Jean-Claude Juncker, le précipice bruxellois
Le président de la Commission européenne prononce ce mercredi à Strasbourg son dernier discours sur «l’état de l’Union». La quasi-clôture politique d’un mandat décevant
Les images ont fait le tour du monde. Les 11 et 12 juillet à Bruxelles, Jean-Claude Juncker, 63 ans, assiste au sommet de l’OTAN. Le président de la Commission européenne titube, s’appuie sur ses homologues pour marcher, et manque même de tomber à la renverse. Malaise. Le patron de l’exécutif communautaire, attendu ce mercredi à Strasbourg pour son dernier discours sur «l’état de l’Union» devant le Parlement européen, est-il encore capable d’exercer ses fonctions? Motus. Le diagnostic de sciatique distillé par son entourage ne dissipe plus les rumeurs d’alcoolisme qui l’accompagnent depuis sa nomination, à l’automne 2014: «Juncker? C’est un peu l’histoire d’un naufrage programmé, nous expliquait en mai l’ancien eurodéputé vert Daniel Cohn-Bendit. Dix ans plus tôt, il aurait transformé l’Union. Mais il est arrivé trop tard au Berlaymont. Et son état de santé n’a rien arrangé.»
Le Berlaymont justement. A Bruxelles, le siège de la Commission européenne rêvait, en 2014, d’un retour en force. Cinq ans après, le constat est aux antipodes. Le courage personnel et le volontarisme européen de Juncker ont buté sur les réalités. L’ombre de la crise financière de 2008 continue de planer sur la zone euro. Le débat sur l’accueil des migrants est une bombe à retardement que les populistes ont bien l’intention de garder dégoupillée dans les prochains mois, d’ici aux élections européennes de la fin mai 2019.
«Plus peur à personne»
Le fameux plan Juncker d’investissement, doté de 300 milliards d’euros et débloqué entre 2015 et 2017, n’a pas réussi, comme le souhaitait l’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt, à «mettre fin au spectacle de l’impuissance des Etats européens face aux défis de la mondialisation». La Pologne et la Hongrie s’en prennent ouvertement à l’Etat de droit, pilier de l’intégration communautaire. «Juncker ne fait plus peur à personne. Il n’y a que vous, les Suisses, pour le diaboliser», sourit un haut fonctionnaire de la Commission, en référence au différend survenu en novembre 2017, à Berne, entre l’ancien premier ministre luxembourgeois et Doris Leuthard.
Jean-Claude Juncker a donc échoué. Lui, ce «junior» couvé par l’ancien chancelier allemand Helmut Kohl, cet Européen convaincu, a succombé. Jusqu’à se mettre à dos son meilleur allié, la presse, après sa décision, en février 2018, de nommer contre toutes les règles en vigueur son chef de cabinet, l’Allemand Martin Selmayr, au poste crucial de secrétaire général de la Commission. Ce mercredi à Strasbourg, il est d’ailleurs probable que les eurodéputés attaquent à nouveau ce dernier. Face aux journalistes, l’ambassadeur hongrois à Bruxelles s’est ainsi fait une spécialité de riposter aux critiques sur l’autoritarisme de Viktor Orban en dénonçant «l’ambiance de dictature» au Berlaymont.
Plusieurs porte-parole de l’exécutif, en privé, se disent «dégoûtés» de la vacance du pouvoir politique qui en résulte. Même la commissaire libérale danoise à la Concurrence Margrethe Vestager, présentée comme la favorite d’Emmanuel Macron pour succéder à Jean-Claude Juncker face au Français Michel Barnier, accuse le coup. «Juncker rendrait service à l’Europe en appuyant sa candidature, explique un ambassadeur d’un pays membre. Mais il n’en paraît même plus capable. Pire: son soutien pourrait la desservir…» ▅