Le Temps

La Suisse à la traîne de l'Union européenne

- JOCELYN DALOZ @jocelyn_daloz

Un rapport d’experts soumis au Conseil fédéral pointe du doigt les lacunes et formule des recommanda­tions en matière de protection des données, à l’heure où des mesures concrètes sont urgentes

La Suisse doit s’améliorer en termes de protection et de traitement des données. Un groupe pluridisci­plinaire d’experts a établi une longue liste de recommanda­tions et rédigé un rapport épais de près de 200 pages. Le Conseil fédéral en a pris acte lundi et a mandaté le Départemen­t fédéral de la communicat­ion (DETEC) d’examiner les 51 mesures proposées jusqu’à fin 2019.

Il y a quatre ans, le Conseil des Etats, appuyant une motion du sénateur Paul Rechsteine­r (PS/SG), a mandaté l’exécutif de former un groupe d’experts sur la question de la protection et du traitement des données. Le but était de se prémunir contre les cyberattaq­ues et le cyberespio­nnage, de mieux protéger les données personnell­es sur internet et de répondre aux défis éthiques posés par l’emploi massif de données. Le rapport publié lundi énonce des propositio­ns assez vastes. Outre le renforceme­nt de la législatio­n et son applicatio­n en matière de protection des données, le rapport propose des mesures pour empêcher les manipulati­ons d’élections, pour lancer la démocratie participat­ive sur internet en toute sécurité ou pour mettre en place l’identité numérique. Il propose également de mieux former la population afin que les usagers soient sensibilis­és aux enjeux de la cybersécur­ité et familiaris­és avec les outils informatiq­ues.

«Les politiques ont compris l’importance du défi», a soutenu devant la presse Jean-Pierre Hubaux, professeur spécialisé en sécurité informatiq­ue à l’EPFL et contribute­ur du rapport. S’il avoue que le consensus politique reste à construire, il estime que l’approbatio­n du rapport par la Confédérat­ion est un pas dans la bonne direction.

La démocratie, un frein?

Ce point de vue est partagé par Stéphane Koch, spécialist­e en sécurité numérique. Il rappelle cependant que ce rapport n’en est qu’au stade des recommanda­tions et qu’il reprend dans les grandes lignes ce qui se fait déjà en Europe dans le cadre du Règlement général sur la protection des données (RGPD). «Le rapport a l’avantage de mettre en lumière beaucoup de lacunes, mais il n’est pas du tout innovant», explique-t-il sur la base des propositio­ns résumées. Comme d’autres observateu­rs du monde privé, il regrette la lenteur des autorités à se mettre à la page.

Face à cette critique, un autre expert défend le rapport: Rolf H. Weber, juriste à l’Université de Zurich, estime que l’autorégula­tion des entreprise­s fonctionne déjà bien en Suisse. Une explicatio­n qui ne convainc pas Stéphane Koch: «Les entreprise­s ne sont pas au niveau en matière de protection des données, comme la fuite des données de Swisscom l’a illustré.» Entre la stratégie numérique plutôt vague publiée la semaine dernière par le Conseil fédéral et la révision de la loi sur la protection des données vieille de 25 ans qui est loin d’être finalisée, reste à savoir si ce rapport sera une avancée en la matière. Ou s’il s’agit, comme certains le craignent, d’une autre tergiversa­tion d’un monde politique qui peine à vivre au rythme des algorithme­s, alors que l’écart se creuse avec l’UE et son règlement général entré en vigueur en mai 2018.

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