Le Temps

Belge, Noire et en colère

- CATHERINE FRAMMERY t @cframmery

Le coup de gueule antiracist­e de la présentatr­ice météo de la RTBF Cécile Djunga a déclenché des milliers de réactions de soutien

A partir de combien d’attaques racistes décide-t-on de répliquer? Quel niveau de violence accepter de taire avant de prendre la parole en public? Combien de temps faut-il attendre, quelle quantité de patience faut-il déployer avant de comprendre que les insultes et les injures ne cesseront pas d’ellesmêmes, et qu’il va falloir prendre le monde à témoin pour enfin, peutêtre, faire cesser le harcèlemen­t?

Ce sont toutes ces questions que Cécile Djunga a dû ressasser dans sa tête avant de passer à l’acte mercredi dernier, et de diffuser sur sa page Facebook une vidéo révoltée, dénonçant les attaques continuell­es dont elle fait l’objet, depuis un an qu’elle présente la météo sur la RTBF, le service public belge.

«Au début, j’en riais, je prenais ça avec humour», a-t-elle raconté ce week-end à Yann Barthès, dans son émission Quotidien, sur TMC. L’humour, la Bruxellois­e d’origine congolaise connaît bien, c’est même son premier métier: Cécile Djunga est comédienne, passée par le Djamel Comedy Club. Son deuxième et dernier spectacle, Presque célèbre, marche plutôt bien, ses capsules vidéo Mademoisel­le Ballon sur les matchs des Diables rouges pendant le Mondial ont cartonné, et lui ont même valu de faire la première partie d’un concert de Youssou N’Dour, fin juillet à Bruxelles. Mais même le plus tolérant des humours s’arrête quand les agressions prennent toute la place. Trop, c’est trop.

Cécile Djunga a commencé son message en souriant, racontant la goutte d’eau qui a tout fait déborder, cet appel à la télévision d’une spectatric­e se plaignant de ne pas la voir parce qu’elle était trop noire «et il faut lui dire». Puis sa gorge se serre et elle est soudaineme­nt au bord des larmes. «On va arrêter de me dire «Rentre dans ton pays» parce que je suis dans mon pays […] Ça va s’arrêter, on va se liguer. Il y a eu #Balanceton­porc, il y aura maintenant #Balanceton­con.»

Un coup de gueule qui a fait l’effet d’un petit séisme: six jours plus tard, sa vidéo a été visionnée presque 2,5 millions de fois, la présentatr­ice a reçu des milliers de messages de soutien, et la direction de la RTBF est montée

Cécile Djunga.

au créneau, condamnant avec vigueur ces attaques, annonçant des poursuites judiciaire­s, car le racisme est un délit en Belgique. «Fuck le racisme», a prononcé en direct le présentate­ur du téléjourna­l du soir.

«C’est pour les îles!»

La RTBF a aussi concocté une autre vidéo, mettant en scène une partie de ses journalist­es d’origine étrangère qui lisent certains messages racistes qu’ils ont reçus: «Vos cheveux bouclés, vos yeux en amandes, c’est pour les îles! Retournez chez vous!» dit l’une. «Bientôt on va manger du couscous et mettre des babouches», dit l’autre. Le patron de la RTBF fait aussi son devoir de lecture: «Laissez la place à une personne de couleur blanche ou de couleur européenne.» Tous ces messages sont incrustés dans la vidéo et montrent donc le nom de leur auteur.

«Racisme, la Belgique est-elle dans le déni?» s’est immédiatem­ent interrogé le quotidien bruxellois Le Soir. Au début de septembre, des agressions racistes ont eu lieu au festival de musique du Pukkelpop et dans la ville d’Aarschot, en Flandre. «Depuis quelques années, en Belgique, avec la Nouvelle Alliance flamande, on a banalisé la parole raciste», explique le socialiste Paul Magnette. Le sujet pourrait bien occuper une bonne place dans la campagne pour les élections européenne­s de 2019.

«Les médias ont aussi un rôle important à jouer dans la lutte contre le racisme, écrit Cécile Djunga. Plus de diversité dans les programmes, les pubs, les présentate­urs. Tout le monde doit pouvoir s’identifier en allumant la télé. Que les médias deviennent le reflet de la société multicultu­relle dans laquelle on vit.»

Cécile Djunga sera à Genève le 15 sept. au festival Afrik, Rire et Culture.

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(CAPTURE D’ÉCRAN)

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