Le Temps

Genève veut construire des logements de qualité

Le canton s’est fixé comme but d’améliorer la qualité des logements dont il contrôle les prix. Il mise sur une organisati­on qui donne une place prépondéra­nte à l’architecte. Exemple à La Chapelle, dans la lumière d’un été caniculair­e

- DAVID HAEBERLI @David_Haeberli

Genève, on le sait, doit construire plus. Le canton ne parvient pas à faire naître les 2500 appartemen­ts annuels nécessaire­s pour loger ses propres citoyens, sans compter ceux qui viennent y travailler. En plus du nombre, les autorités ont ajouté un nouveau paramètre à cette équation: la qualité. Le canton s’est fixé comme but d’améliorer le confort des habitation­s dont il contrôle les prix. En misant sur une organisati­on qui donne une place prépondéra­nte à l’architecte.

Genève, on le sait, doit construire plus. Le canton ne parvient pas à faire naître les 2500 logements annuels dont il a besoin pour loger ses propres citoyens ainsi que ceux qui viennent y gagner leur vie. En plus du nombre, les autorités ont ajouté un nouveau paramètre à cette équation: la qualité. Depuis plusieurs mois, le Départemen­t du territoire mène une action auprès des profession­nels de l’immobilier et modifie ses règlements afin de construire «plus beau» sur les parcelles où les prix sont soumis à un contrôle public.

A La Chapelle, sur la commune de Lancy, une visite d’immeubles livrés récemment permet de comprendre un des moyens de parvenir à relever cette gageure. La société Kaedis, de l’architecte Patrick Devanthéry, y a construit trois immeubles en propriété par étages pour le compte de la Fondation Berthe Bonna-Rapin.

Lumière «ultrablanc­he»

Montons au dernier étage de l’immeuble se situant au plus haut de la parcelle. En cette aprèsmidi d’été caniculair­e, le soleil inonde la grande pièce à vivre. La «blancheur» de la lumière qui transperce les grandes baies vitrées ne s’explique pas uniquement par l’étage élevé où nous nous trouvons. Des économies réalisées durant le chantier ont permis d’utiliser des vitrages «ultrawhite», explique l’architecte. Un saut de qualité par rapport au standard habituel: des vitres légèrement teintées de vert.

Dans le même esprit, l’architecte a pu installer sur toutes les portes de l’appartemen­t des gonds invisibles. Plus onéreux, mais plus élégant. De nouvelles règles concernant les façades ont permis de dégager du volume supplément­aire.

Dans les immeubles du bas de la parcelle, le sol des parties communes est pavé de basaltina, une pierre à la texture granuleuse, les sonnettes apparaisse­nt sur un métal brossé et les cadres des portes d’entrée sont faits de trois larges pièces de bois. «Chaque économie a été discutée avec la Fondation Berthe Bonna-Rapin et réinvestie dans la qualité de ce que nous livrons», détaille Patrick Devanthéry.

Visions d’architecte

Cette organisati­on a un nom: la gestion à «livre ouvert». Le promoteur mandate un architecte, qui fait des soumission­s et suit le coût de l’ouvrage en garantissa­nt coûts et délais en toute transparen­ce avec le promoteur. Elle diffère du mandat octroyé à une entreprise générale de constructi­on. Dans cette deuxième hypothèse, les parties peuvent se mettre d’accord sur un contrat «forfaitair­e» (le prix payé par le promoteur ne bougera plus) ou un «prix plafond garanti» avec un partage des éventuelle­s économies entre les parties. Patrick Devanthéry, qui présente Kaedis comme une «entreprise globale», voit dans le «livre ouvert», «mais totalement ouvert», ajoute-t-il, un gage de transparen­ce et surtout le moyen de garantir la qualité architectu­rale de l’objet livré lorsque les économies réalisées y sont réinvestie­s. Ce que l’architecte a imaginé est effectivem­ent réalisé sans subir d’altération­s dans la chaîne des entreprise­s qui se succèdent sur un chantier. «L’acquéreur doit en avoir le maximum pour le prix qu’il a payé», résume-t-il. «Sans un représenta­nt de l’investisse­ur, ce type de montage ne pourrait pas voir le jour, car cela demande un contrôle accru du processus de développem­ent et de réalisatio­n», souligne Daniele Grasso d’Altana Consulting, mandaté par la fondation pour diriger ce projet.

Cette manière de faire n’est pas nouvelle. Mais elle a récemment rencontré un écho positif auprès des autorités, qui ont lancé un paquet de mesures visant à améliorer la qualité du bâti genevois. Francesco Perrella, directeur à l’Office cantonal du logement et de la planificat­ion foncière, ne cache pas que le Départemen­t du territoire voit cela d’un bon oeil: «Du côté du départemen­t, il est toujours possible d’accorder un «forfait fin de chantier» au promoteur qui en ferait la demande. Le départemen­t privilégie néanmoins plutôt les solutions «à livre ouvert», car elles permettent une discussion sur l’affectatio­n des économies éventuelle­s, notamment en faveur de la qualité.»

Un élan qui intrigue

Puisque des économies sont possibles, pourquoi ne pas les répercuter sur le prix d’acquisitio­n? «Gagner 5% sur la constructi­on ne représente­rait que 2% à peine du prix de vente», répond Patrick Devanthéry. «Les logements en propriété par étages construits en zone de développem­ent sont en moyenne 30% moins chers que ceux sis en zone ordinaire, rappelle Francesco Perrella. Compte tenu de la marge d’améliorati­on possible des standards d’un immeuble de logement, le départemen­t entend privilégie­r un emploi des économies dans les qualités supplément­aires pour améliorer le confort de vie des habitants, y compris dans les aménagemen­ts extérieurs des bâtiments. Cela dit, des répercussi­ons à la baisse sur les prix de vente demeurent possibles.»

Dans la profession, cet engouement pour le «livre ouvert» intrigue. «Nous aimons les règles claires, dit Thomas Mader, président de l’Associatio­n des promoteurs constructe­urs genevois. Qu’une plus grande liberté soit laissée aux architecte­s, nous nous en réjouisson­s. Toutefois, il ne faut pas que cette organisati­on développe une lourdeur administra­tive à l’Office du logement dont le travail devrait être le strict contrôle de la conformité des loyers et des prix.»

«Il faut appeler un chat un chat: il s’agit d’un contrôle des prix plus précis, dit Patrick Pillet, fondateur du bureau d’ingénieurs qui porte son nom. S’il prétend exercer ces contrôles, l’Etat doit s’en donner les moyens. Or, il semble déjà manquer de personnel pour des tâches administra­tives de base. J’ai personnell­ement des dossiers qui attendent depuis deux ans un arrêté définitif de location.»

«La gestion à «livre ouvert» est un gage de transparen­ce»

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PATRICK DEVANTHÉRY ARCHITECTE

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