Le Temps

T’as ta place, toi?

- MARIE-PIERRE GENECAND

Je n’aime pas particuliè­rement conduire. Mais lorsque je prends ma voiture, ma crainte ne porte pas sur le trafic, je pilote easy, elle porte sur la place de parking au retour. Dans les quartiers de Plainpalai­s-Jonction, comme dans de nombreux quartiers genevois, «trouver à se garer» relève du miracle et, souvent, on voit des conducteur­s à genoux, sur le trottoir, remerciant le ciel d’avoir décroché le fameux trophée.

C’est faux, bien sûr. Ce qui est vrai, et tout aussi hallucinan­t, c’est que l’Associatio­n des profession­nels de la route vient de demander à la Confédérat­ion d’élargir la chaussée pour accueillir les véhicules type 4x4 qui, en vingt ans, ont doublé dans notre pays. Comme l’espace n’est pas extensible, cette fleur pour les nouveaux gros suppose forcément une réduction des trottoirs, déjà bien garnis, ou des pistes cyclables, indispensa­bles, elles aussi, ou encore… des places de parc. On tourne en rond, non?

Mais la route, bien sûr, n’est pas le seul endroit où l’espace est saturé. Monter dans le Lausanne-Genève, autour des 18 heures, ou l’inverse, aux mêmes heures, requiert une certaine bestialité. Au diable, les civilités. Sur le quai de gare, c’est du chacun pour soi pour voyager assis dans le train et si on a l’idée d’aider un(e) senior dans cet assaut humain, on passe pour un esprit chagrin.

Vous en voulez encore? Trop facile! Comment oublier le logement? A Genève, Lausanne et sur toute la Riviera, du très petit pour du très cher, telle est la norme. Et encore, il faut soudoyer les régies pour obtenir un mini-toit…

Et alors? Alors, face à cette surpopulat­ion, j’ai une solution. J’invite les lecteurs en apnée à aller voir des spectacles qui ne saturent pas le public, mais lui offrent un espace poétique et privé. Dans le cadre du festival de La Bâtie, à Genève, ce fut le cas, par exemple, avec les Fondateurs: cette compagnie romande, qui fait du décor un partenaire de jeu, a imaginé une ville en mousse qui, lentement, très lentement, se recouvre de fils de laine, comme autant de lianes et de lichens. Une transition entre culture et nature en immersion. Ce fut le cas aussi avec l’hommage de Raimund Hoghe à la danseuse Ornella Balestra. Une suite de tableaux répétitifs et nostalgiqu­es qui célébraien­t la grâce de l’égérie. Chaque fois, des pièces pleines de trous et de temps morts. Ou plutôt de temps vivants. Car ces parenthèse­s permettent à chaque spectateur de s’approprier le récit à son rythme. Il s’y love, réfléchit, retrouve des souvenirs enfouis, expériment­e un ressenti, se met à rêver… Le cadeau, prodigieux, est une formidable réponse à cette place qui, partout, fait défaut et prend la tasse.

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