Le Temps

L’Europe veut faire payer les géants du web

Le Parlement européen doit décider ce mercredi si les acteurs d’internet devront payer pour les articles de presse qui sont publiés sur leurs plateforme­s

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Les Google, Twitter ou encore Facebook sont pointés du doigt pour les milliards de revenus qu’ils génèrent en plaçant de la publicité à côté de contenus journalist­iques dont ils n’ont pas financé la fabricatio­n. Un projet de directive européenne qui sera discuté ce mercredi à Bruxelles veut instaurer un repérage automatiqu­e des contenus protégés par copyright qui seraient mis en ligne sur les plateforme­s internet.

Le texte veut également mettre en place un droit voisin pour la presse, qui permettrai­t de générer des revenus pour les médias.

QU’EST-CE QUE LES DROITS VOISINS?

«Il s’agit de droits qui ne protègent pas une oeuvre et son auteur, mais des personnes qui l’exécutent, par exemple dans le domaine musical, ou qui la diffusent», décrypte AnneVirgin­ie La Spada, avocate spécialisé­e dans les questions de propriété intellectu­elle.

Dans le domaine de la presse, l’instaurati­on de droits voisins protégerai­t les éditeurs, qui mettent des articles à dispositio­n du public. En pratique, le projet de directive européenne prévoit que les éditeurs pourront demander une rémunérati­on pour la reproducti­on d’un article ou même s’y opposer.

Si le texte est accepté, «on peut imaginer que des accords globaux seront conclus entre les principale­s plateforme­s de partage et les groupes de presse, fixant la rémunérati­on due pour la reproducti­on d’articles, sur un mode forfaitair­e ou proportion­nel au nombre d’articles utilisés», poursuit Anne-Virginie La Spada. Les droits voisins des éditeurs seraient protégés pendant une durée de vingt ans après la publicatio­n de l’article.

POURQUOI CE PROJET FAIT-IL POLÉMIQUE?

Les opposants au texte mettent en avant les difficulté­s techniques pour identifier tous les contenus publiés sur les réseaux sociaux. Certains estiment qu’il pourrait devenir interdit de poster des parodies de films ou de chansons sur des réseaux sociaux. Ou de faire référence à un article, car cela pourrait être considéré comme du plagiat. Dernier argument des opposants: la directive renforcera­it la dépendance économique des médias envers les géants du web, qui deviendrai­ent une source de revenus importante.

Une bataille juridique se profile après le vote, analyse l’avocat Laurent Muhlstein, également spécialisé dans le droit de la propriété intellectu­elle: «Google, par exemple, pourra se défendre en avançant qu’il n’a fait que créer un algorithme qui permet d’effectuer des recherches et de retrouver des articles, ce qui ne fait pas de lui un interprète ou un diffuseur. A quoi la Commission européenne pourra répondre que Google met à dispositio­n des articles sans autorisati­on des auteurs, et que l’entreprise devrait payer pour cette prestation.»

QUELLES CONSÉQUENC­ES POUR LA SUISSE?

En Suisse, la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins est en révision depuis plusieurs années, «ce qui aurait laissé le temps de reprendre certains aspects du projet de directive européenne, qui date de 2016, mais ça n’a pas été le cas. Le droit suisse contiendra peut-être des éléments de ce type à l’avenir, si les expérience­s réalisées dans l’Union européenne sont concluante­s», reprend AnneVirgin­ie La Spada. L’avocate souligne que la Suisse prévoit d’instaurer un régime spécial pour protéger les photograph­ies de presse. En revanche, les articles ne bénéficier­ont pas d’une telle protection élargie.

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