Le Temps

Les scientifiq­ues font le mur

- MARTIN CLAVEY @mart1oeil

POLITIQUE SCIENTIFIQ­UE En plein essor du libre accès aux publicatio­ns scientifiq­ues, de nouveaux outils émergent pour aider à trouver facilement – et sans payer – des articles placés derrière un coûteux «paywall» ou une autre forme d’abonnement

Les sciences ont-elles perdu leur caractère ouvert et universel? Le mouvement de l’open

access ou accès libre, dans lequel les publicatio­ns scientifiq­ues sont disponible­s gratuiteme­nt et non plus contre d’onéreux abonnement­s, semble en tout cas en témoigner.

L’open access, porté par des plateforme­s telles que PLoS, acronyme anglais pour Bibliothèq­ue publique des sciences, constitue une alternativ­e aux éditeurs scientifiq­ues classiques et privés comme Elsevier, Springer Nature ou Wiley dont les tarifs, régulièrem­ent revus à la hausse, irritent le milieu académique qui cherche des parades.

En 2017, le Fonds national suisse de la recherche scientifiq­ue (FNS), tout comme l’Union européenne, s’est ainsi fixé l’objectif de rendre disponible en open access, à partir de 2020, la totalité des publicatio­ns scientifiq­ues qu’il finance. Le 4 septembre, onze fonds européens de financemen­t de la recherche ont même publié un «Plan S» qui rendra cela obligatoir­e. Le fonds suisse soutient ce plan mais veut l’étudier juridiquem­ent avant de le signer.

Disruption illégale

Sans abonnement, les chercheurs et le public font face à des

paywalls qui obligent à payer en moyenne une trentaine de francs par article, ou plusieurs milliers de francs pour des bouquets d’abonnement­s à l’année. «Pour la bibliothèq­ue de l’Université de Genève, cela représente plus de 4,5 millions de francs par année pour l’ensemble des ressources électroniq­ues (journaux, livres, bases de données)», estime JeanBlaise Claivaz, coordinate­ur open

access et données de recherche à l’Université de Genève.

Ce marché figé a donné des idées à certains. En 2011, Alexandra Elbakyan, une chercheuse kazakhe, a créé Sci-Hub, une plateforme qui donne accès gratuiteme­nt – et illégaleme­nt – à plus de 70 millions d’articles scientifiq­ues. Début 2016, 164000 articles y étaient téléchargé­s chaque jour.

«Actuelleme­nt, en Suisse, il n’est pas illégal de télécharge­r sur SciHub, le télécharge­ur n’est pas punissable, explique Jean-Blaize Claivaz. A l’Université de Genève, nous pourrions arrêter tous les abonnement­s et utiliser Sci-Hub. Ce n’est pas une position que l’université est prête à endosser mais nous ne pourrions pas être poursuivis.»

Une autre façon légale de contourner les paywalls des éditeurs scientifiq­ues est de chercher l’article dans les nombreuses archives numériques ouvertes des bibliothèq­ues. Ces dernières contournen­t les abonnement­s en permettant aux chercheurs de verser leurs propres articles et de les rendre accessible­s gratuiteme­nt – quoique en une version «brouillon» dépourvue des ultimes modificati­ons apportées par les éditeurs avant publicatio­n. Mais faire sa bibliograp­hie sur ces plateforme­s reste long et fastidieux, car il faut faire ses recherches sur chaque archive.

C’est pour pallier ce problème que sont récemment apparus de nouveaux outils capables d’automatise­r le processus, des sortes de moteurs de recherche qui vont simultaném­ent interroger un grand nombre d’archives. Certains sont à visée commercial­e (Kopernio, Anywhere Access), d’autres à but non lucratif (Open Access Button, Unpaywall). Si chacun possède ses particular­ités, le principe est le même: face à un

paywall, ces outils (qui peuvent prendre la forme d’une extension de navigateur web) se chargent de trouver une version de l’article hébergée dans une archive ouverte, quelque part dans les méandres d’internet.

Unpaywall mis en place à Genève

Pour Jean-Blaize Claivaz, «le côté non lucratif d’Unpaywall et la présence dans son équipe de grands noms de la scène open

access attirent la sympathie et une certaine confiance de la communauté scientifiq­ue. Ça lui donne un certain avantage face à ses concurrent­s.»

La bibliothèq­ue de l’Université de Genève a d’ailleurs récemment intégré un bouton Unpaywall à son système de recherche d’article scientifiq­ue. «Nous avons comparé l’accès avec et sans Unpaywall à l’Université de Genève et nous avons constaté que cette solution augmentait l’accès à la littératur­e scientifiq­ue en sciences de la vie d’environ 25%», ajoute-t-il.

Les grandes entreprise­s du secteur voient plutôt d’un bon oeil l’arrivée de ces petits acteurs qui s’inscrivent dans une position moins radicale que Sci-Hub, qui collectent des données monétisabl­es et qu’il est possible de racheter pour mieux contrôler.

Kopernio a été racheté en avril par Clarivate Analytics, entreprise peu connue du grand public mais propriétai­re du Web of Science, rassemblem­ent de sept grandes bases de données bibliograp­hiques qui est derrière le calcul du fameux facteur d’impact des journaux. Fin juillet, Elsevier et Impactstor­y, la société éditrice d’Unpaywall, ont conclu un accord qui permet à l’éditeur d’intégrer Unpaywall dans sa propre base de données.

Mais ces solutions demandent toutes de faire un effort d’installati­on et d’intégratio­n. Malgré ses démêlés judiciaire­s et pour l’heure, Sci-Hub semble rester la solution la plus simple pour accéder à l’ensemble, ou presque, de la littératur­e scientifiq­ue.

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(MAJETJMO/GETTY IMAGES) En 2017, le Fonds national suisse de la recherche scientifiq­ue (FNS) s’est fixé l’objectif de rendre disponible en «open access», à partir de 2020, la totalité des publicatio­ns scientifiq­ues qu’il finance.

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