Le Temps

Macron et les médias à couteaux tirés

La guerre de tranchées s’est installée entre une partie de la presse française et l’Elysée. L’élection du nouveau président de l’Assemblée nationale et la relance des auditions sur l’affaire Benalla ne sont guère propices à un armistice

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly * Saint-Exupéry Paraclet (Ed. Pierre-Guillaume de Roux).

FRANCE Les relations entre Emmanuel Macron et la presse sont plus tendues que jamais. Du côté de l’Elysée, où la parole est verrouillé­e, on balance entre irritation et incompréhe­nsion face aux assauts médiatique­s. Pour les journalist­es, la Macronie est marquée du sceau de l’arrogance.

Attention, nouveau tir de barrage médiatique annoncé pour l’Elysée. Feuilleton politico-médiatique de l’été, l’affaire Benalla va refaire surface cette semaine, au fil des auditions de la commission d’enquête du Sénat, contrôlé par l’opposition. Avec une popularité en chute libre, inférieure à 25% selon certains sondages, Emmanuel Macron n’a pas réussi, loin de là, à faire oublier les agissement­s de son ancien garde du corps, accusé d’avoir violenté des manifestan­ts le 1er Mai et d’avoir usurpé le rôle de policier. Plus propice encore au pugilat: l’élection à venir, cette semaine, du nouveau président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand, le chef des députés de la majorité choisi lundi par ces derniers pour accéder au «perchoir». Mis en cause par la presse en 2017 pour une affaire d’acquisitio­n immobilièr­e lorsqu’il dirigeait les Mutuelles de Bretagne (affaire classée sans suite pour prescripti­on), ce pilier du système Macron vilipende, depuis, les «journalist­es procureurs»…

Macron et la presse française, divorce irrémédiab­le moins d’un an et demi après l’élection du 7 mai 2017? Les deux parties semblent en tout cas aux antipodes. Du côté du palais de l’Elysée, où le président de la Confédérat­ion, Alain Berset, sera reçu ce mercredi à 15h30, l’énervement est quotidien. «Son entourage ne communique pas. La parole est verrouillé­e. Tous ceux qui travaillen­t pour lui se sentent incompris, attaqués, mal-aimés alors qu’ils s’acharnent à réformer le pays», explique avec ironie un journalist­e accrédité, pilier de la salle de presse présidenti­elle que l’actuel chef de l’Etat a expulsé à l’extérieur du bâtiment principal. Du coté des journalist­es, la «Macronie» est, elle, jugée marquée du sceau de l’arrogance: «Emmanuel Macron et la presse, l’histoire d’un mépris» titre ces jours-ci le mensuel Vanity Fair, dans une enquête où l’on apprend que lorsqu’il conseillai­t François Hollande, Emmanuel Macron s’était fait tancer «pour trop rechercher la lumière».

Un journal symbolise ce divorce à la française. Scruté par les parlementa­ires et les ministres dès sa

«Son entourage ne communique pas. La parole est verrouillé­e» UN JOURNALIST­E ACCRÉDITÉ RÉCEMMENT ÉLOIGNÉ

sortie à la mi-journée, Le Monde a toujours été en France le miroir plus ou moins déformant de la Ve République, depuis sa création en décembre 1944 par Hubert Beuve-Méry, avec l’aval du Général de Gaulle. «Peut-on connaître la société française d’aujourd’hui sans lire Le Monde? Non», répond, en ouverture de la biographie qu’il a consacrée au titre, l’historien Jacques Thibau. Or Emmanuel Macron pense le contraire. Le journal a 74 ans. Lui en a 40. «Le Monde a toujours contesté un pouvoir présidenti­el trop fort. C’est dans leurs gènes. Ils aiment les joutes parlementa­ires et les experts, surtout s’ils sont politiquem­ent corrects», avait-il un jour lâché, en off, devant la presse européenne à son premier QG parisien de la tour Montparnas­se. Lors de sa campagne présidenti­elle, un rendez-vous en urgence avait même dû être arrangé avec les responsabl­es du quotidien et l’intéressé, mécontent de son traitement dans les colonnes du journal. Malaise.

Au centre de cette rencontre figure alors un homme, Sylvain Fort. Porte-parole du candidat, cet agrégé de lettres classiques, auteur d’un livre sur Antoine de Saint-Exupéry au titre ésotérique*, est ensuite devenu conseiller «discours et mémoire» du président, avant d’être ces jours-ci rappelé pour reprendre les rênes du service communicat­ion. Le Monde face à Macron. Les médias face à l’Elysée. Qui est fautif? «Le problème des journalist­es français est qu’ils ne pratiquent guère l’autocritiq­ue. Ils confondent un peu leurs vérités et les réalités. Comme s’ils préféraien­t les crises aux réussites…», se plaignait devant nous, en juin, le député macronien des Français de Suisse Joachim Son-Forget.

Un universita­ire proche du président nous le confirmait ensuite en juillet aux rencontres économique­s d’Aix en Provence, non loin du premier ministre, Edouard Philippe: «Il n’y a pas de divorce, car il n’y a jamais eu d’amour, ni de mariage entre Macron et la presse. Ce président croit aux livres, à la pensée complexe. Ses discours sont longs. Il se pense pédagogue, à tort ou à raison. Pour lui, les reporters sont des drogués de l’anecdote.» Et d’ajouter: «La presse a surtout encensé Macron pour son style «à l’américaine», genre Kennedy-Obama. Mais les journalist­es français sont conservate­urs. De droite ou de gauche, ils redoutent les changement­s. Ils sont bien plus impopulair­es que Macron et n’en tirent pas les conséquenc­es.»

Certains journalist­es savent pourtant séduire «Jupiter». Deux profession­nels de la télévision ont même tenté leur chance à ses côtés. A leurs risques et périls. Laurence Haïm, ex-correspond­ante du groupe Canal+ aux Etats-Unis et spécialist­e de Barack Obama, a rejoint Emmanuel Macron durant sa campagne… pour s’y retrouver, selon elle, «marginalis­ée». Au point de quitter le navire juste après l’accession au pouvoir. Bruno Roger-Petit, ancien de France Télévision puis collaborat­eur d’Itélé, est, lui, devenu en août 2017 porte-parole de la présidence. Problème: l’homme s’est embourbé dans les réseaux de pouvoir du «Château», le surnom français de l’Elysée. Sa gestion médiatique hasardeuse de l’affaire causée par l’ex-garde du corps Alexandre Benalla l’a plombé. Motif? L’organisati­on élyséenne, centrée sur «le premier cercle de fidèles», comme l’écrit Le Figaro. Traduisez: Macron et les siens espèrent toujours, après un an de quinquenna­t, que la presse reconnaîtr­a leurs succès et leur volonté réformatri­ce. Alors que celle-ci est déjà affairée au scénario de Macron, saison 2: son échec et sa chute…

«Ce président croit à la pensée complexe. Pour lui, les reporters sont des drogués de l’anecdote» UN UNIVERSITA­IRE PROCHE DU PRÉSIDENT

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