Porté par un magnifique trio d’actrices, «Figlia mia» questionne la figure maternelle
Le deuxième long métrage de l’Italienne Laura Bispuri, «Figlia mia», met en scène une fillette tiraillée entre deux figures maternelles. Il est porté par un magnifique trio d’actrices
Vittoria (Sara Casu) et Angelica (Alba Rohrwacher).
Vittoria a 10 ans. Elle vit en Sardaigne, ses parents travaillent dans une pisciculture, sa vie est déjà un long fleuve tranquille. C’est alors qu’elle croise la route d’Angelica, une femme de tempérament, libre, mais aussi alcoolique et au bord de la rupture, vivant dans une ferme délabrée dont elle ne peut plus payer les traites. Angelica est l’antithèse de Tina, la mère de Vittoria. Alors forcément, la fillette va être irrémédiablement attirée par cet autre modèle maternel, promesse d’une vie moins stable, moins formatée et donc plus amusante. Angelica, elle, sait comment on embrasse les garçons.
Un instinct maternel qui ressurgit
La réalisatrice Laura Bispuri désamorce assez rapidement le léger suspense que les premières séquences mettent doucement en place. On comprend très vite, avant même que cela ne soit révélé, qu’Angelica est la mère biologique de Vittoria. Elle n’a jamais pu, ni même voulu, s’en occuper, et l’a confiée à Tina et son mari. Mais voilà que face à cette préadolescente à la chevelure de braise et au tempérament doucement rebelle, ressurgit l’instinct maternel qu’elle avait toujours tenté d’occulter.
Figlia mia est le deuxième long métrage de Laura Bispuri, née à Rome il y a un peu plus de quarante ans. De nouveau coproduit avec la Suisse, il se déroule en Sardaigne, que la cinéaste filme comme un paysage de western (elle ouvre d’ailleurs son film sur un rodéo) où s’entremêlent la poussière d’une terre aride et le bleu profond de la Méditerranée. Deux motifs qui renvoient aux émotions contradictoires qui animent Vittoria, entre un quotidien trop calme réglé par une mère trop
Les deux femmes sont chacune à leur manière une «mater dolorosa» portant sa croix, entre frustration de n’être qu’une mère de substitution et culpabilité de l’abandon
conventionnelle, et l’utopie d’une vie sauvage mais sans confort.
Vittoria est un très beau personnage, qu’interprète avec beaucoup d’aplomb la jeune Sara Casu, repérée par la réalisatrice en Sardaigne. Il fallait, pour l’accompagner, deux actrices ayant le talent de ne pas la vampiriser tout en donnant à Tina et Angelica la profondeur psychologique nécessaire à l’équilibre d’un récit qui, finalement, pose cette question: qu’est-ce qu’être mère? Valeria Golino et Alba Rohrwacher ont ce talent. Elles sont chacune à leur manière une mater dolorosa portant sa croix, entre frustration de n’être qu’une mère de substitution et culpabilité de l’abandon.
Il y a trois ans, dans Vierge sous serment, Laura Bispuri confiait à Alba Rohrwacher le rôle d’une Albanaise vivant, selon une vieille coutume, comme un homme. Emigrée à Milan, celle-ci tentait alors de se reconnecter avec sa féminité, comme ici Angelica essaie de (re)devenir mère. Les deux films se répondent, l’Italienne les ancre magnifiquement dans une géographie tout en développant des thèmes universels. Aux côtés de sa consoeur Alice Rohrwacher (la soeur d’Alba), elle parvient à parfaitement conjuguer héritage du néoréalisme et cinéma d’auteur contemporain. ▅
Figlia mia, de Laura Bispuri (Italie, Allemagne, Suisse, 2018), avec Valeria Golino, Alba Rohrwacher, Sara Casu, Michele Carboni, Udo Kier, 1h37.