Le Temps

Grandir sans mesure, la grande peur des communes

- CÉLINE ZÜND, ZURICH @celinezund

A Emmen, l’UDC vise un taux de croissance démographi­que plafonné à 0,7%.

Plusieurs communes d’agglomérat­ion voient leur population gonfler à toute vitesse. Les infrastruc­tures peinent à s’adapter. Des initiative­s, lancées par des élus ou des citoyens, réclament des mesures pour freiner cette croissance

Emmen compte 30000 âmes. Mais la population et le parlement ont refusé à plusieurs reprises, par le passé, l’appellatio­n officielle de «ville», à laquelle toute commune suisse peut prétendre au-delà de 10000 habitants. Cette localité lucernoise fait parler d’elle outre-Sarine pour une offensive visant à freiner son développem­ent. Lancée par l’UDC, l’initiative «Emmen doit grandir de manière raisonnabl­e» vise à réduire la croissance démographi­que à 0,7% par an au cours des cinq prochaines années. La population devrait se prononcer à ce sujet l’an prochain.

Emmen n’est pas seule. Plusieurs localités alémanique­s tentent d’enrayer la densificat­ion, de restreindr­e les zones constructi­bles ou de limiter la taille du bâti. A Möhlin, en Argovie, des groupes d’intérêt se sont constitués pour réclamer qu’une zone destinée à accueillir un nouveau quartier retrouve son statut initial de terrain agricole. A Bassersdor­f, un village zurichois passé de 6800 habitants en 1995 à 11600 en 2015, un habitant a tenté via une initiative d’interdire la constructi­on d’immeubles au-delà de 25 mètres de hauteur, ainsi que de faire capoter un projet de constructi­on de 3000 logements. Dans le même canton, des habitants de Wädenswil souhaitent aussi limiter la taille des nouveaux bâtiments, dans le but de freiner la constructi­on d’un quartier comprenant une école, des logements et des commerces.

En Suisse, quiconque a le droit de s’installer où il le désire. Edicter une interdicti­on de s’établir serait contraire à ce principe. Aussi, pour infléchir l’afflux d’habitants, les détracteur­s de la croissance tentent d’agir sur le plan de l’aménagemen­t du territoire. Le texte des initiants d’Emmen, par exemple, propose d’intervenir sur les permis de construire. Le logement de haut standing doit être favorisé, estiment les initiants, afin d’attirer des contribuab­les moins nombreux, mais plus aisés.

Une âme de village dans un corps de ville

Souvent, il s’agit de communes en marge de villes plus importante­s, qui ont connu une forte expansion au cours des dernières décennies. Elles absorbent malgré elles une population cherchant à échapper aux logements chers des centres urbains, où à se rapprocher de la nature sans s’éloigner des axes de transport. Les indigènes se réveillent avec une âme de villageois dans un corps de ville. Mais les préoccupat­ions de ces localités qui ont grandi trop vite sont aussi d’ordre financier.

«La population d’Emmen a une croissance de 1,9%, c’est deux fois trop. Si on continue ainsi, nous serons 45000 dans vingt-cinq ans. Il faut construire toujours plus de routes, d’écoles. Les finances ne suivent pas. En 2017, nous avons enregistré un déficit de 12,5 millions de francs», explique Markus Schumacher, auteur de l’initiative et membre du conseil communal d’Emmen.

Cette peur de grandir rappelle l’initiative fédérale Ecopop, qui visait à freiner la croissance dans l’ensemble de la Suisse et réunissait dans une cause commune écologiste et anti-immigratio­n. L’élu UDC affirme que son initiative ne vise pas les 30% d’étrangers que compte Emmen. «Nous n’avons pas un problème à la Chemnitz, ici: les étrangers sont bien intégrés. L’industrie sidérurgiq­ue, textile ou alimentair­e a toujours attiré une population d’immigrés. On ne dit pas qu’il y a trop de pauvres. Mais nous avons besoin de davantage de riches», dit-il. Il pointe aussi du doigt la responsabi­lité de la grande ville voisine, Lucerne, où il ne fait plus assez bon vivre selon lui: «Les habitants exaspérés par l’afflux de touristes viennent se réfugier dans les agglomérat­ions, comme Emmen.»

«La population d’Emmen a une croissance de 1,9%, c’est deux fois trop» MARKUS SCHUMACHER, CONSEILLER COMMUNAL

Problème: ces localités qui s’insurgent représente­nt souvent des pôles stratégiqu­es pour les plans de développem­ent cantonaux. «Selon le plan cantonal, les communes du centre telles qu’Emmen ont un potentiel de croissance de 1%. Mais nous ne pouvons les forcer à grandir plus que ce qu’elles ne souhaitent. Fixer une limite de 0,7% n’est pas illégal», souligne le responsabl­e du service cantonal lucernois chargé de l’aménagemen­t du territoire, Mike Siegrist.

L’exemple de Hochdorf

Ces frondes locales contrarien­t la volonté de densifier les agglomérat­ions. La loi sur l’aménagemen­t du territoire implique de développer en priorité les espaces déjà construits, pour éviter de grignoter le territoire rural. Un cas concret montre les difficulté­s posées aux autorités locales, souvent prises en étau entre le canton et leur population. En janvier 2015, la population de Hochdorf, presque 10000 habitants et située à quelques kilomètres d’Emmen, acceptait à 54% une propositio­n en tout point identique à celle de sa voisine, visant à limiter la croissance à 0,7% sur cinq ans, soit maximum 70 nouveaux habitants par an.

Depuis, dans cette localité, plusieurs projets de constructi­on ont été suspendus, car ils auraient conduit à une hausse du nombre de logements, explique Roland Emmenegger, municipal responsabl­e des constructi­ons et du transport. Pour l’exécutif, qui était opposé à cette initiative anti-croissance, la mise en oeuvre de la volonté populaire représente un «défi». L’exécutif a concocté une révision du règlement communal des constructi­ons, mais elle attend encore une validation des autorités cantonales. Une interpréta­tion stricte du texte de l’initiative impliquera­it qu’aucune nouvelle zone de constructi­on, ni de densificat­ion à l’intérieur des quartiers d’habitation ne sera possible à l’avenir. Mais sur le plan cantonal, Hochdorf figure comme un lieu de croissance au-dessus de la moyenne.

«Ces initiative­s montrent que la population se soucie des questions d’aménagemen­t du territoire et de trafic. En particulie­r dans les communes qui ont connu une hausse démographi­que rapide. Mais on oublie les avantages de cette croissance: à Hochdorf, elle nous a permis d’améliorer les transports publics, l’accès aux soins médicaux, le nombre de places de travail, le logement pour les personnes âgées, ainsi que les finances publiques», relève Roland Emmenegger.

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(KEYSTONE/URS FLUEELER)

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