Pour une nouvelle politique sociale
Favori dans la course à la présidence de l’Union syndicale suisse (USS), le conseiller d’Etat vaudois Pierre-Yves Maillard se présente comme un ardent défenseur du salariat. Combatif, il livre son programme
Avec le soutien d’Unia et le retrait du Valaisan Mathias Reynard, le conseiller d’Etat vaudois Pierre-Yves Maillard fait plus que jamais figure de grand favori pour l’élection à la présidence de l’Union syndicale suisse (USS). Comment envisage-t-il cette fonction et que compte-t-il faire pour renforcer le pouvoir d’achat des salariés?
«Avec un agenda offensif et réalisable», dit-il.
A 50 ans, le socialiste Pierre-Yves Maillard est le grand favori pour l’élection à la présidence de l’Union syndicale suisse (USS) prévue lors du congrès du 30 novembre prochain. Une candidature renforcée suite au soutien d’Unia et au retrait du Valaisan Mathias Reynard. Le conseiller d’Etat vaudois a reçu Le Temps dans son bureau lausannois pour dévoiler son programme politique, un agenda placé sous le signe de l’offensive.
Depuis l’annonce de votre candidature à la tête de l’USS, vous insistez sur la nécessité de renforcer le pouvoir d’achat des salariés. Comment y arriver? Je suis tout d’abord parti d’un constat. L’USS s’est renforcée au niveau politique, en grande partie grâce à l’engagement de Paul Rechsteiner [son actuel président] et d’autres grandes figures. Mais il faut prendre au sérieux l’érosion du nombre de ses membres. C’est une tendance dangereuse et difficile à inverser. J’ai vécu ce défi comme secrétaire régional de la FTMH. Nous avons remonté le courant en nous concentrant sur cette réalité: les gens paient une cotisation à un syndicat si celui-ci obtient des résultats concrets pour eux. Ces dernières années, nous avons eu des succès défensifs indispensables sur la protection des conditions de travail, l’AVS, les assurances sociales. Mais il faut aussi un agenda offensif et surtout réalisable.
Qu’entendez-vous par là? Nous avons pu conquérir de nouvelles sécurités sociales dans mon canton, par exemple avec les prestations complémentaires (PC) familles et la rente-pont pour les chômeurs en fin de droits et proches de la retraite. Nous avons gagné devant le peuple dans un canton structurellement à droite avec l’ensemble des milieux patronaux contre. Il y a des espaces pour gagner. Il faut trouver les bons projets, comme par exemple le plafonnement des primes maladie en fonction du revenu. Ces projets doivent s’inscrire dans une nouvelle politique sociale.
Une nouvelle politique sociale, c’està-dire? Il faut admettre que la politique sociale n’est plus seulement là pour remplacer le salaire, mais aussi pour le compléter. Historiquement, les assurances sociales ont remplacé le revenu quand celui-ci faisait défaut en cas de maladie, accident ou chômage. Mais il y a quarante ans, un salaire d’ouvrier pouvait faire vivre une famille. Aujourd’hui, même deux salaires ne suffisent parfois plus. Or certaines charges fixes comme la prime LAMal ou le loyer continuent d’augmenter plus vite que les revenus. Il faut donc créer des mécanismes de compléments au salaire pour cette partie de la classe moyenne qui s’appauvrit. Cela ne signifie pas renoncer à la lutte pour de meilleurs salaires. Dans ce sens, une lutte pour la généralisation du 13e salaire pourrait être efficace, car tout le monde n’en bénéficie pas, notamment beaucoup de femmes.
L’un des enjeux principaux demeure l’égalité salariale hommes-femmes. Que proposez-vous? Le principe d’égalité est inscrit dans la loi. Mais son application repose actuellement sur la démarche individuelle et judiciaire. J’ai connu la première femme qui s’est battue devant un tribunal. Elle a gagné, elle a même reçu le «prix Courage» d’un média, mais elle a été malheureusement licenciée. On ne peut plus imposer le fardeau de la preuve à la victime. Il faut donc un contrôle public de l’égalité salariale, comme on l’a fait pour lutter contre le dumping salarial dans les mesures d’accompagnement.
Compte tenu des résistances au parlement, comment imposer cette idée? Sur un tel thème, il faudra passer par une initiative populaire.
Un mouvement demande une femme à la tête de l’USS. Seriez-vous ouvert à un système de coprésidence avec une femme? Cette question doit être réglée par les fédérations. Je suis ouvert à une solution qui renforce la représentation des femmes. En cas d’élection, je souhaite que la présidence apparaisse de manière collégiale et qu’avec la vice-présidente Vania Alleva, également présidente d’Unia, nous puissions incarner la diversité du mouvement syndical. Au-delà de cette question légitime de représentation, un homme aussi peut et doit agir pour la cause de l’égalité concrète. Je l’ai fait avec le gouvernement auquel j’appartiens, par la création des prestations complémentaires pour les familles, qui soutiennent les familles monoparentales, par le doublement du budget des crèches ou le renforcement des moyens de lutte contre la violence conjugale.
Vous insistez beaucoup sur le salariat. Mais n’est-il pas justement en train de s’affaiblir face à l’avènement de la nouvelle économie? Au contraire, le salariat, dont on n’arrête pas de prédire la fin, ne cesse de se renforcer. Mais il est certain que face à ces sociétés 4.0, je serai un combattant acharné de l’égalité de traitement avec les entreprises traditionnelles. Car cette notion d’indépendant qui fleurit dans la nouvelle économie est pratiquée de manière crassement illégale. Et ce n’est pas parce qu’on se dit moderne et que l’on vient de la Silicon Valley qu’on peut mépriser le droit. Le modèle du tâcheron du XIXe siècle, payé à la tâche, nous est aujourd’hui présenté sous de nouveaux mots, comme l’ubérisation. Le salariat donne la garantie d’un revenu stable à la fin du mois et offre des protections sociales.
Au mois d’août, l’USS a quitté la table des négociations sur les mesures d’accompagnement dans le dossier européen. N’est-ce pas contre-productif ? Non, il fallait un geste fort. D’autant que, manifestement, l’agenda proposé par les négociateurs européens va beaucoup plus loin que la seule question des mesures d’accompagnement. Cet accord institutionnel pose la question du contrôle judiciaire des législations fédérales. La question n’est pas la nationalité des juges, mais bien celle de savoir si l’on veut leur confier la vérification systématique de la compatibilité des lois suisses avec le sacro-saint principe de la concurrence libre et non faussée.
Vous êtes-vous trompés sur l’UE? L’Europe est une déception. Nous la voulons porteuse d’une vision sociale et de paix, alors qu’elle se concentre sur un projet fondamentalement libéral menaçant d’éroder les protections nationales sans en apporter de nouvelles au niveau européen. Si l’UE s’attaque aux conditions de travail après avoir mis en cause les services publics, ce n’est plus possible. Les populations ne suivent plus. Pour la Suisse, la sagesse serait d’attendre les prochaines élections européennes et suisses avant de reprendre les négociations sur des bases nouvelles. Il semble que les 14 ans passés au Conseil d’Etat vaudois vous aient quelque peu embourgeoisé. Avezvous toujours le feu sacré? Je vis à Renens, dans cet Ouest lausannois où j’ai connu tant de combats syndicaux. Je travaille depuis plus de vingt ans au service des causes auxquelles je crois. A part ça, je vous laisse juge.
Comment êtes-vous arrivé au syndicalisme? Par le Parti socialiste, où je me suis engagé à 20 ans. Jeune, je me suis intéressé au thème du service public et j’ai combattu les lois de libéralisation du marché postal. Lorsque je suis arrivé au Conseil national en 1999, j’ai contribué à former une coalition contre la libéralisation de l’électricité. Christiane Brunner m’a alors fait une proposition concrète, celle reprendre la zone Vaud-Fribourg de la FTMH comme secrétaire régional. Et c’est alors que vous avez imposé un changement de culture syndicale? Auparavant, lorsqu’une usine fermait, il y avait peu de lutte syndicale, pas de grève. La culture syndicale était encore marquée par la croissance des Trente Glorieuses. Quand une usine fermait, une autre s’ouvrait, et on se concentrait sur l’amélioration des conditions de travail. Mais à la fin des années 90, nous avons pris conscience du vrai enjeu de la disparition du secteur industriel. C’était une bataille pour l’emploi et le savoir-faire.
«Ce n’est pas parce qu’on se dit moderne qu’on peut mépriser le droit»
Sapal est resté un cas d’école. Quel souvenir en gardez-vous? Sapal était alors une usine de 400 employés, à Ecublens, produisant des plieuses automatiques, rachetée par la société SIG, à Schaffhouse. En apprenant un jour que celle-ci allait faire une annonce au personnel, nous avons accueilli la direction par une «haie de déshonneur» formée par les ouvriers. Nous voulions que les patrons voient tous les visages de ceux qu’ils allaient limoger, alors que l’usine était rentable. Nous avons débrayé deux heures tous les jours pendant trois semaines, puis menacé d’un d’arrêt total de l’usine, sachant que la direction avait des millions de commandes à honorer. Finalement, après de longues négociations, nous avons presque gagné sur toute la ligne. Ce fut une émotion fantastique.
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