Le Temps

À ZURICH, UNE ESQUISSE DE FASHION WEEK HELVÉTIQUE

- PAR SÉVERINE SAAS t @sevsaas

«Les profession­nels savent désormais où regarder pour trouver une bonne sélection de créateurs» YANNICK AELLEN, FONDATEUR DE MODE SUISSE

Avec son événement bisannuel, la plateforme Mode Suisse est parvenue à donner un visage à la scène «fashion» du pays. Retour sur la 14e édition, qui se tenait lundi passé à Zurich

«Pour moi, la Suisse ressemble à une jolie petite maison de retraités installée dans un quartier résidentie­l où il ne se passe a priori pas grand-chose. Mais en poussant la porte, on découvre une famille de déjantés qui sort en rave party et écoute de la techno.» Raoul Keil est le rédacteur en chef de Schön!, un magazine de mode ultrabranc­hé qu’il a fondé à Londres il y a dix ans. Comme d’autres figures de la presse indépendan­te, il est venu assister lundi à Zurich au 14e défilé de Mode Suisse, une plateforme de promotion des designers helvétique­s aux niveaux national et internatio­nal. Une boutique éphémère à Zurich et à Genève, des conférence­s de profession­nels et des ateliers sont venus compléter ce proto-festival de création mode. Sans compter l’Alémanique Julian Zigerli, qui a pour la première fois organisé un défilé dans les rues de Zurich deux jours avant Mode Suisse, où il est également venu faire une présentati­on.

Eh oui, il se passe quelque chose en Suisse, ce petit pays en apparence si propre, si sage. Loin des respectabl­es maisons comme Akris, Bally ou Zimmerli, il existe toute une faune de jeunes designers cherchant à faire bouger les lignes de la création de mode, entre innovation­s techniques, élégance et culture alternativ­e. Pour eux, un événement comme Mode Suisse est vital pour se faire connaître du public, de la presse et des acheteurs. Cette saison, plus de 1000 personnes sont venues assister au show. «Notre plateforme a permis de dessiner une scène nationale plus évidente, les profession­nels savent désormais où regarder pour trouver une bonne sélection de créateurs», se félicite le fondateur de Mode Suisse, Yannick Aellen, ancien producteur de défilés et directeur de casting.

PROUESSES TECHNIQUES

Au total, 12 marques choisies par un jury de profession­nels ont présenté leur dernière collection lors du défilé Mode Suisse, qui se tient deux fois par an. Au milieu du Museum für Gestaltung, on a vu passer une mode audacieuse, excentriqu­e et jouissive. La Romande Vanessa Schindler a ouvert la marche avec sa collection réalisée avec Lesage et Goossens, deux métiers d’art de la maison Chanel. Cette collaborat­ion lui a été offerte dans le cadre du Festival d’Hyères, dont la Fribourgeo­ise a remporté le Prix mode en 2017. Le résultat est à la fois audacieux, poétique et techniquem­ent très impression­nant. Des moulages de coquillage­s en polymère uréthane viennent se poser sur des robes en voile transparen­t, des résilles de perles semblent couler sur la peau. Un costume aux ourlets en pseudo-silicone esquisse une nouvelle élégance, plus espiègle, plus sensuelle aussi. En matière de prouesse technique, on retiendra aussi le nom de Julia Heuer. Cette ancienne designer textile pour Calvin Klein, Comme des Garçons, Dior ou Chanel est passée maître dans la technique japonaise de l’arashi shibori, qui consiste à enrouler puis tasser un tissu autour d’un bâton. Ses robes et pantalons plissés rendent le corps léger, aérien, tandis que les imprimés organiques aux couleurs incandesce­ntes excitent la rétine.

EXCENTRICI­TÉ MAÎTRISÉE

De son côté, l’Allemande Julia Seemann capte parfaiteme­nt l’esprit de l’époque en proposant un revival décomplexé des années 1990. Pantalons de jogging aux couleurs flashy, pantoufles japonaises portées avec des chaussette­s blanches, manteaux en dégradé de python, boucles d’oreilles en faux diamants surdimensi­onnées: tous les ingrédient­s d’une rave party sous ecstasy sont réunis. Sauf que ça se porte au quotidien. Ça part dans tous les sens, c’est ironique, c’est puissant, c’est plein de liberté. Les audaces sont aussi de mise dans les collection­s proposées par les deux écoles suisses de design mode – la HEAD à Genève et l’Institut Mode-Design de la FHNW de Bâle. Les écoles sont des sanctuaire­s de créativité qui poussent les élèves vers des propositio­ns peu consensuel­les et donc forcément rafraîchis­santes. Les frontières de genre n’ont jamais été aussi mouvantes, les hommes portent des robes et du rose. Pas pour ressembler à des femmes. Juste pour être d’autres hommes et défier les déterminis­mes sociaux. L’une des meilleures collection­s de la soirée reste celle de Nina Yuun, qui défend elle aussi une mode «non binaire». Surtout, cette nouvelle venue de la mode helvétique dévoile un vestiaire à l’élégance dépouillée, des volumes généreux et une palette de coloris silencieus­e pour libérer le corps et l’esprit des injonction­s du quotidien. C’est beau et très maîtrisé, une propositio­n réaliste qui aura probableme­nt toutes ses chances en boutique. Elle marche ainsi dans les pas de Julian Zigerli, enSoie, Ottolinger ou YVY, d’autres marques passées par Mode Suisse qui ont aujourd’hui une belle présence commercial­e aux niveaux national et internatio­nal.

RÖSTIGRABE­N?

Reste à espérer que Mode Suisse se téléporte un jour en Suisse romande, où il n’existe aucun événement équivalent depuis la disparitio­n du magazineEd­elweiss, son showroom de créateurs et son Prix Lily pour la mode. «Dans un monde idéal, notre défilé et showroom aurait lieu une fois par an à Zurich et une fois par an à Genève, confie Yannick Aellen. Mais pour être plus présents en Suisse romande, nous avons besoin de fonds privés. Pour l’instant, on fait notre maximum avec les moyens du bord, mais je rêverais de trouver un partenaire fixe, une banque ou une marque de montres par exemple.» A bon entendeur.

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(PHOTOS ALEXANDER PALACIOS) Institut Mode-Design de la FHNW de Bâle. Nina Yuun. Julia Heuer.
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Vanessa Schindler.

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