La Pointe-Dunant vandalisée
L'artiste zurichois Roland Roos a subtilisé la plaque commémorative posée en l'honneur d'Henry Dunant. Il proteste contre la volonté du Conseil fédéral d'assouplir la vente d'armes
Dénoncer les décisions prises dans les salons feutrés du Palais fédéral par une action choc. C’est la méthode de Roland Roos. Mercredi dernier, l’artiste zurichois est monté de nuit sur la Pointe-Dunant, au-dessus de Zermatt, pour y décrocher la plaque en hommage au fondateur de la Croix-Rouge et en poser une nouvelle. Une manière de protester contre le projet du Conseil fédéral d’assouplir l’ordonnance sur le matériel de guerre. Selon lui, la Suisse ne mérite plus son étiquette humanitaire.
Si le gouvernement confirme sa position, il sera bientôt possible d’exporter des armes vers des pays en conflit interne, s’il n’y a aucune raison de penser que les armes y seront utilisées. «D’un côté, la Suisse met en avant sa tradition humanitaire sur le deuxième plus haut sommet des Alpes helvétiques. Mais d’un autre côté, elle prend de telles décisions. C’est totalement contradictoire», a expliqué Roland Roos au Blick.
L’artiste n’est pas le seul à critiquer l’orientation du Conseil fédéral. Début septembre, le président du CICR, Peter Maurer, jugeait lui aussi le projet susceptible d’affaiblir «la réputation, la crédibilité et la fiabilité de la Suisse en tant qu’acteur humanitaire». Il n’empêche, l’action coup de poing a déjà valu des conséquences à Roland Roos: le canton de Zurich a gelé sa bourse culturelle.
Sur le web, les internautes goûtent peu la démonstration. «Il n’y a absolument rien d’artistique», estime un usager sur le site de 20 Minutes. Un autre le considère comme un «artiste autoproclamé ayant besoin d’une action stupide pour que l’on parle enfin de lui»! Certains frisent même le cynisme. «Il ne s’est pas fait une crevasse en descendant? C’est aussi de l’art un mec congelé pendant cinquante ans, non?»
Face aux critiques, d’autres défendent un acte militant: «Les détracteurs, relisez (ou plutôt: lisez-le au moins une fois!) Un souvenir de Solférino et intéressez-vous à ce à quoi il a consacré sa vie, vous comprendrez qu’Henry Dunant aurait soutenu l’initiative de ce monsieur», déclare un internaute. «Bravo, si la Suisse croit pouvoir jouer tout le temps sur deux tableaux, ce n’est plus le cas», renchérit un autre.
Culminant à 4600 mètres, le deuxième plus haut sommet de Suisse, initialement nommé Pointe-del’Est, avait été rebaptisé en l’honneur d’Henry Dunant en 2014 sur proposition de Didier Burkhalter. Il faisait ainsi écho à la Pointe-Dufour, perchée à 4634 mètres. «La plaque symbolise un pacte amené à durer, au-delà des soubresauts de l’actualité, argumente Nicolas Bideau, directeur de Présence Suisse, qui a participé à l’expédition du DFAE. La politique humanitaire de la Suisse est intégrée dans la Constitution.»
«Il y a quelques mois, Roland Roos m’a contacté, il voulait savoir quel était le texte écrit sur la plaque métallique, raconte Nicolas Bideau. Je lui ai demandé des précisions, mais il n’a jamais donné de suites. Aujourd’hui, on découvre que l’objet a été volé, c’est totalement déplacé.» A ses yeux, l’artiste a franchi une ligne rouge. «Je ne suis pas opposé au débat, mais la discussion doit avoir lieu dans les règles, pas à travers du vandalisme, au risque de remettre en question les valeurs de la Suisse.»
Aux dernières nouvelles, Roland Roos a exposé la plaque commémorative d’Henry Dunant au Haus Konstruktiv de Zurich. Nicolas Bideau a bien l’intention de récupérer l’objet subtilisé, qui appartient à la Confédération et à la commune de Zermatt. Dans cette entreprise, il pourra compter sur le soutien de la présidente Romy Biner, qui a vivement condamné cette «violation de propriété privée».n
La nouvelle plaque posée par Roland Roos en signe de protestation.