Des femmes se réapproprient Lausanne
Pour encourager les femmes à investir les quartiers de la ville, où elles ne font trop souvent que passer, la capitale vaudoise a organisé une «marche exploratoire» dans les rues de la cité
«Le soir, j’évite d’emprunter les deux axes qui partent de la place Saint-Laurent», dit une femme proche de la quarantaine, entourée d’une vingtaine d’autres femmes de tous âges qui l’écoutent en acquiesçant. «La rue de Bourg et les petites rues adjacentes constituent la pire zone en termes de harcèlement, du coup je prends un autre itinéraire. C’est quand même fou», déclare une jeune participante. C’était jeudi soir lors de la première «marche exploratoire des femmes» à Lausanne, organisée par les autorités dans le cadre de la Semaine de la mobilité. Le but: dresser un bilan féminin des aménagements urbains au centreville.
Cette démarche, déjà adoptée en Europe du nord et en Suisse alémanique, émane de la députée socialiste Sarah Neumann. «Historiquement, les villes ont été construites par les hommes pour les hommes», constate-t-elle. Pourquoi certains lieux ne sont-ils pas occupés par les femmes, qui ne font que les traverser? Quels endroits apprécient-elles et quels sont ceux qu’elles évitent? Si le thème du harcèlement n’est pas au coeur de la marche, «des aménagements adaptés contribuent au sentiment de sécurité», explique Florence Germond, la municipale en charge de la mobilité. Il s’agit avant tout de favoriser l’occupation de l’espace public par les femmes et, plus globalement, d’améliorer l’accessibilité du domaine public pour tous.
Plus de participantes qu’attendu
D’après les statistiques, les Lausannoises parcourent 12 kilomètres de moins que leurs homologues masculins, tous transports confondus, la marche y compris. Elles sont 8% de plus à détenir un abonnement de transports publics. Quatre Lausannoises interrogées sur dix n’ont pas d’activité rémunérée, contre 27% des hommes: elles devraient donc potentiellement être plus présentes dans l’espace public, expose Cindy Freudenthaler, géographe auprès du Büro für Mobilität, au départ de la marche.
A 18h, sur le parvis de l’église Saint-François, le point de départ, le groupe est très majoritairement féminin. Quelques mâles curieux accompagnent leur épouse ou amie. Au total, une cinquantaine de participantes, deux fois plus qu’attendu. On se répartit en deux groupes pour sillonner différentes zones du centre: les unes à l’ouest de Saint-François, les autres à l’est. Jeune maman, Sarah Neumann ne manque pas de signaler l’inaccessibilité de certains endroits avec une poussette.
Certaines rues se métamorphosent la nuit
Après avoir traversé le GrandPont, la troupe, guidée par une géographe, s’arrête à Bel-Air, face à la tour. Plusieurs relèvent le manque de places pour s’asseoir, le côté peu accueillant du béton omniprésent, l’espace très étriqué à l’arrêt de bus aux heures de pointe. Tout cela en fait un endroit où l’on passe le plus rapidement possible. Une jeune femme, qui a travaillé dans un bar, souligne cependant l’aspect sécurisant de cette grande artère: «Il y a toujours des gens, même la nuit, les trottoirs sont éclairés.» Les réactions fusent: «C’est vrai, en soirée je préfère emprunter cet axe plutôt que les rues adjacentes désertes, comme celle de l’Ale.»
Commerçante en journée, la rue de l’Ale se métamorphose la nuit. Les imposantes façades commerciales grises, l’absence de bancs en font un passage que l’on évite dès le crépuscule, soulève le groupe de femmes. Au contraire de la rue de la Tour, vivante de par les nombreux bars et qui attire un public «respectueux». Pour plusieurs participantes, c’est une réussite en termes d’aménagement. Elles se sentent aussi à l’aise sur la place Pépinet: même en fin de journée, l’endroit est fréquenté et convivial. Bref, on a envie d’y rester.
Utiliser plus convivialement le domaine public
Quel bilan les organisatrices, qui ont pris des notes avec frénésie, tirent-elles de l’exercice? Elles se disent frappées par le nombre d’endroits perçus par les participantes comme un simple lieu de passage, à défaut d’une utilisation plus conviviale ou plus récréative du domaine public. Par ailleurs, «il y a des différences considérables d’utilisation de certains lieux entre le jour et la nuit», souligne la géographe Cindy Freudenthaler. C’est le cas du parc Derrière-Bourg, sis entre les quartiers du Bourg et de Georgette: pris d’assaut pour le repas de midi, il est dépeuplé le soir. Seuls quelques individus masculins y rôdent, ce qui insécurise les femmes.
Ces constats n’auraient-ils pas aussi pu venir d’hommes? «Certains, vraisemblablement», admet la municipale Florence Germond. L’objectif était toutefois d’entendre en priorité une catégorie de la population jusqu’ici écartée des réflexions sur l’aménagement public. Idem pour les personnes âgées ou handicapées, auxquelles on ne pense pas en premier. Cette analyse de genre vient compléter d’autres expertises que la ville est en train de mener sur l’accessibilité de l’espace urbain.
Même si jeudi soir l’échantillon de femmes était restreint, «sa représentativité est intéressante», selon la responsable de la mobilité. Les informations récoltées auprès des participantes seront synthétisées par les autorités et le bureau de mobilité mandaté, puis serviront à trouver des solutions concrètes. D’autres villes vaudoises pourraient emboîter le pas à Lausanne, comme Nyon, Yverdon-les-Bains et Vevey, où des actions similaires sont souhaitées.
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Les organisatrices se disent frappées par le nombre d’endroits perçus par les participantes comme un simple lieu de passage