, l’USS. Il explique son combat pour la défense des travailleu­rs et des minorités silencieus­es

- PROPOS RECUEILLIS PAR BORIS BUSSLINGER @BorisBussl­inger

Vous étiez en vacances à Cuba cet été. Etait-ce pour profiter de la plage ou par admiration pour le Lider maximo? Je vais régulièrem­ent en Amérique latine, j’essaie de partir une année sur deux. Je laisse mon téléphone et mon ordinateur derrière moi, j’ai un billet aller, un billet retour, pas plus. Le téléphone portable est une véritable addiction, profession­nelle mais aussi personnell­e, les réseaux sociaux, les amis… On ne se retrouve plus avec soi-même, avec les gens. Quand je pars comme ça, sac au dos, c’est le seul moment de l’année où je peux vraiment déconnecte­r. C’est important pour mon équilibre, j’en reviens ressourcé. Et quand j’ai besoin de contacter quelqu’un, il y a par chance encore des cabines téléphoniq­ues en Amérique latine. A l’ancienne!

Pourquoi cette passion pour l’Amérique du Sud? C’est un continent fascinant, dont j’aime la culture et la langue. L’histoire politique y est également passionnan­te, toujours en mouvement. Nous sommes très centrés sur l’Europe et les Etats-Unis et on regarde peu ce qui se fait là-bas, alors que certains modèles sont très intéressan­ts. Prenez la Bolivie, avec l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales, un indigène cultivateu­r de coca, et l’impact que ça a eu sur la préservati­on de la culture amérindien­ne. Ou encore le mouvement des sans-terre au Brésil. Je suis toujours impression­né par le niveau d’engagement des Sud-Américains, ça parle tout le temps politique!

En parlant d’engagement politique, qu’avez-vous pensé du départ du ministre français de la Transition écologique, Nicolas Hulot? Ce qu’il a dit m’a inspiré. Sa position était intenable depuis longtemps au sein de ce gouverneme­nt, qui mène une politique écologique uniquement basée sur les symboles. Incarner la défense de l’environnem­ent tout en devant assumer des décisions qui ne correspond­ent pas à ses valeurs est très difficile. Son départ montre qu’une politique libérale est inconcilia­ble avec l’écologie. Mais en France, comme en Suisse, les lobbys économique­s sont très forts, et ils iront jusqu’au bout tant que personne ne se dressera face à eux.

Qu’en est-il de l’action suisse en matière de protection de l’environnem­ent? La Suisse n’est pas le plus mauvais élève. Dans le domaine des émissions de camions en transit, par exemple, beaucoup d’investisse­ments ont été faits dans le rail pour protéger les Alpes. Avec désormais une pression sur la manière de les rentabilis­er. Malgré cela, nous devons sans cesse nous battre pour que les objectifs fixés par l’Initiative des Alpes soient respectés. Ce qui n’est pas le cas pour le moment. En ce qui concerne l'Accord de Paris sur le climat, c’est la même chose. Il faut toujours lutter. Et certaines choses sont incompréhe­nsibles. Comme le comporteme­nt du secteur de l’aviation, par exemple, dont le puissant lobby refuse d’agir alors que des mesures simples, comme une taxe minime sur chaque billet d’avion, pourraient aider à contrebala­ncer les émissions d’un vol.

Vous êtes également très engagé pour la cause féministe et la défense des droits LGBT. Pourquoi ce combat en particulie­r? J’ai commencé la politique en tant que syndicalis­te. Les classes moyennes sont actuelleme­nt tirées vers le bas, leur pouvoir d’achat est en baisse et le fossé se creuse. Je me bats pour que les richesses soient mieux réparties, pour le droit au repos, pour un salaire décent. C’est la base de mon engagement. Toutefois, j’ai par la suite été interpellé au parlement par des personnes victimes d’autres formes de discrimina­tion. Que ce soit de par la couleur de leur peau, leur orientatio­n sexuelle, leur genre, ils se retrouvent tous dans la même situation. Mon rôle est d’être le porte-parole de ceux qu’on n'entend jamais, qui n’ont pas de représenta­nt sous la Coupole. C’est la convergenc­e des luttes.

Le parlement serait-il prêt à accueillir une personne transgenre? Bonne question. Le parlement n’est pas vraiment à l’image de la société. Le sénateur type est un homme, blanc, conservate­ur, qui a la soixantain­e. Les jeunes y sont sous-représenté­s, les femmes aussi. Ne parlons même pas des minorités. La sous-représenta­tion des régions périphériq­ues est également importante, ainsi que celle de certaines catégories socioprofe­ssionnelle­s. Il n’y a par exemple presque aucun salarié.

Comme vous-même? Oui, mais je n’enseigne qu’à 35%, le jour où j’ai une famille ce ne sera plus possible. Il n’y a pas non plus d’ouvrier au parlement, ni de personne précarisée. Cela a pour conséquenc­e que le discours des perdants de la mondialisa­tion et de la numérisati­on est inaudible. Le problème tient au système actuelleme­nt en place, qui n’est certaineme­nt pas celui d’un parlement de milice. Le temps de travail d’un parlementa­ire est proche de 100%, ce qui ne laisse que peu de temps à côté. Il faudrait des aides pour permettre aux ouvriers d’accéder aux Chambres.

Qui vous a politisé? Mes parents m’ont peu sensibilis­é à la chose. J’ai bien eu un grand-père et un grand-oncle conseiller­s communaux PDC. Mais aucun socialiste dans la famille. Ma politisati­on s’est faite avant tout au gymnase, par l’intermédia­ire d’un ami, dont je suis le témoin de mariage. Lui-même est UDC et affilié à Ecône, ce qui a donné lieu à beaucoup de débats. Je me suis alors rendu compte que mes valeurs étaient totalement contraires aux

siennes, ce qui a développé ma sensibilit­é politique. Avec une mère infirmière et un père petit entreprene­ur, c’est avant tout le respect du travail qui m’a mobilisé. Celui qui est couvert de poussière n’a pas moins de valeur qu’un cravaté. Je ne me retrouve d’ailleurs souvent pas dans la classe sociale des parlementa­ires. Tous partis confondus, d’ailleurs. J’ai toujours dû travailler pour gagner mon argent et il y a plein de choses que je ne sais pas. Lors de certaines réceptions, je me suis ainsi retrouvé dans un autre monde. Qui s’assied en premier, quelle fourchette utiliser d’abord, comment s’exprimer, j’ai fait des dizaines de gaffes! Au début, je singeais les autres mais j’ai décidé de ne plus le faire. Je sais quel est mon milieu et je ne le changerai pas. Prétendre ne sert à rien.

Comment votre engagement est-il

perçu à Savièse? Je sens beaucoup de soutien. C’est très important pour moi car je regarde toujours avec attention le résultat que je fais ici. Je suis très attaché à ma commune et je me considère comme Valaisan avant d’être Suisse et Saviésan avant d’être Valaisan. J’adore ce coin de pays. C’est ici que je me sens bien, que je travaille, que je sors, que j’ai ma famille, mes amis et ma vigne. L’attachemen­t aux traditions n’est pas de gauche ou de droite. Je m’engage personnell­ement pour la défense du patois, mes parents font partie de la société de costumes de la commune et je défile à la Fête-Dieu. Cela n’a rien à voir avec la politique. Savoir d’où on vient n’empêche pas d’être ouvert. Je vois d’ailleurs peu d’UDC dans ces milieux traditionn­els.

Comment vivez-vous la notoriété?

C’est un équilibre à trouver. Quand on se bat sur un dossier, il est clair qu’une couverture médiatique est appréciabl­e, mais il faut trouver le juste milieu entre montrer ce qu’on fait et garder de l’humilité. De ce que j’entends, je crois que j’y arrive plutôt bien. Je pense que c’est avant tout grâce à des moments en famille, avec des amis ou encore en pratiquant le hockey. Quand je joue, je ne suis pas parlementa­ire. Seulement un joueur parmi d’autres, qui se fait gueuler dessus comme tout le monde. Le collectif est plus important que mon destin personnel, en sport comme en politique. Mon mandat parlementa­ire est lui aussi éphémère.

Se mettre au service du collectif, c’est une des missions de l’USS, dont vous êtes candidat à la présidence. Quelle orientatio­n aimeriez-vous

donner à ce paquebot? Avant tout, j’aimerais dire que j’ai été très honoré de figurer sur la liste des candidats à la présidence de l’USS puisque ce sont eux qui m’ont contacté. Si je devais être élu, trois choses sont à mon avis fondamenta­les: tout d’abord, l’USS doit revalorise­r l’importance d’un syndicat. Bien des secteurs en sont dépourvus et il faut leur montrer pourquoi nous sommes plus forts collective­ment. Ensuite, j’aimerais aborder le problème de l’automatisa­tion, qui menace près de 50% des emplois actuels. Il est primordial de s’interroger rapidement sur les possibilit­és de reconversi­on profession­nelle existantes. Les syndicats doivent en outre également être présents pour lutter contre l’ubérisatio­n de l’économie ou encore sur la problémati­que des stages à répétition. Finalement, j’aimerais me pencher sur la souffrance au travail. Non seulement physique, mais également psychique. L’augmentati­on du stress, le mobbing, le harcèlemen­t ou encore le burnout, qui n’est toujours pas reconnu comme une maladie profession­nelle. En nous intéressan­t à ces problèmes, nous pourrions toucher les travailleu­rs de tous types de revenus et de secteurs qui pensent qu’ils n’ont pas besoin de nous mais à qui il faudrait aussi un congé paternité, plus de crèches ou encore une meilleure conciliati­on travail-famille. Le combat syndical, c’est la vie de tous les jours. Il n’est pas normal que travailler soit une souffrance.

Pour défendre leurs acquis, les syndicats doivent-ils parfois remettre

en cause la paix du travail? Oui. Des fois il faut faire grève. Quand le patronat veut remettre en question les retraites anticipées des maçons alors, oui, il faut faire grève. Quand les inégalités salariales s’élèvent à 20% entre hommes et femmes, oui, il faut faire grève. Il est souvent possible de rester pragmatiqu­e, de discuter. Cela doit être privilégié. Mais parfois il est nécessaire de taper du poing sur la table. La politique suisse est toujours faite au service de la classe dominante. Ça ne va pas.

D’aucuns disent que vous êtes trop jeune pour le poste. Votre âge a-t-il représenté plutôt un avantage ou un inconvénie­nt depuis votre entrée

en politique? C’est plutôt un inconvénie­nt d’être jeune. Ou d’être une femme. Le pire étant d’être une jeune femme. Certes, il existe une certaine sympathie envers les jeunes, mais il faut quand même bosser le double pour prouver sa crédibilit­é. Il est toutefois primordial d’avoir des représenta­nts des dernières génération­s au parlement pour relayer des problémati­ques que ne vivent plus certains politicien­s plus âgés. La conciliati­on travail-études, le prix du permis de conduire, les stages non payés… Je me souviens d’une discussion en commission lors de laquelle un collègue a déclaré que les jeunes qui sortaient des études universita­ires trouvaient tous du travail avec un bon salaire dès la fin de leurs études. Ça n’a strictemen­t rien à voir avec la réalité du terrain!

A quand un socialiste romand au

Conseil d’Etat valaisan? Ça n’est jamais arrivé, effectivem­ent! Pour le moment, mon travail à Berne me plaît énormément et je serai sûrement candidat à ma réélection l’année prochaine. Mais on ne sait jamais. Il faut voir.

 ??  ??
 ??  ??
 ?? (DR) ?? Manifestat­ion syndicale d’Unia en faveur des conditions de travail des maçons, le 23 juin dernier à Zurich.
(DR) Manifestat­ion syndicale d’Unia en faveur des conditions de travail des maçons, le 23 juin dernier à Zurich.
 ?? (DR) ?? Lors du match Suisse-Brésil, avec des amis et sa famille brésilienn­e.
(DR) Lors du match Suisse-Brésil, avec des amis et sa famille brésilienn­e.
 ?? (DR) ?? Avec le président de la Confédérat­ion, Alain Berset, lors des festivités du1er Mai à Sion en 2018.
(DR) Avec le président de la Confédérat­ion, Alain Berset, lors des festivités du1er Mai à Sion en 2018.
 ?? (CHRISTIAN HOFMANN/LE NOUVELLIST­E) ?? Lors du discours d’ouverture de la législatur­e, en 2011, comme benjamin du parlement fédéral.
(CHRISTIAN HOFMANN/LE NOUVELLIST­E) Lors du discours d’ouverture de la législatur­e, en 2011, comme benjamin du parlement fédéral.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland