Le Temps

Le Conseil fédéral veut protéger les lanceurs d’alerte

- JOCELYN DALOZ, BERNE @jocelyn_daloz

WHISTLEBLO­WERS Les mesures que le gouverneme­nt propose pour protéger ceux qui dénoncent des actes illicites au sein de leur entreprise ne font pas l’unanimité

Le Conseil fédéral propose d'ancrer dans la loi la protection des lanceurs d'alerte. Des Panama Papers au cartel immobilier des Grisons, les grands scandales financiers de ces dernières années ont pour la plupart été révélés par des collaborat­eurs qui dénoncent des agissement­s illicites.

L'encadremen­t de cette pratique est un enjeu important sur lequel Conseil fédéral et parlement délibèrent déjà depuis 2007. L'OCDE a d'ailleurs intimé à la Suisse d'améliorer sa pratique en ce sens. La problémati­que se centre sur l'arbitrage à trouver entre la protection de l'entreprise et celle du lanceur d'alerte: il s'agit à la fois d'éviter les dénonciati­ons mensongère­s d'employés frustrés et d'empêcher les mesures de rétorsion dont les whistleblo­wers légitimes pourraient être victimes.

En principe, un employé est tenu légalement par un lien de fidélité à son entreprise, qu'il ne peut briser que pour de bonnes raisons. Dès lors, il doit d'abord alerter sa hiérarchie des problèmes qu'il a observés. Le Conseil fédéral réaffirme ce principe tout en introduisa­nt la possibilit­é de conserver l'anonymat. Si rien n'est entrepris par sa société, l'employé peut alors s'adresser aux autorités et, si son appel reste là encore lettre morte, il peut alors se diriger vers le public. Sous certaines conditions, notamment si la situation a un caractère de danger imminent, ou si le salarié peut démontrer que son employeur n'agira pas, il peut sauter une étape. De même s'il a subi des rétorsions de la part de ses chefs.

Des mesures jugées insuffisan­tes

Si l'intention du Conseil fédéral est de préciser le cadre légal, l'objectif n'est que partiellem­ent atteint, selon certains. Pour le conseiller national Olivier Feller (PLR/VD), le texte reste relativeme­nt compliqué. «A mon avis, il doit y avoir une façon plus claire de parvenir au même objectif.» La notion de «danger imminent» n'est par exemple pas définie. Il estime néanmoins qu'on s'approche d'un juste milieu entre la protection de l'entreprise et celle de l'employé, particuliè­rement avec la possibilit­é de l'anonymat.

Pour autant, certains dénoncent des mesures largement insuffisan­tes. Transparen­cy Internatio­nal, ONG spécialisé­e dans la lutte contre la corruption, estime que la propositio­n du Conseil fédéral n'assure pas une protection adéquate des lanceurs d'alerte.

«Pour nous, une protection ne passe que par des garanties contre le licencieme­nt abusif et des possibilit­és étendues de s'exprimer», déclare Martin Hilti, directeur de la branche suisse de l'associatio­n. Il n'est en effet pas prévu d'alourdir les sanctions contre les employeurs qui licenciera­ient abusivemen­t un lanceur d'alerte. Une entreprise n'est contrainte de dédommager un employé qu'à hauteur de six mois de salaire maximum.

D'après Martin Hilti, de telles sanctions ne sont pas du tout dissuasive­s. De plus, elles ne soulagent guère une personne qui, ayant perdu son emploi, a souvent de la difficulté à se faire réembauche­r par la suite, étant donné que «dénoncer son entreprise reste quelque chose de mal vu». Il estime, enfin, que le signalemen­t direct aux autorités et au public devrait être possible plus facilement, surtout lorsqu'il s'agit d'affaires de corruption massive qui impliquera­ient le conseil d'administra­tion ou la direction. «Je ne comprends pas comment on peut s'opposer à l'idée de favoriser les lanceurs d'alerte, qui au final rendent un service tant à l'entreprise qu'à la société», conclut-il, en déplorant la lenteur de la Suisse à légiférer.

«Dénoncer son entreprise reste quelque chose de mal vu»

MARTIN HILTI, DIRECTEUR

DE LA BRANCHE SUISSE DE TRANSPAREN­CY INTERNATIO­NAL

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