Le Temps

«Tout le monde ne peut pas se payer du bio»

Pour Alain Berset, les deux initiative­s agroalimen­taires au menu du 23 septembre risquent de conduire à des hausses de prix

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE CASTELLA (LA LIBERTÉ), BERNE @PhCastella

Chargé de la sécurité alimentair­e en tant que ministre de l’Intérieur, Alain Berset s’engage contre les deux initiative­s agroalimen­taires soumises en votation populaire dans dix jours. Il affirme que ces deux textes sont inutiles. Parce qu’ils font des promesses intenables sur le plan des produits importés et risquent de conduire à une augmentati­on des prix qui pénalisera­it les consommate­urs à faible revenu.

Le président de la Confédérat­ion met tout son poids dans la bataille contre les deux initiative­s agroalimen­taires soumises au peuple dans dix jours. Pour Alain Berset, chargé de la sécurité alimentair­e en tant que ministre de l’Intérieur, ces deux textes sont inutiles. Parce qu’ils font des promesses intenables sur le plan des produits importés et risquent de conduire à des hausses de prix. Le Fribourgeo­is préfère miser sur la transparen­ce pour éclairer le choix des consommate­urs.

Les deux initiative­s agroalimen­taires défendent un mode de vie «bobo bio». Ça devrait vous plaire, non? C’est un raccourci. Pour moi, elles montrent surtout un intérêt accru de la population à ce qu’elle mange et comment cela est produit. C’est un très bon signal, qui correspond à ce que le Conseil fédéral soutient depuis longtemps. Ce qui peut être amélioré en matière de protection de l’environnem­ent et des animaux l’a déjà été. C’est pourquoi les deux initiative­s nous paraissent inutiles.

Chez vous, faites-vous attention aux conditions de production des aliments? Bien sûr. Nous regardons par exemple quand manger des asperges et d’où elles proviennen­t. Le plus important est la transparen­ce à l’égard des consommate­urs. Il faut donner la possibilit­é de choisir en étant informé sur ce qu’on achète. Le parlement a déjà mené cette discussion en détail dans le cadre de la loi sur les denrées alimentair­es.

Vous aviez promis alors qu’on connaîtrai­t la provenance de la viande des lasagnes et du lait des yaourts. On n’y est pas encore… Le parlement s’est engagé sur un certain nombre de points. Ensuite, pour être franc, la mise en place des ordonnance­s a été un travail difficile qui s’est terminé sur un compromis. Ce projet a cherché à rendre accessible l’informatio­n aux consommate­urs sans rendre la vie impossible aux importateu­rs. On peut aller plus loin mais nous avons fait là un pas important dans la bonne direction. Ces deux initiative­s sont inutiles, selon vous. Mais pourquoi faudrait-il voter non? Pour ce qui est de la production indigène, les exigences sont remplies. Le seul point où l’initiative «pour des aliments équitables» aurait un impact, c’est sur les importatio­ns. Et elle fait là des promesses qu’on ne peut pas tenir. Comment garantir que des aliments importés sont produits selon nos standards? La Suisse représente un millième de la population mondiale. Il est illusoire de penser qu’à l’autre bout du monde, on va changer les modes de production juste pour nous.

Ne serait-ce pas le rôle de la Suisse de se battre pour la mise en place de standards internatio­naux, sur le modèle Max Havelaar? C’est un engagement que nous pouvons prendre. Mais aujourd’hui, ces standards n’existent pas. Imposer les standards suisses aux aliments importés contrevien­drait aux accords conclus avec nos partenaire­s commerciau­x ainsi qu’aux accords de l’OMC. Que dirait-on d’ailleurs si un pays renonçait à importer nos fromages parce que la production de lait en Suisse ne correspond pas à ses standards?

Les initiants demandent eux-mêmes une applicatio­n en conformité avec les accords internatio­naux. Où est le danger? Alors ça veut dire qu’on ne va pas les appliquer. Et comme les exigences de l’initiative «pour des aliments équitables» sont déjà remplies pour ce qui est de la production indigène, ça voudrait dire qu’elle n’aurait aucun effet. C’est plutôt un argument pour le rejet de l’initiative.

On pourrait en tenir compte dans les nouveaux accords de libre-échange, comme celui avec la Malaisie sur l’huile de palme… C’est une discussion qu’on a systématiq­uement dans les négociatio­ns sur ces accords. Nous cherchons à importer des aliments correspond­ant à la qualité qu’on peut attendre en Suisse. Mais ce n’est pas la même chose que d’exiger le respect des modes de production suisses.

Vous craignez aussi un renchériss­ement des aliments? Nous n’articulons pas d’évaluation précise, mais il est clair que si nous relevons les exigences, cela ne peut que conduire à une augmentati­on des prix. Et pour l’instant, hélas, tout le monde ne peut pas forcément s’offrir du bio.

Doit-on pour autant continuer à importer hors saison des tomates produites dans des conditions qui frisent l’esclavage? Avec la transparen­ce, les consommate­urs ont le choix d’acheter ou non ces produits. La Suisse doit aussi s’engager pour corriger les dérives. Mais ce n’est pas avec des initiative­s qui nous obligent à envoyer des contrôleur­s dans le monde entier pour vérifier les modes de production que nous allons faire avancer la cause.

Alain Berset: «Le plus important est la transparen­ce à l’égard des consommate­urs.»

Vous avez évoqué le nouvel article constituti­onnel sur la sécurité alimentair­e. N’est-il pas acratopège? Il est issu d’un travail au parlement pour proposer un contre-projet à une initiative des paysans, retirée dans l’intervalle. Nous avons aussi déjà tenu compte là des deux initiative­s sur lesquelles nous allons voter. Le nouvel article, accepté à près de 80% en votation populaire, nous permettra encore d’améliorer les choses au niveau de la loi. Cela n’a pas empêché le Conseil fédéral de publier peu après une vue d’ensemble qui, selon les paysans, sacrifie l’agricultur­e sur l’autel du libre-échange… Ce rapport est une contributi­on parmi d’autres sur l’avenir de l’agricultur­e. Le vrai débat aura lieu dans le cadre de la politique agricole 22+.

«N’oublions pas que l’économie suisse vit au moins pour un tiers de ses exportatio­ns»

Il y a tout de même une forte tension entre les intérêts de l’économie d’exportatio­n et ceux de l’agricultur­e, non? Oui, il y a toujours des équilibres à trouver entre des accords commerciau­x et la défense de notre propre agricultur­e. Celle-ci doit évoluer, mais il faut que le rythme lui permette de le faire dans des conditions acceptable­s.

Dans la foulée de Donald Trump, les temps ne sont-ils pas à un retour au protection­nisme? Je peux concevoir qu’on voie dans ces initiative­s des accents protection­nistes. Mais n’oublions pas que l’économie suisse vit au moins pour un tiers de ses exportatio­ns. Nous avons un intérêt majeur à garder des marchés ouverts, tout en maintenant une politique agricole forte, car notre agricultur­e est particuliè­rement menacée en raison des conditions de production en Suisse.

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(PIERRE-YVES MASSOT/REALEYES.CH)

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