Le Temps

En France, un «génie suisse» impossible à exporter

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Arrivé à Paris mardi, le président de la Confédérat­ion rencontrer­a ce mercredi Emmanuel Macron à l’Elysée. Il pourra lui offrir «Le génie des Suisses», un nouvel essai tout juste paru

S’il comptait offrir à Emmanuel Macron un mode d’emploi de la Suisse, Alain Berset en aura un sous la main ce mercredi. Tout juste débarqué en librairie, Le génie des Suisses détaille, en plus de 500 pages, le modèle helvétique, ses caractéris­tiques, ses succès et aussi (en mode mineur) ses difficulté­s et ses limites. Son auteur, l’universita­ire franco-suisse François Garçon, est un habitué du genre. Son dernier essai La Suisse, pays le plus heureux du monde, vantait déjà les mérites de la Confédérat­ion. Avec la volonté de démontrer au passage le fossé abyssal entre une Suisse décentrali­sée, pragmatiqu­e et méritocrat­e, et une France verrouillé­e par son rejet de l’économie libérale, son Etat bien trop omnipotent et, surtout, ses élites parisienne­s formatées dans les fameuses «grandes écoles».

«Génie des Suisses» donc? François Garçon tempère, mais confirme. «Je ne parle pas bien sûr de génie au sens strict. Les Suisses ne sont pas plus intelligen­ts que les autres. Notre génie collectif est d’avoir trouvé les bons mécanismes de pouvoir et de fonctionne­ment d’une économie nationale de taille moyenne dans la mondialisa­tion.» Une leçon qu’Emmanuel Macron, ce jeune président réformateu­r, pourrait entendre? «Je ne le crois malheureus­ement pas, poursuit l’auteur. Macron a de l’intérêt pour la réussite suisse en matière de start-up, d’innovation, de recherche ou d’apprentiss­age pour les jeunes. Mais le système français ne peut pas importer de telles recettes. Ici, tout se décide d’en haut. La caste d’administra­teurs sortis de l’Ecole nationale d’administra­tion et d’ingénieurs diplômés de Polytechni­que ou de l’école des Mines tient tous les verrous. On ne vous juge pas, comme en Suisse, sur vos résultats. On vous juge sur votre classement de sortie à l’ENA voici trente ans, alors que vous n’aviez même pas encore perçu votre premier salaire…»

Des vertus de la subsidiari­té

Et s’il fallait résumer au président français la première vertu du «modèle suisse»? «Un mot résume tout pour moi, explique au Temps François Garçon: la subsidiari­té helvétique. Chaque échelon du pouvoir fait ce qu’il sait et peut faire de mieux. En France, l’on voit chaque jour dans la presse des déclaratio­ns de maires qui se voient imposer des décisions par le préfet, ou directemen­t par l’exécutif, depuis Paris. La réalité locale, les spécificit­és, tout cela est gommé par un pouvoir vertical, incapable de se remettre en cause.»

La remarque est d’actualité, à l’heure où «Jupiter-Macron» fait face à une impopulari­té record, largement attribuée à sa déconnexio­n avec les territoire­s et les classes moyennes ou populaires. La comparaiso­n avec la Suisse est aussi dans l’air du temps, alors que la presse française parle, après son voyage récent en Scandinavi­e, de «Macron le luthérien» et de sa conception «protestant­e du pouvoir»: «En fait, la France dont rêve Macron est bien plus proche de l’Allemagne que de la Suisse, corrige l’auteur. L’objectif est la performanc­e, le renouveau de la puissance économique. La concurrenc­e, ce «benchmarki­ng» entre cantons qui est au coeur de la machinerie économique et politique helvétique n’est pas du tout un concept macronien.»

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François Garçon, Le génie des Suisses (Ed. Tallandier)

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