A Bâle, l’auto, c’est de l’art
LUXE Le nouveau salon Grand Basel dédié aux mécaniques d’exception présente 100 voitures considérées comme des chefs-d’oeuvre. Et dont un quart sont à vendre
«Ce n’est pas un salon de l’auto supplémentaire.» Mark Backé insiste. Le directeur de Grand Basel ne veut pas que sa foire soit prise pour ce qu’elle n’est pas. C’est-à-dire pour une exposition muséale de voitures anciennes ou une brocante de oldtimers. Reste à savoir ce qu’est vraiment cet événement fraîchement débarqué dans le giron de MHC Group, propriétaire d’Art Basel et de Baselworld, et qui ouvre ses portes jusqu’à dimanche.
Ce car show tout nouveau est né il y a deux ans dans la tête de Paolo Tumminelli, professeur d’études culturelles à l’Université de Cologne, critique de design et président du comité de Grand Basel. Avec cette idée qu’une voiture, par son design et son architecture, peut aussi être considérée comme une oeuvre d’art. Il a ensuite fallu réunir 100 machines qui répondent à ces critères pointus. Des raretés qui pèsent en tout 300 millions de dollars mais dont la plupart sont entre des mains privées qui ne veulent pas s’en séparer. «Un quart des voitures exposées sont à vendre», précise toutefois Paolo Tumminelli. Ce qui ne pèsera pas forcément lourd dans la comptabilité d’une manifestation pour laquelle ses initiateurs devront quand même rendre des comptes. Mais MHC Group y croit. Il a été déjà décidé que Grand Basel voyagera à Miami en février 2019.
«Nous voulons montrer qu’un secteur aussi industriel que l’automobile peut aussi véhiculer de la création et de la culture», reprend le professeur. Sylvie Fleury abonde dans ce sens. «Pour moi, c’est surtout quelque chose qui est de l’ordre du rêve», explique l’artiste genevoise, membre du comité de la foire, dont on sait le goût pour les conduites américaines. Comme cette Lincoln Continental de 1963, la dernière voiture de Pablo Picasso qu’elle a choisi d’exposer dans un cadre rose accompagné d’une de ses immenses dents de requin en bronze argenté.
Bolide électrique
Des américaines, Grand Basel en expose peu. Il y a des anglaises (Aston Martin, Rolls-Royce, Jaguar), des allemandes (BMW, Mercedes, Porsche), des françaises (Citroën DS, Delahaye), une suissesse (Monteverdi Hai 450 GTS de 1970) et beaucoup d’italiennes, dont une Pagani Huayra 100% fibre de carbone. Et une série d’ISO Rivolta des années 1960 dessinées par Giorgetto Giugiaro, sans doute le plus célèbre de tous les designers automobiles.
Depuis l’âge de 17 ans, le Turinois a passé sa vie à concevoir des voitures. D’où un palmarès impressionnant qui couvre le spectre complet de la production mécanique mondiale, un éventail qui va de la petite citadine qui se faufile partout (la Fiat Panda, la VW Golf) aux bolides inaccessibles (la Maserati Ghibli Spyder et quelques Bugatti). En 2018, pour son 80e anniversaire, il s’est offert sa propre limousine. Particularité de cette pièce unique baptisée GBG Style Sibylla? Elle est électrique. Reste que la voiture préférée du designer fait un bruit qui donne des frissons aux collectionneurs. C’est une Ferrari 250 GT SWB Coupé jaune Pikachu, le monstre personnel d’Enzo Ferrari qui, bien sûr, n’est pas à vendre.
Ecrins monumentaux et sublimes
«Pour la scénographie, nous nous sommes inspirés des galeries d’Art Basel», reprend Mark Backé. «Il fallait trouver un dispositif qui mette en valeur les objets sans que rien autour ne vienne les perturber.» Au deuxième étage de la halle d’exposition, la mise en scène consiste en une succession de frames, cadres monumentaux extrêmement réussis qui servent d’écrins et qui subliment chaque pièce. Pour les informations, par contre, il faut se reporter à l’application de la foire. Sur place, elles sont minimalistes. Le pedigree se limite au nom de l’auto et à sa date de création. Histoire de coller avec le concept de départ qui veut que le visiteur n’admire pas une machine, mais une oeuvre d’art avec juste son titre et l’année de sa réalisation. Mais pas son auteur.
La seule qui mette vraiment son designer en valeur se trouve à l’entrée. En 1953, l’architecte et designer milanais Gio Ponti imagine une voiture spacieuse et lumineuse avec un profil en forme de pierre précieuse censé lui assurer un maximum d’aérodynamisme. Il la baptise Linea Diamante, la dessine jusque dans les moindres détails et la propose à Fiat, qui renvoie le designer à sa table à dessin. Hormis des maquettes au dixième, la voiture restera une chimère. Soixante-cinq ans plus tard, Grand Basel montre à quoi elle aurait dû ressembler: une voiture pratique et moderne, couleur bleu ciel et qui ressemble à un jouet trop en avance sur son temps.
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Les véhicules exposés pèsent 300 millions de dollars. La plupart sont entre des mains privées qui ne veulent pas s’en séparer