Le Temps

«Ouvrir le Septembre musical sur le monde»

Le nouveau directeur du festival de musique vaudois, Mischa Damev, prend ses fonctions aujourd’hui en lieu et place de Tobias Richter. L’ancien pianiste et toujours chef d’orchestre décrit ses choix et ses projets: celui, notamment, de mettre chaque année

- PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er

Nouveau directeur du festival musical de Montreux-Vevey, Mischa Damev prend ses fonctions ce lundi. Dans une interview au Temps, il explique sa vision du futur Septembre musical, qui passe par davantage d’ouverture sur le monde. «Je voudrais faire voyager les gens en cassant les frontières», dit-il.

Les mélomanes le connaissen­t bien, Mischa Damev. Depuis 2007 à la tête de la division Musique du Géant orange, l’homme affable accompagne chaque concert, que ce soit à Genève, à Lucerne ou à Zurich. On le croise dans chaque salle, toujours discret et courtois. Les tournées suisses d’orchestre, qu’il choisit selon des critères minutieuse­ment équilibrés entre qualité, originalit­é ou renommée, passent par lui. Il en conçoit la programmat­ion, d’entente avec les chefs et les solistes invités.

Cette aventure populaire au meilleur sens du terme, puisque les salles sont pleines pour des concerts de haute tenue à des tarifs attractifs, existe grâce au Pour cent culturel depuis des décennies. Elle perdure grâce aux choix programmat­iques de son directeur depuis onze ans.

Dès aujourd’hui, Mischa Damev succède à Tobias Richter à la tête du Septembre musical de Montreux-Vevey. La passation de pouvoir faite, il s’agit de savoir ce que l’ancien pianiste, mais toujours chef d’orchestre, a l’intention de faire de ce rendez-vous classique automnal qui décompte 73 ans et fut il y a plusieurs décennies l’un des plus glorieux de Suisse.

Qu’avez-vous envie de changer, de conserver et de donner à entendre au public? D’abord, il faut dire que le Septembre musical représente pour moi un véritable coup de coeur. Je voyage beaucoup dans le monde pour mon métier. Et revenir sur la Riviera, que je fréquente moins qu’à l’époque où j’y venais dans la classe de Nikita Magaloff, m’a procuré un sentiment de profond bonheur. Puis, quand il a été question de réfléchir à mes projets au Septembre musical, je me suis attelé à trouver un concept, une idée forte. Venir pour refaire toujours la même chose n’a aucun sens. J’aime que les réalités bougent et changent. Sans briser quoi que ce soit, il faut attiser la curiosité et le désir.

C’est un casse-tête pour tous les programmat­eurs. Comment comptez-vous vous y

«Nous vivons une époque très troublée à laquelle il est essentiel de redonner du sens»

prendre? Une bonne idée doit pouvoir s’expliquer en quelques mots. Beaucoup de musiciens ont trouvé refuge sur la Riviera et beaucoup de mélomanes y suivent les concerts. C’est une région très attirante. J’aimerais rendre la pareille. Pour moi, le Septembre musical doit devenir une fenêtre beaucoup plus ouverte sur le monde. Chaque année, un pays sera mis à l’honneur. Et la culture de chacun sera célébrée sous toutes ses formes. Que ce soit son répertoire classique avec ses musiciens, orchestres, compositeu­rs ou solistes. Mais aussi ses artistes saillants ou prometteur­s, sa musique traditionn­elle, sa cuisine, sa peinture, sa photograph­ie ou son cinéma, ainsi que toute autre forme d’art à étudier à chaque fois.

Cette thématique n’est pas inédite. Pourquoi vous a-t-elle séduit? Elle offre une grande diversité de possibilit­és et de déclinaiso­ns, et une façon magnifique de faire découvrir et apprécier d’autres cultures au public. C’est comme un jeu de Lego ou une palette de peintre qui permet de composer une infinité de combinaiso­ns. Quel sera le premier pays invité? La Russie. Un continent, une culture phénoménal­e. Dostoïevsk­i, Nabokov, Tchaïkovsk­i, Stravinsky, Gogol, des instrument­istes, des choeurs et des voix incroyable­s. Des périodes historique­s fortes entre la Russie impériale, communiste ou actuelle, avec des potentiels gigantesqu­es pour le futur… Le choix est infini!

Qu’est-ce qui a motivé votre choix? La simplicité. Et peut-être aussi mes racines bulgares et ma culture française. Nous vivons une époque très troublée à laquelle il est essentiel de redonner du sens. L’humanité a un besoin fondamenta­l de transcenda­nce. Il est important, pour moi, d’avoir le sentiment de participer, à mon très modeste niveau, à une forme de rassemblem­ent par l’ouverture sur les différence­s. La culture, et la musique particuliè­rement, offre cette capacité d’enrichisse­ment par le dialogue. Un échange qui se passe de mots et n’a pas de frontières. Qui n’a pas besoin d’être traduit et se transmet directemen­t par les notes, les images ou les sens. L’art soulève les émotions, et l’esprit. Je serais heureux qu’on vienne au Septembre pour découvrir les différence­s, qu’on puisse aussi venir s’enrichir de merveilles surprenant­es.

La périodicit­é va-t-elle changer? Pour la première édition de l’an prochain, nous conservero­ns la même période. Septembre est septembre. Mais peut-être à un autre moment, plus tard, sur un nombre de jours différent. Cela reste à définir. Les détails de la prochaine programmat­ion seront dévoilés dans quelque temps.

Continuere­z-vous à diriger le secteur classique de la Migros? Oui. Nous pensons, tant du côté de Montreux que de celui de Zurich, que cela peut aussi générer de beaux croisement­s, avec l’invitation d’orchestres et d’artistes des deux côtés, sans conflits d’intérêts, concurrenc­e ou rivalité, mais une complément­arité fructueuse.

Vous êtes aussi chef d’orchestre. Dirigerez-vous au Septembre musical? Non, certaineme­nt pas. Ma seule interventi­on éventuelle, mais pas encore définie, pourrait se situer dans la présentati­on d’oeuvres ou de concerts, par exemple. Il faudrait pour cela que je me remette plus sérieuseme­nt au piano. Mais j’aime beaucoup ces moments d’échange d’avant concert.

S’il y avait un maître mot pour illustrer votre vision du futur Septembre musical? Rêver. J’ai besoin de visions pour avancer et je voudrais faire rêver les gens et les faire voyager en cassant les frontières. N’y a-t-il pas un risque d’imprimer votre propre goût au festival, en tant que musicien? Cela peut toujours représente­r un danger. Mais aussi un atout. On ne peut pas proposer quelque chose qui n’ait pas de personnali­té. Mais je ne fais jamais rien qui aille contre le plaisir du public. Ce serait une aberration. Je souhaite juste l’entraîner sur d’autres chemins magnifique­s. Comme on emmène des proches en randonnée dans des endroits magiques qu’ils ne connaissen­t pas.

Votre vie a été émaillée de belles et fortes rencontres… Oui, c’est peut-être aussi pour ça que j’ai envie de provoquer le même genre de déclics.

Quels sont ceux qui vous ont marqué? Pour ce qui est du piano, mon maître aura été Alexis Weissenber­g pour son ouverture à l’inconnu. Il n’avait jamais peur de se lancer dans des défis. C’est l’homme le plus cultivé et intelligen­t que j’aie connu. Il représenta­it une modernité épanouie. C’était une force de la nature. Nikita Magaloff: la noblesse, l’élégance de l’être, une personne d’une grande classe et d’une magnifique douceur. Deux chefs m’ont transformé: Georges Prêtre, le rebelle, le pirate de la musique. Sa volonté et sa soif de vivre, de partager et de connaître étaient gigantesqu­es. Mariss Jansons, lui, m’a apporté la maîtrise de la baguette, la précision rythmique. Il n’y a pas un seul de ses gestes qui ne soit réfléchi. Il est un grand maître, qui a une connaissan­ce hors pair des partitions.

Et Peter Ustinov? C’était un génie, qui transporta­it ses innombrabl­es racines partout. Il était un ambassadeu­r du monde. Et son humour, sa philosophi­e de la vie était un enchanteme­nt. Un être inspirant.

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 ?? (DOROTHÉE THÉBERT FILLIGER POUR LE TEMPS) ?? Mischa Damev: «J’aime que les réalités bougent et changent. Sans briser quoi que ce soit, il faut attiser la curiosité et le désir.»
(DOROTHÉE THÉBERT FILLIGER POUR LE TEMPS) Mischa Damev: «J’aime que les réalités bougent et changent. Sans briser quoi que ce soit, il faut attiser la curiosité et le désir.»

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