En France, un «génie suisse» impossible à exporter
Arrivé à Paris mardi, le président de la Confédération rencontrera ce mercredi Emmanuel Macron à l’Elysée. Il pourra lui offrir «Le génie des Suisses», un nouvel essai tout juste paru
S’il comptait offrir à Emmanuel Macron un mode d’emploi de la Suisse, Alain Berset en aura un sous la main ce mercredi. Tout juste débarqué en librairie, Le génie des Suisses détaille, en plus de 500 pages, le modèle helvétique, ses caractéristiques, ses succès et aussi (en mode mineur) ses difficultés et ses limites. Son auteur, l’universitaire franco-suisse François Garçon, est un habitué du genre. Son dernier essai La Suisse, pays le plus heureux du monde, vantait déjà les mérites de la Confédération. Avec la volonté de démontrer au passage le fossé abyssal entre une Suisse décentralisée, pragmatique et méritocrate, et une France verrouillée par son rejet de l’économie libérale, son Etat bien trop omnipotent et, surtout, ses élites parisiennes formatées dans les fameuses «grandes écoles».
«Génie des Suisses» donc? François Garçon tempère, mais confirme. «Je ne parle pas bien sûr de génie au sens strict. Les Suisses ne sont pas plus intelligents que les autres. Notre génie collectif est d’avoir trouvé les bons mécanismes de pouvoir et de fonctionnement d’une économie nationale de taille moyenne dans la mondialisation.» Une leçon qu’Emmanuel Macron, ce jeune président réformateur, pourrait entendre? «Je ne le crois malheureusement pas, poursuit l’auteur. Macron a de l’intérêt pour la réussite suisse en matière de start-up, d’innovation, de recherche ou d’apprentissage pour les jeunes. Mais le système français ne peut pas importer de telles recettes. Ici, tout se décide d’en haut. La caste d’administrateurs sortis de l’Ecole nationale d’administration et d’ingénieurs diplômés de Polytechnique ou de l’école des Mines tient tous les verrous. On ne vous juge pas, comme en Suisse, sur vos résultats. On vous juge sur votre classement de sortie à l’ENA voici trente ans, alors que vous n’aviez même pas encore perçu votre premier salaire…»
Des vertus de la subsidiarité
Et s’il fallait résumer au président français la première vertu du «modèle suisse»? «Un mot résume tout pour moi, explique au Temps François Garçon: la subsidiarité helvétique. Chaque échelon du pouvoir fait ce qu’il sait et peut faire de mieux. En France, l’on voit chaque jour dans la presse des déclarations de maires qui se voient imposer des décisions par le préfet, ou directement par l’exécutif, depuis Paris. La réalité locale, les spécificités, tout cela est gommé par un pouvoir vertical, incapable de se remettre en cause.»
La remarque est d’actualité, à l’heure où «Jupiter-Macron» fait face à une impopularité record, largement attribuée à sa déconnexion avec les territoires et les classes moyennes ou populaires. La comparaison avec la Suisse est aussi dans l’air du temps, alors que la presse française parle, après son voyage récent en Scandinavie, de «Macron le luthérien» et de sa conception «protestante du pouvoir»: «En fait, la France dont rêve Macron est bien plus proche de l’Allemagne que de la Suisse, corrige l’auteur. L’objectif est la performance, le renouveau de la puissance économique. La concurrence, ce «benchmarking» entre cantons qui est au coeur de la machinerie économique et politique helvétique n’est pas du tout un concept macronien.»
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