«Tout le monde ne peut pas se payer du bio»
Pour Alain Berset, les deux initiatives agroalimentaires au menu du 23 septembre risquent de conduire à des hausses de prix
Chargé de la sécurité alimentaire en tant que ministre de l’Intérieur, Alain Berset s’engage contre les deux initiatives agroalimentaires soumises en votation populaire dans dix jours. Il affirme que ces deux textes sont inutiles. Parce qu’ils font des promesses intenables sur le plan des produits importés et risquent de conduire à une augmentation des prix qui pénaliserait les consommateurs à faible revenu.
Le président de la Confédération met tout son poids dans la bataille contre les deux initiatives agroalimentaires soumises au peuple dans dix jours. Pour Alain Berset, chargé de la sécurité alimentaire en tant que ministre de l’Intérieur, ces deux textes sont inutiles. Parce qu’ils font des promesses intenables sur le plan des produits importés et risquent de conduire à des hausses de prix. Le Fribourgeois préfère miser sur la transparence pour éclairer le choix des consommateurs.
Les deux initiatives agroalimentaires défendent un mode de vie «bobo bio». Ça devrait vous plaire, non? C’est un raccourci. Pour moi, elles montrent surtout un intérêt accru de la population à ce qu’elle mange et comment cela est produit. C’est un très bon signal, qui correspond à ce que le Conseil fédéral soutient depuis longtemps. Ce qui peut être amélioré en matière de protection de l’environnement et des animaux l’a déjà été. C’est pourquoi les deux initiatives nous paraissent inutiles.
Chez vous, faites-vous attention aux conditions de production des aliments? Bien sûr. Nous regardons par exemple quand manger des asperges et d’où elles proviennent. Le plus important est la transparence à l’égard des consommateurs. Il faut donner la possibilité de choisir en étant informé sur ce qu’on achète. Le parlement a déjà mené cette discussion en détail dans le cadre de la loi sur les denrées alimentaires.
Vous aviez promis alors qu’on connaîtrait la provenance de la viande des lasagnes et du lait des yaourts. On n’y est pas encore… Le parlement s’est engagé sur un certain nombre de points. Ensuite, pour être franc, la mise en place des ordonnances a été un travail difficile qui s’est terminé sur un compromis. Ce projet a cherché à rendre accessible l’information aux consommateurs sans rendre la vie impossible aux importateurs. On peut aller plus loin mais nous avons fait là un pas important dans la bonne direction. Ces deux initiatives sont inutiles, selon vous. Mais pourquoi faudrait-il voter non? Pour ce qui est de la production indigène, les exigences sont remplies. Le seul point où l’initiative «pour des aliments équitables» aurait un impact, c’est sur les importations. Et elle fait là des promesses qu’on ne peut pas tenir. Comment garantir que des aliments importés sont produits selon nos standards? La Suisse représente un millième de la population mondiale. Il est illusoire de penser qu’à l’autre bout du monde, on va changer les modes de production juste pour nous.
Ne serait-ce pas le rôle de la Suisse de se battre pour la mise en place de standards internationaux, sur le modèle Max Havelaar? C’est un engagement que nous pouvons prendre. Mais aujourd’hui, ces standards n’existent pas. Imposer les standards suisses aux aliments importés contreviendrait aux accords conclus avec nos partenaires commerciaux ainsi qu’aux accords de l’OMC. Que dirait-on d’ailleurs si un pays renonçait à importer nos fromages parce que la production de lait en Suisse ne correspond pas à ses standards?
Les initiants demandent eux-mêmes une application en conformité avec les accords internationaux. Où est le danger? Alors ça veut dire qu’on ne va pas les appliquer. Et comme les exigences de l’initiative «pour des aliments équitables» sont déjà remplies pour ce qui est de la production indigène, ça voudrait dire qu’elle n’aurait aucun effet. C’est plutôt un argument pour le rejet de l’initiative.
On pourrait en tenir compte dans les nouveaux accords de libre-échange, comme celui avec la Malaisie sur l’huile de palme… C’est une discussion qu’on a systématiquement dans les négociations sur ces accords. Nous cherchons à importer des aliments correspondant à la qualité qu’on peut attendre en Suisse. Mais ce n’est pas la même chose que d’exiger le respect des modes de production suisses.
Vous craignez aussi un renchérissement des aliments? Nous n’articulons pas d’évaluation précise, mais il est clair que si nous relevons les exigences, cela ne peut que conduire à une augmentation des prix. Et pour l’instant, hélas, tout le monde ne peut pas forcément s’offrir du bio.
Doit-on pour autant continuer à importer hors saison des tomates produites dans des conditions qui frisent l’esclavage? Avec la transparence, les consommateurs ont le choix d’acheter ou non ces produits. La Suisse doit aussi s’engager pour corriger les dérives. Mais ce n’est pas avec des initiatives qui nous obligent à envoyer des contrôleurs dans le monde entier pour vérifier les modes de production que nous allons faire avancer la cause.
Alain Berset: «Le plus important est la transparence à l’égard des consommateurs.»
Vous avez évoqué le nouvel article constitutionnel sur la sécurité alimentaire. N’est-il pas acratopège? Il est issu d’un travail au parlement pour proposer un contre-projet à une initiative des paysans, retirée dans l’intervalle. Nous avons aussi déjà tenu compte là des deux initiatives sur lesquelles nous allons voter. Le nouvel article, accepté à près de 80% en votation populaire, nous permettra encore d’améliorer les choses au niveau de la loi. Cela n’a pas empêché le Conseil fédéral de publier peu après une vue d’ensemble qui, selon les paysans, sacrifie l’agriculture sur l’autel du libre-échange… Ce rapport est une contribution parmi d’autres sur l’avenir de l’agriculture. Le vrai débat aura lieu dans le cadre de la politique agricole 22+.
«N’oublions pas que l’économie suisse vit au moins pour un tiers de ses exportations»
Il y a tout de même une forte tension entre les intérêts de l’économie d’exportation et ceux de l’agriculture, non? Oui, il y a toujours des équilibres à trouver entre des accords commerciaux et la défense de notre propre agriculture. Celle-ci doit évoluer, mais il faut que le rythme lui permette de le faire dans des conditions acceptables.
Dans la foulée de Donald Trump, les temps ne sont-ils pas à un retour au protectionnisme? Je peux concevoir qu’on voie dans ces initiatives des accents protectionnistes. Mais n’oublions pas que l’économie suisse vit au moins pour un tiers de ses exportations. Nous avons un intérêt majeur à garder des marchés ouverts, tout en maintenant une politique agricole forte, car notre agriculture est particulièrement menacée en raison des conditions de production en Suisse.
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