CHANGINS, PÉPINIÈRE DE TALENTS
Fils de vignerons célèbres, Louis Trapet et Pierre-Emile Humbrecht ont choisi la Suisse pour étudier la viticulture et l’oenologie avant de retourner travailler au domaine familial. Rencontre
Avec leurs longues silhouettes et leurs rires sonores, impossible de les rater. Dans les couloirs de l’Ecole d’ingénieurs de Changins, près de Nyon, l’Alsacien Pierre-Emile Humbrecht et le Bourguignon Louis Trapet font la paire. Une complicité nourrie de nombreux points communs: ils sont tous deux fils de vignerons célèbres convertis de longue date à la biodynamie. Ils ont décidé de faire leurs études de viticulture et d’oenologie en Suisse. Colocataires à Gex, ils finiront tous deux leur cursus le 11 septembre avec la présentation de leur travail de bachelor. «On a beaucoup aimé étudier ici, mais il est temps de passer à autre chose», précise le premier avec appétit.
Leur choix ne constitue pas un cas particulier. Depuis une dizaine d’années, Changins rencontre un succès croissant auprès des étudiants étrangers, français en particulier. Dans certaines volées, ils représentent jusqu’à la moitié de l’effectif. Un afflux qui s’explique avant tout par le profil de la formation: les trois années d’études marient viticulture et oenologie, alors que le cursus hexagonal est beaucoup plus spécialisé – il faut choisir entre «viti» et «oeno».
CHANGER D’AIR
Louis Trapet a été le premier à opter pour la Suisse, avant même de s’inscrire à Changins. «J’ai fait un stage d’oenologie d’un mois au domaine La Colombe, à Féchy, quand j’étais en BTS. Mes parents connaissent son propriétaire, Raymond Paccot, depuis de nombreuses années. Ils faisaient partie du même petit groupe de vignerons passés en biodynamie.» Il s’est ensuite inscrit à Changins «en raison de la bonne réputation de l’école». Mais aussi, il ne le cache pas, «pour changer d’air» après avoir étudié à Beaune.
Pierre-Emile Humbrecht, de son côté, évoque «un pari, un choix de vie» après avoir pesé le pour et le contre. «J’ai discuté avec des vignerons alsaciens qui ont étudié à Changins, comme Jean Dietrich. Ils m’ont convaincu qu’en venant ici je serais bien formé pour reprendre un domaine viticole.» Son grandpère paternel, Léonard, fondateur du domaine familial en 1959 après son mariage avec Geneviève Zind, l’a également encouragé. «Il m’a dit: c’est une super école, souligne le petit-fils. Son avis, comme celui de mes parents, a compté.»
Les deux jeunes vignerons ne regrettent pas leur choix. «Si c’était à refaire, on le referait, assurent-ils en choeur. On a beaucoup appris et on s’est ouvert l’esprit.» Un bémol tout de même: le cursus n’accorde pas de place à la culture bio. «Pour être tout à fait juste, Michel Cruchon, un vigneron qui travaille en biodynamie depuis plusieurs années, est venu nous présenter son travail un après-midi, précise Pierre-Emile. Mais c’est tout, il y a une vraie réticence à ce sujet. On a en revanche beaucoup appris sur l’utilisation des produits phytosanitaires. Ce n’était pas du temps perdu: cela permet de savoir pourquoi on veut s’en passer.»
DÉCOUVERTE DU CHASSELAS
Une fois leur diplôme en poche, Pierre-Emile et Louis prendront des chemins différents. Le premier s’en ira à Fully, en Valais, travailler aux côtés de Marie-Thérèse Chappaz. «J’ai déjà fait deux vendanges chez elle. Elle a une philosophie que je trouve admirable. Je ne suis pas du tout attiré par le rêve américain, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande: les superstructures ne me font pas envie. Je préfère une approche plus artisanale, comme avec les 40 ha du vignoble familial.»
Un jour pas si lointain, Pierre-Emile reviendra sur ses terres, c’est certain – sa soeur ayant pris une autre voie: «Mon grand-père et mon père ont beaucoup travaillé pour en arriver là. Je ne peux pas imaginer laisser tomber. C’est à la fois un droit et un devoir. Je vois cela comme une grande chance. J’y tiens beaucoup.»
A ses côtés, Louis acquiesce: «La terre reste, les hommes passent. Pour moi aussi, la reprise du domaine familial constitue une évidence. J’ai déjà fait plusieurs expériences à l’étranger. LVMH m’avait même proposé un contrat en Nouvelle-Zélande. J’ai renoncé pour poursuivre mes études. Aujourd’hui, je suis prêt à rentrer. Nous possédons une petite structure en Alsace. Je vais épauler mon frère aîné Pierre, qui y travaille depuis un an et demi. Avec mes parents, on va jongler entre les deux domaines. Il y a du travail pour tout le monde.»
A l’heure de quitter Changins, les deux complices partagent un vrai coup de coeur pour les vieux millésimes de chasselas. «On a notamment goûté un dézaley Médinette 1988 de chez Bovard, salive PierreEmile. Un vin avec une fraîcheur et une complexité incroyables. Pour moi, cela a été une révélation. Il reste bien un peu de chasselas en Alsace, mais cela fait longtemps que plus personne n’en plante.»