Macron et les médias à couteaux tirés
La guerre de tranchées s’est installée entre une partie de la presse française et l’Elysée. L’élection du nouveau président de l’Assemblée nationale et la relance des auditions sur l’affaire Benalla ne sont guère propices à un armistice
FRANCE Les relations entre Emmanuel Macron et la presse sont plus tendues que jamais. Du côté de l’Elysée, où la parole est verrouillée, on balance entre irritation et incompréhension face aux assauts médiatiques. Pour les journalistes, la Macronie est marquée du sceau de l’arrogance.
Attention, nouveau tir de barrage médiatique annoncé pour l’Elysée. Feuilleton politico-médiatique de l’été, l’affaire Benalla va refaire surface cette semaine, au fil des auditions de la commission d’enquête du Sénat, contrôlé par l’opposition. Avec une popularité en chute libre, inférieure à 25% selon certains sondages, Emmanuel Macron n’a pas réussi, loin de là, à faire oublier les agissements de son ancien garde du corps, accusé d’avoir violenté des manifestants le 1er Mai et d’avoir usurpé le rôle de policier. Plus propice encore au pugilat: l’élection à venir, cette semaine, du nouveau président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand, le chef des députés de la majorité choisi lundi par ces derniers pour accéder au «perchoir». Mis en cause par la presse en 2017 pour une affaire d’acquisition immobilière lorsqu’il dirigeait les Mutuelles de Bretagne (affaire classée sans suite pour prescription), ce pilier du système Macron vilipende, depuis, les «journalistes procureurs»…
Macron et la presse française, divorce irrémédiable moins d’un an et demi après l’élection du 7 mai 2017? Les deux parties semblent en tout cas aux antipodes. Du côté du palais de l’Elysée, où le président de la Confédération, Alain Berset, sera reçu ce mercredi à 15h30, l’énervement est quotidien. «Son entourage ne communique pas. La parole est verrouillée. Tous ceux qui travaillent pour lui se sentent incompris, attaqués, mal-aimés alors qu’ils s’acharnent à réformer le pays», explique avec ironie un journaliste accrédité, pilier de la salle de presse présidentielle que l’actuel chef de l’Etat a expulsé à l’extérieur du bâtiment principal. Du coté des journalistes, la «Macronie» est, elle, jugée marquée du sceau de l’arrogance: «Emmanuel Macron et la presse, l’histoire d’un mépris» titre ces jours-ci le mensuel Vanity Fair, dans une enquête où l’on apprend que lorsqu’il conseillait François Hollande, Emmanuel Macron s’était fait tancer «pour trop rechercher la lumière».
Un journal symbolise ce divorce à la française. Scruté par les parlementaires et les ministres dès sa
«Son entourage ne communique pas. La parole est verrouillée» UN JOURNALISTE ACCRÉDITÉ RÉCEMMENT ÉLOIGNÉ
sortie à la mi-journée, Le Monde a toujours été en France le miroir plus ou moins déformant de la Ve République, depuis sa création en décembre 1944 par Hubert Beuve-Méry, avec l’aval du Général de Gaulle. «Peut-on connaître la société française d’aujourd’hui sans lire Le Monde? Non», répond, en ouverture de la biographie qu’il a consacrée au titre, l’historien Jacques Thibau. Or Emmanuel Macron pense le contraire. Le journal a 74 ans. Lui en a 40. «Le Monde a toujours contesté un pouvoir présidentiel trop fort. C’est dans leurs gènes. Ils aiment les joutes parlementaires et les experts, surtout s’ils sont politiquement corrects», avait-il un jour lâché, en off, devant la presse européenne à son premier QG parisien de la tour Montparnasse. Lors de sa campagne présidentielle, un rendez-vous en urgence avait même dû être arrangé avec les responsables du quotidien et l’intéressé, mécontent de son traitement dans les colonnes du journal. Malaise.
Au centre de cette rencontre figure alors un homme, Sylvain Fort. Porte-parole du candidat, cet agrégé de lettres classiques, auteur d’un livre sur Antoine de Saint-Exupéry au titre ésotérique*, est ensuite devenu conseiller «discours et mémoire» du président, avant d’être ces jours-ci rappelé pour reprendre les rênes du service communication. Le Monde face à Macron. Les médias face à l’Elysée. Qui est fautif? «Le problème des journalistes français est qu’ils ne pratiquent guère l’autocritique. Ils confondent un peu leurs vérités et les réalités. Comme s’ils préféraient les crises aux réussites…», se plaignait devant nous, en juin, le député macronien des Français de Suisse Joachim Son-Forget.
Un universitaire proche du président nous le confirmait ensuite en juillet aux rencontres économiques d’Aix en Provence, non loin du premier ministre, Edouard Philippe: «Il n’y a pas de divorce, car il n’y a jamais eu d’amour, ni de mariage entre Macron et la presse. Ce président croit aux livres, à la pensée complexe. Ses discours sont longs. Il se pense pédagogue, à tort ou à raison. Pour lui, les reporters sont des drogués de l’anecdote.» Et d’ajouter: «La presse a surtout encensé Macron pour son style «à l’américaine», genre Kennedy-Obama. Mais les journalistes français sont conservateurs. De droite ou de gauche, ils redoutent les changements. Ils sont bien plus impopulaires que Macron et n’en tirent pas les conséquences.»
Certains journalistes savent pourtant séduire «Jupiter». Deux professionnels de la télévision ont même tenté leur chance à ses côtés. A leurs risques et périls. Laurence Haïm, ex-correspondante du groupe Canal+ aux Etats-Unis et spécialiste de Barack Obama, a rejoint Emmanuel Macron durant sa campagne… pour s’y retrouver, selon elle, «marginalisée». Au point de quitter le navire juste après l’accession au pouvoir. Bruno Roger-Petit, ancien de France Télévision puis collaborateur d’Itélé, est, lui, devenu en août 2017 porte-parole de la présidence. Problème: l’homme s’est embourbé dans les réseaux de pouvoir du «Château», le surnom français de l’Elysée. Sa gestion médiatique hasardeuse de l’affaire causée par l’ex-garde du corps Alexandre Benalla l’a plombé. Motif? L’organisation élyséenne, centrée sur «le premier cercle de fidèles», comme l’écrit Le Figaro. Traduisez: Macron et les siens espèrent toujours, après un an de quinquennat, que la presse reconnaîtra leurs succès et leur volonté réformatrice. Alors que celle-ci est déjà affairée au scénario de Macron, saison 2: son échec et sa chute…
▅
«Ce président croit à la pensée complexe. Pour lui, les reporters sont des drogués de l’anecdote» UN UNIVERSITAIRE PROCHE DU PRÉSIDENT