Le Temps

La qualité continue d’alimenter le débat

VOTATIONS Les deux initiative­s des Verts et d’Uniterre ont été rejetées à 61,3% et 68,4%. Mais elles ont obtenu un résultat positif dans quatre cantons romands. Les acteurs de ce dossier affichent leurs revendicat­ions pour la politique agricole de demain

- BERNARD WUTHRICH @BdWuthrich

A l’image du directeur de l’Union suisse des paysans (USP), Jacques Bourgeois (PLR/FR), de nombreux acteurs politiques faisaient la même constatati­on dimanche: le peuple suisse se satisfait de l’article constituti­onnel sur la sécurité alimentair­e adopté il y a tout juste un an par près de 79% des votants et tous les cantons. Ce texte, qui était un contre-projet à une initiative populaire lancée par l’USP avant d’être retirée, indique la direction à suivre en matière de politique agricole: il recommande de privilégie­r les produits locaux et conçus de manière écologique et durable. «Nous n’avons pas besoin d’autres mandats constituti­onnels», réagissait-il dimanche après le double rejet des initiative­s populaires des Verts et d’Uniterre pour des aliments équitables (61,3% de non) et pour la souveraine­té alimentair­e (68,4%).

«Je crois que l’initiative pour la sécurité alimentair­e votée en 2017 a permis de faire passer le message. Il n’est pas nécessaire d’en rajouter», estime la conseillèr­e nationale Géraldine Marchand-Balet (PDC/VS), opposée aux deux textes rejetés ce week-end. «Pourquoi faudrait-il deux initiative­s de plus, qui vont dans la même direction que celle de 2017?» renchérit Monika Rühl, directrice d’Economiesu­isse. «Il faut aussi rappeler que ces deux textes auraient créé des problèmes supplément­aires, car ils n’auraient pas été compatible­s avec les accords internatio­naux de l’OMC et de l’UE, avec qui nous avons déjà assez de difficulté­s», poursuit-elle.

Favorable aux deux initiative­s et coprésiden­t de celle qui revendique une alimentati­on de qualité (surnommée «Fair Food»), Robert Cramer (Verts/GE) regrette qu’elles aient été soumises au verdict populaire le même jour. Cette simultanéi­té a sans doute incité de nombreux votants à inscrire un double oui ou un double non sur le bulletin de vote, avec une majorité rejetante sur le plan national. «Je pense que l’initiative pour la souveraine­té alimentair­e a desservi la cause des aliments équitables. Notre texte était assez nuancé. C’est dommage», commente-t-il.

Il conteste le point de vue des adversaire­s des deux demandes de modificati­ons de la Constituti­on. «C’est vrai que l’article constituti­onnel sur la sécurité alimentair­e indique que la production agricole doit tenir compte du développem­ent durable. Mais les autorités fédérales n’ont encore rien entrepris pour le mettre en oeuvre. C’est donc un faux prétexte d’affirmer que cette dispositio­n contient déjà tout. Nous espérons qu’elles entendront les préoccupat­ions exprimées par une partie de la population», souhaite-t-il.

Il fait allusion au «triomphe» de «Fair Food» en Suisse romande. Quatre cantons – Genève, Vaud, le Jura et Neuchâtel – sur six ainsi que la partie francophon­e du canton de Fribourg et quelques communes du Valais romand se sont exprimés en faveur de denrées alimentair­es «sûres, de bonne qualité et produites dans le respect de l’environnem­ent, des ressources et des animaux», comme le proposait le texte rejeté dimanche.

«Le rapport à l’alimentati­on est différent en Suisse romande et en Suisse alémanique. Les Alémanique­s se sont peut-être tournés vers les produits étiquetés bio avant les Romands, mais cela ne concerne qu’une minorité de gens. Et je rappelle que c’est des cantons francophon­es qu’était montée l’indignatio­n provoquée par le scandale des tomates espagnoles. En Suisse romande, le travail de sensibilis­ation a déjà été fait», analyse-t-il, avant de lâcher cette pique fédéralist­e: «Ce dimanche, le rösti n’était pas un plat à recommande­r.»

«Je pense que l’initiative pour la souveraine­té alimentair­e a desservi la cause des aliments équitables»

ROBERT CRAMER, COPRÉSIDEN­T DE L'INITIATIVE «POUR DES ALIMENTS ÉQUITABLES» «Ces initiative­s auraient déclenché une énorme bureaucrat­ie et engendré une hausse des prix» GÉRALDINE MARCHAND-BALET, CONSEILLÈR­E NATIONALE (PDC/VS)

Pour les opposants, l’argument financier a joué un rôle central. «Ces initiative­s auraient déclenché une énorme bureaucrat­ie et engendré une hausse des prix. Or tout le monde ne peut pas se payer des produits bio parfois chers», relève Géraldine Marchand-Balet. Présidente de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales, favorable à l’initiative pour des aliments équitables, la Bernoise bilingue Christine Bühler a fait un constat semblable sur la RTS pour expliquer son rejet massif outre-Sarine: «La Suisse alémanique est proche de l’Allemagne, où seul le prix importe», a-t-elle déclaré.

Que va-t-il se passer maintenant? Si les Verts continuent d’espérer que leur propositio­n constituti­onnelle laissera des traces dans le débat agricole à venir, la branche demande, elle, une mise en oeuvre sérieuse et importante de l’article constituti­onnel adopté en septembre 2017. Insatisfai­te de la «Vue d’ensemble» et des premières pistes esquissées pour la Politique agricole 2022 et les années suivantes, elle demande que les préoccupat­ions des paysans soient entendues.

«La PA 2022+ doit offrir des perspectiv­es à une agricultur­e profession­nelle et durable bénéfician­t d’une juste part du gâteau au sein des différente­s filières agroalimen­taires. Si le Conseil fédéral devait faire la sourde oreille et ne proposer qu’une forte diminution de la protection douanière ainsi qu’une accélérati­on de l’évolution structurel­le, il prendrait le risque de s’exposer à des initiative­s toujours plus extrêmes, qui pourraient finir par être acceptées», avertit l’Associatio­n des groupement­s et organisati­ons romands de l’agricultur­e (Agora).

Johann Schneider-Ammann satisfait

«Les pourcentag­es élevés de oui montrent que la population accorde une grande importance à l’agricultur­e de type familial, à la juste répartitio­n de la valeur ajoutée, au bienêtre animal, à la protection des forêts tropicales, aux conditions de travail et aux droits de l’homme», relève l’USP. De son côté, la Communauté d’intérêt pour le secteur agroalimen­taire (CISA) attend de la Confédérat­ion qu’elle développe la politique agricole sur le front intérieur comme extérieur «en menant les négociatio­ns de manière responsabl­e».

Elle invite aussi le commerce de détail à renforcer son engagement pour une alimentati­on durable. Le ministre de l’Agricultur­e Johann Schneider-Ammann voit dans le résultat de dimanche la confirmati­on d’une politique agricole «durable, tenant compte du bien-être des animaux, moins bureaucrat­ique, plus entreprene­uriale et s’orientant vers l’ouverture des marchés».

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(GAËTAN BALLY/KEYSTONE) A l'alpage. Le monde agricole a vécu un dimanche de désillusio­ns.

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