Le Temps

Quand l’ordinateur mène l’enquête

«Searching-Portée disparue»raconte une enquête policière sans jamais déborder de l’écran de l’ordinateur. Cette prouesse narrative tient plus de l’exploit que du cinéma

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

Margot, 16 ans, vit avec son père depuis le décès de sa mère. Cette adolescent­e sans histoire disparaît brusquemen­t. Le père mène l’enquête et découvre des zones d’ombre chez sa fille: elle est loin d’être aussi populaire parmi ses camarades qu’il ne le pensait, elle chatte avec des inconnus, elle a arrêté les cours de piano, elle fume de l’herbe… Commence une course contre la montre pour essayer de retrouver Margot, en espérant qu’elle soit en vie. L’intrigue de Searching-Portée disparue a plusieurs fois fait ses preuves, au cinéma et dans nombre de séries policières. La plus-value réside ici dans la forme: toute l’histoire est racontée par le truchement d’un ordinateur.

Les trois coups du théâtre classique sont remplacés par le «boooong» de démarrage du Mac. Sur l’écran défilent des home movies du temps du bonheur, les premiers pas de Margot, sa première leçon de piano, un anniversai­re, des jeux au jardin, mais aussi la maladie de sa mère, décédée des suites d’un lymphome en 2015. Les témoignage­s du passé documenten­t aussi les avancées technologi­ques, de l’image délavée des vidéos d’antan aux millions de pixels des photograph­ies haute def ’ foisonnant sur Facebook.

Filaments colorés

Appels téléphoniq­ues, SMS, incursions sur les réseaux sociaux dégueulant leur trash et leurs fake news, téléconfér­ences avec la détective chargée de l’enquête, repos d’écran (avec filaments colorés)… Le film utilise toute la grammaire informatiq­ue, incluant l’usage du GPS et des caméras de surveillan­ce, la vidéo postée sur YouTube et la retransmis­sion en direct des breaking news, voire d’occasionne­lles émoticônes. On ne sait pas toujours très bien sur quel ordinateur la réalité se révèle par fragments, mais le réalisateu­r tient son cap jusqu’au bout: jamais on ne verra les personnage­s en live, jamais on ne sortira de l’espace de l’otaku.

Searching-Portée disparue procède à une mise à jour du principe du found footage («films trouvés») qui a garanti le succès de Blair Witch Project en le transféran­t dans le cyberspace. Ce n’est plus à partir de pellicules retrouvées que se bâtit le film mais au gré d’un zapping sur l’infosphère. Le producteur Timur Bekmambeto­v a déjà expériment­é le procédé dans Unfriended (le suicide d’une adolescent­e); il le reconduit dans cette démonstrat­ion réalisée par Aneesh Chaganty. Le pari est remporté, mais le résultat s’apparente plus à un tour de force qu’à l’invention d’un nouveau mode narratif. Au passage on relèvera qu’une succession de twists scénaristi­ques improbable­s nuit à l’efficacité du récit. Et l’on s’étonne du rôle dévolu à l’ordinateur, cette idole du monde contempora­in, ce scrutateur infatigabl­e, cet oeil toujours allumé renvoyant aussi bien à celui de HAL dans 2001 L’odyssée de l’espace qu’à celui qui regardait Caïn au fond de la tombe.

Quant aux population­s qui passent huit heures par jour devant un écran, sans compter le temps passer à payer ses factures, réserver ses billets, se répandre sur Facebook ou jouer à des jeux, peut-être ont-elles envie, au cinéma, de respirer l’air des grands espaces, de voir des chevaux galoper et d’avaler de la poussière plutôt que des pixels. Mais, dans une irréprocha­ble logique de mise en abyme, Searching aspire sans doute à être visionné sur écran tactile plutôt que sur écran blanc. ▅

Une succession de twists scénaristi­ques improbable­s nuit à l’efficacité du récit

V Searching-Portée disparue (Searching), d’Aneesh Chaganty (Etats-Unis, 2018), avec John Cho, Michelle La, Debra Messing, Joseph Lee, 1h42.

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