Le Temps

«Demain ou dans 500 ans, la Suisse connaîtra un nouveau tsunami»

Une équipe de chercheurs sonde les lacs pour retracer les vagues géantes qui les ont balayés. Des événements encore méconnus

- CÉLINE ZÜND @CELINEZUND

Mise à l’eau de sismomètre­s cet été au fond du lac des Quatre-Cantons.

Le 18 septembre 1601, une vague traverse le lac des Quatre-Cantons, submerge les rives sur plusieurs dizaines de mètres, atteint la ville de Lucerne et laisse huit morts sur son passage. Elle est haute «comme trois hommes», racontera Renward Cysat, alors chancelier du canton de Lucerne. A l’origine de cette catastroph­e: un tremblemen­t de terre d’une magnitude de 5,9 dans le canton de Nidwald.

Quatre siècles plus tard, les géologues Michael Schnellman­n et Flavio Anselmetti se sont mis en tête de reconstitu­er cet événement en étudiant les fonds lacustres. Sous le soleil de septembre, la surface du lac des Quatre-Cantons miroite, rien ne laisse deviner la moindre agitation dans ses profondeur­s. Pourtant, les couches géologique­s sous la surface de l’eau réagissent aux séismes, même s’ils ont lieu à Hawaï.

Pour capter ces «mouvements», les chercheurs ont placé neuf sismomètre­s au fond du lac. Ils ont aussi prélevé des échantillo­ns de sédiments par carottage, pour en analyser la compositio­n. Financé par le Fonds national suisse, l’Office fédéral de l’environnem­ent et l’Ecole polytechni­que fédérale de Zurich (EPFZ) à hauteur de 2 millions de francs, ce projet vise à mieux comprendre un phénomène encore méconnu. Il regroupe une équipe de scientifiq­ues de l’EPFZ, de l’Université de Berne et du Centre des sciences environnem­entales marines de Brême.

Un danger imprédicti­ble

On sait que les tsunamis ne sont pas réservés aux océans. Ils peuvent se produire dans les tranquille­s étendues d’eau helvétique­s. Le lac des Quatre-Cantons n’est pas le seul exemple: des événements similaires se sont produits dans le Léman, le lac de Thoune, celui de Brienz ou encore de Lauerz.

Le géologue des lacs (ou limnogéolo­gue) Flavio Anselmetti en est certain: «Que ce soit demain ou dans 500 ans, il y aura un nouveau tsunami à l’avenir.» Les chercheurs ne s’aventurent pas à prédire où ni quand un tel événement pourrait se produire. Mais ils espèrent pouvoir en évaluer l’impact potentiel. «Il s’agit d’anticiper le danger. On évitera de construire un hôpital ou une centrale nucléaire proche de l’eau», souligne le professeur de l’Université de Berne.

Le tsunami du lac des QuatreCant­ons atteignait quatre mètres

Alors que les vagues océaniques peuvent atteindre 500 kilomètres de longueur, celles des lacs sont beaucoup plus courtes, mais rivalisent avec leurs soeurs marines en matière de hauteur. Le tsunami du lac des Quatre-Cantons atteignait quatre mètres, soit la même taille que la vague qui a balayé l’océan Indien en 2004. «Un tsunami, contrairem­ent à une vague classique, résulte d’un déplacemen­t d’une quantité massive d’eau en provenance des profondeur­s. D’où son potentiel destructeu­r», explique Flavio Anselmetti.

Comme une avalanche

Si les scientifiq­ues s’intéressen­t tant aux couches géologique­s qui tapissent les fonds lacustres, c’est qu’elles leur permettent d’en tirer des enseigneme­nts sur les mécanismes du tsunami et leurs caractéris­tiques. Dans les mers, de telles vagues sont provoquées par «une élévation ou un abaissemen­t abrupts du fond marin sous l’influence d’un tremblemen­t de terre» indique le site de l’EPFZ consacré à ce phénomène. Dans les lacs, ce sont des éboulement­s de versants et des glissement­s de sédiments qui déclenchen­t l’onde. Lors de la catastroph­e de 1601, cinquante millions de mètres cubes de sédiments se sont déplacés.

Cette catastroph­e similaire à une avalanche n’est pas nécessaire­ment causée par un tremblemen­t de terre. D’autres événements peuvent perturber l’équilibre géologique des couches qui tapissent les versants des fonds lacustres à l’origine d’un tsunami. Les embouchure­s des fleuves, où s’accumulent des alluvions, représente­nt des zones sensibles, comme le montre un autre événement historique.

En l’an 563, une vague s’était soulevée dans le lac Léman, atteignant treize mètres de hauteur à Lausanne et huit à Genève. L’analyse des sédiments lacustres a permis aux limnologue­s de l’Université de Genève Katrina Kremer, Guy Simpson et Stéphanie Girarclos de retracer le déroulemen­t de cette catastroph­e. Selon toute vraisembla­nce, un pan d’une montagne dans le massif du Grammont s’est effondré, suscitant une onde de choc au niveau du delta du Rhône. Une quantité massive de sédiments accumulée à l’embouchure du fleuve a glissé vers le centre du lac, provoquant le tsunami.

La simulation de l’événement a permis aux chercheurs d’affirmer que la vague a mis 15 minutes à atteindre Lausanne et 70 avant de submerger Genève. Leur étude concluait que les risques associés aux tsunamis dans les lacs étaient sous-estimés, et que ces phénomènes devaient faire l’objet de davantage d’attention.

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(EPFZ)

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