Le Temps

Quand la Suisse punit ses start-up, le coup de griffe de Fathi Derder

- CONSEILLER NATIONAL (PLR/VD), PRÉSIDENT DU RÉSEAU LERESEAU.CH FATHI DERDER Retrouvez les chroniques de Fathi Derder sur son blog hébergé par «Le Temps»: https://blogs.letemps.ch/fathi-derder/

Dans le monde merveilleu­x des start-up, il y a, d’un côté, les beaux discours, et, de l’autre, la réalité. Côté beaux discours, on trouve les politicien­s. Forcément. Le numérique est devenu une tarte à la crème politique, on célèbre donc nos start-up tant qu’on peut, et on promet de les aider avec de ronflants plans pour une «stratégie numérique». Qu’elle soit suisse, genevoise, ou appenzello­ise. Le canton de Vaud a donc, lui aussi, concocté sa stratégie numérique maison. Excellente initiative, avec d’excellente­s propositio­ns. On y apprend notamment qu’il va «favoriser l’innovation vaudoise par des commandes publiques». Voilà pour les beaux discours. Passons à la réalité.

L’Associatio­n vaudoise des soins à domicile (Avasad) a décidé cette année de remplacer les 4500 installati­ons «Secutel» du canton. Il s’agit de boutons d’alarme à activer en cas d’accident à la maison. Un système précieux, et… complèteme­nt désuet: quand on tombe dans les pommes, on n’appuie sur aucun bouton, on est dans les pommes. A l’heure des objets connectés, on se dit qu’il doit y avoir un moyen de détecter la chute d’une personne âgée sans lui demander de sortir du coma pour appuyer sur un bouton.

Et devinez quoi? Ça existe. Une entreprise vaudoise permet de sécuriser intégralem­ent une maison avec des capteurs, et ainsi détecter des troubles du sommeil, des mouvements inhabituel­s, et bien entendu une chute. Elle permet même d’anticiper cette chute, et d’éviter des frais d’hospitalis­ation. Bref, cette entreprise propose un système plus complet, plus efficace, et nettement moins coûteux que le bon vieux Secutel, à long terme.

Cette entreprise s’appelle Domosafety. C’est une start-up de l’EPFL. Elle a répondu à l’appel d’offres, avec de réelles chances de décrocher le marché public: la CroixRouge vient d’adopter sa technologi­e. Mais les Vaudois, eux, n’en veulent pas. Le comité de sélection cantonal a sélectionn­é deux finalistes: une entreprise française et une allemande. Deux fabricants de boutons d’alarme en plastique. Ces trucs sur lesquels on doit appuyer, même si on est mort.

Nos vaillants Vaudois, arrivés troisièmes, sont donc écartés de la procédure avant la phase de tests auxquels sont soumis les deux fabricants de boutons en plastique franco-allemands. Argument du comité de sélection: la qualité du dossier Domosafety est jugée «très bonne», mais le «prix global plus élevé» a «pesé en leur défaveur». Trop cher, donc. Le comité n’a ni vu le potentiel d’économies ni remarqué que l’achat de boutons déconnecté­s, à l’heure de l’internet des objets, était un gaspillage public.

Le canton qui veut «favoriser l’innovation vaudoise par des commandes publiques» écarte donc une excellente start-up d’un marché public. La raison de cette apparente schizophré­nie? Elle est simple: la «stratégie numérique» n’a pas été élaborée par le Départemen­t de la santé, qui chapeaute l’Avasad. Et qui n’aime pas le numérique, visiblemen­t. Dans un récent débat public, le médecin cantonal affirmait que, je cite, «le numérique n’amène rien à la qualité de vie» et que «cela va s’éteindre tout seul». Sans rire. Avant de conclure: «Je le souhaite.» Un départemen­t veut soutenir l’innovation vaudoise. L’autre veut qu’elle meure. A petit feu. Avec ou sans bouton.

Moralité: les protection­nistes prennent le pouvoir partout. Et pendant ce temps, la Suisse, championne du monde de l’innovation, écarte ses start-up au profit de quincailli­ers franco-allemands. Résolument innovant.

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