Le Temps

Hofesh Shechter, maître de la foudre à La Bâtie

- ALEXANDRE DEMIDOFF @alexandred­mdff

Le chorégraph­e israélien et ses prodigieux interprète­s ont bouleversé le public genevois avec leur «Grand Finale», requiem électrique, punk et lyrique. Chronique d’une soirée d’exorcisme

«Sublime». C’est l’épithète qui courait lundi dans la nuit sur le Rhône, après Grand Finale, ce spectacle qui remue ciel, mers et radeau de la Méduse, cette épreuve de force qui vous laisse sur les genoux, ému et admiratif, au Bâtiment des forces motrices, à Genève. On nous avait annoncé que l’Israélien Hofesh Shechter, 44 ans, serait l’un des mages de cette édition du festival La Bâtie: on a été comblé.

Hofesh Shechter? Ce nom ne vous est pas tout à fait familier, même si Yasmine Char, directrice de l’Octogone de Pully, l’a déjà accueilli, lui et ses interprète­s. Il a le bout des ongles brûlés par la foudre que ses tambours déclenchen­t depuis dix ans. Il possède une science du geste qui a fait le bonheur de Broadway. Son Grand Finale est la fresque de ses colères en pagaille, le palimpsest­e de ses chagrins face aux déchirures de son pays, le salut des survivants à ceux qu’une balle aveugle fauche entre deux murs.

Une sorcelleri­e, façon rave party

Pour pénétrer dans Grand Finale, il faut passer par la brume – ce voile qui enveloppe, tel un linceul, le grand bal des endeuillés. Une mélodie de fin de film – une histoire d’amour, d’étreintes perdues – submerge les travées. Puis un battement obsédant, celui d’un coeur amplifié. Sur cette pulsation apparaît un essaim de garçons et de filles, habillés «comme au lycée», figés un instant, bras levés, comme devant un peloton d’exécution. Soudain, c’est une déflagrati­on sonore, athlétique, spirituell­e. Une sorcelleri­e, façon rave party.

Ces ensorcelan­ts exultent, lyriques de la crinière aux orteils, électrisés par une bande-son d’arène punk, radoucis à l’instant par les archets d’un orchestre miniature qui escorte sur scène ce requiem. Hofesh Shechter tire sur toutes les cordes sensibles de la Terre, le pathos guette, il est bien là, mais assumé et maîtrisé. Car ce Grand Finale a ses apartés qui cristallis­ent la catastroph­e. Ils sont quatre, ils portent chacun un frère ou une soeur morts. Ils valsent, andante, pour se consoler, pour faire corps avec l’aimé(e).

On peut être agacé par le déluge d’images, par l’emphase comme ressort esthétique. On peut être aussi submergé par la sincérité de chaque tableau. Sur le sol gisent des garçons emmêlés, comme des oiseaux abattus en plein ciel; devant eux, deux sentinelle­s font un salut militaire dérisoire. Hofesh Shechter hurle mort à la mort. Danser est un art de tenir debout. La fureur du beau geste opposée à d’autres fureurs. Dans la nuit de nos tristesses, c’est ce qu’on emporte avec soi: l’entêtement du valseur, une manière d’élégance quand le sol se dérobe.

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