Le bénévolat, ce job qu’on choisit
En Suisse, le bénévolat signifie la plupart du temps consacrer quelques heures à une institution en sus de son emploi régulier. Mais, pour certains, cet engagement joue un rôle clé dans la définition de soi, comme en témoigne une récente publication
«Quand j’ai quitté la présidence de l’association, j’ai eu peur de n’être plus personne. Tout le monde me connaissait dans cette fonction-là.» Julia, 56 ans, est thérapeute à Fribourg, après une carrière comme laborantine. En parallèle, elle s’est investie pendant vingt-cinq ans dans le bénévolat, en montant et présidant l’antenne des Cartons du coeur dans sa ville, une association qui aide ceux qui sont dans le besoin.
Julia est une des personnes interrogées par Saskia Weber Guisan, collaboratrice scientifique à l’Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle. Sa recherche, «Engagement bénévole et développement du pouvoir d’agir», est parue dans les Cahiers de la Section des sciences de l’éducation de l’Université de Genève en juin. Une démarche non représentative des bénévoles «standard» mais qui cherche à comprendre ceux qui font de leur engagement une part essentielle de leur vie.
«La plupart des bénévoles s’investissent sur un temps négligeable par rapport à leur vie professionnelle», rappelle Nicky Le Feuvre, professeure de sociologie du travail à l’Université de Lausanne. Les 19,5% de la population qui effectuent du travail bénévole organisé – dans des associations sportives, culturelles, institutions politiques et autres – y consacrent en moyenne 3,2 heures par semaine, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique pour l’année 2016.
Au lieu de s’opposer ou de se compenser, l’engagement professionnel et le bénévolat sont liés, détaille encore Nicky Le Feuvre. «Les personnes qualifiées, avec des postes à responsabilité, font plus de bénévolat que les autres. Il y a souvent un transfert de compétences.»
Et à l’avenir? Les bénévoles «confirmés» étudiés par Saskia Weber Guisan pourraient devenir plus nombreux, dit-elle. «Notre monde est en transition: nous sommes amenés à changer plusieurs fois de métier au cours d’une vie, beaucoup se lancent comme indépendants, il y a une porosité grandissante entre le travail bénévole et le job salarié. On peut imaginer que si une initiative comme celle du Revenu de base inconditionnel passait, l’engagement sans salaire serait encore plus important.»
Pourquoi s’investir sans être payé?: «Quand j’ai réalisé qu’il y avait de la misère même à côté de chez nous, j’ai eu envie d’agir», répond Julia. «Il y a une volonté de contribuer au bien commun, note Saskia Weber Guisan. Beaucoup retrouvent ce sentiment dans le travail, mais ce n’est pas forcément le cas pour tous. Le bénévolat est toujours choisi, le travail peut être une obligation pour gagner sa vie.» Mais s’investir sans être payé, c’est aussi se faire du bien. «Le bénévolat est toujours un peu intéressé, sourit Julia. La vie a toujours été généreuse avec moi, donner était un moyen de trouver un équilibre.»
Et cet engagement peut être l’occasion d’agir en accord avec ses valeurs: «Il y a un monde du travail où je fais un job qui ne m’intéresse pas et auquel je ne crois pas, et puis le monde du bénévolat où je fais quelque chose qui m’intéresse et auquel je crois», lit-on dans le témoignage d’Ariane, 39 ans. Saskia Weber Guisan explique: «La première question qu’on pose, c’est ce qu’on fait dans la vie. Avec le bénévolat, on peut se définir selon d’autres critères et indépendamment de son milieu socioéconomique. Dans les associations sportives, organisations dans lesquelles s’investissent le plus les bénévoles suisses, on observe une diversité de milieux.»
Chez les bénévoles très impliqués, l’investissement peut cependant devenir trop lourd. Julia a désormais quitté ses fonctions de présidente d’association, qui lui prenaient plus de dix heures par semaine, pour passer à quelques heures d’aide par mois. Comme la plupart des bénévoles suisses.
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Des volontaires de l’aide aux sans-abri en hiver à Munich, en décembre 2017.