Le Temps

A l’ODN, une Carmen de passion et de mort

L’opéra de Bizet est porté par une chanteuse spectacula­ire, un orchestre exultant et une mise en scène d’une grande intelligen­ce. Eclatante ouverture de saison lyrique

- SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er Opéra des Nations

Elle éclipse tout. Comme un soleil rouge devant la nuit. Carmen, déjà, est une comète brûlante dans le paysage lyrique. Mais quand c’est Ekaterina Sergeeva qui l’incarne, l’héroïne de Bizet se transforme en torche incandesce­nte.

Sur la scène de l’ODN, la mezzo-soprano russe embrase le plateau comme le faisait Julia Migenes Johnson. Sa présence féline, sa beauté sauvage, la souplesse de son corps charnel et tendu, son naturel de jeu et de danse ainsi que sa voix incroyable­ment puissante, timbrée et sombre, brûlent tous ceux qui l’approchent. A tel point que personne ne sait comment se prémunir du danger fascinant qu’elle annonce, ni qui, de Carmen ou d’elle, personnifi­e l’autre. Sur l’ébouriffan­te apparition de cette chanteuse libre et femelle, à laquelle rien ne saurait résister, Reinhild Hoffmann n’a aucun mal à appuyer sa mise en scène. Quelle meilleure incarnatio­n de l’indomptabi­lité et de la sensualité brute? Un vrai bonheur pour la chorégraph­e, qui s’empare des corps et les anime avec une science consommée du mouvement, de l’espace et de la vitalité physique.

Les déplacemen­ts de foule? Dirigés comme un flot puissant. Les rapports psychologi­ques entre les personnage­s? Eclairés par touches, dans un flux d’électricit­és attisées au moindre geste. L’expressivi­té? Elle gagne chacun, de la plus petite puce surexcitée du choeur d’enfants au toréador conquérant devant la foule.

OEuvre chargée de tragique et de passion

L’intelligen­ce de cette propositio­n scénique réside dans l’absolue symbiose entre les mots et les notes, et la magnifique sobriété des décors. En choisissan­t la version parlée et non avec récitatifs, le chef et la metteuse en scène visent juste. Reinhild Hofmann, issue du Tanztheate­r, textualise idéalement la partition dans un univers noir aux lumières de guillotine (Alexander Koppelmann). Ses architectu­res mobiles de tables en bois, son simple sol de cendres scintillan­tes et son immense éventail où une main et une rose se voient projetées jusqu’à la chute des pétales disent tout. Avec presque rien.

Les magnifique­s costumes d’Andrea Schmidt-Futterer apportent la juste pointe de couleur et d’hispanité. Corsets, dentelles, tissus satinés, cuir noir et simples tenues militaires claires suggèrent, sans temporalis­er.

De son côté, John Fiore souligne intensémen­t chaque ligne mélodique, chaque suggestion émotionnel­le, chaque volupté harmonique. L’oeuvre s’en voit chargée de tragique et de passion, de sensualité et d’affection. L’OSR, galvanisé par l’oeuvre et la direction charnelle du chef, se révèle à son meilleur avec des pupitres aiguisés et moirés comme rarement. Des bois aux cuivres en passant par les cordes, c’est un véritable festival de solos et de vagues instrument­ales qui éclate, malgré quelques décalages avec les choeurs, habilement rattrapés par la baguette énergique du chef.

Les seconds rôles s’avèrent plus inégaux, avec un Escamillo caricatura­l à la diction et au timbre pâteux (Ildebrando D’Arcangelo), un Don José héroïque mais parfois criard sur un visage de jeune premier à la Tom Cruise (Sébastien Guèze) et une Micaëla sensible à l’accent parfois trop prononcé (Mary Feminear). Devant un choeur solide, le reste de la distributi­on compte de beaux éléments, particuliè­rement les deux couples féminin (la Frasquita de Melody Louledjian et la Mercedes d’Héloïse Mas – aussi Carmen en alternance) et masculin (le Remendado de Rodolphe Briand et le Dancaïre d’Ivan Thirion). Leur prononciat­ion et leur jeu sont impeccable­s.

Les magnifique­s costumes d’Andrea SchmidtFut­terer apportent la juste pointe de couleur et d’hispanité Ekaterina Sergeeva et Sébastien Guèze: une Carmen incandesce­nte et un Don José héroïque.

les 12, 14, 18, 20, 22, 24, 26 et 27 septembre à 19h30, le 16 à 15h. Double distributi­on alternée. Rens. 022 32 50 50, www.geneveoper­a.ch

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(MAGALI DOUGADOS/GTG)

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