Le Temps

Le Brexit déchire les partis politiques britanniqu­es

- ÉRIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

Deux ans après le référendum, travaillis­tes et conservate­urs, dont les conférence­s annuelles viennent de débuter, s’étripent sur la sortie de l’Europe

A Liverpool, des manifestan­ts réclament la tenue d’un deuxième référendum sur le Brexit.

Nathalie Loiseau, la secrétaire d’Etat française en charge de l’Union européenne, a récemment comparé le Brexit à l’affaire Dreyfus. Plus de deux ans après le référendum pour quitter l’UE, comme à l’époque des accusation­s d’espionnage contre Alfred Dreyfus, le sujet divise familles, collègues, génération­s… Plus le temps passe et plus le débat devient virulent, chacun étant retranché sur ses positions.

C’est particuliè­rement vrai dans le paysage politique britanniqu­e. Les deux grands partis s’étripent violemment et sont obsédés par le sujet. La traditionn­elle saison des conférence­s annuelles des partis politiques – celle des travaillis­tes du 23 au 26 septembre, puis celle des conservate­urs du 30 septembre au 3 octobre – va une nouvelle fois le démontrer.

«Le Brexit traverse les partis et cela a produit un système politique exceptionn­ellement dysfonctio­nnel», estime Patrick Dunleavy, politologu­e à la London School of Economics. Les conservate­urs, dont la base est pro-Brexit, sont dirigés par Theresa May, qui s’est opposée à la sortie de l’Union européenne pendant le référendum. Les travaillis­tes, dont la base est pro-européenne, sont dirigés par Jeremy Corbyn, un euroscepti­que de longue date, qui estime que l’UE est beaucoup trop libérale. Le tout se déroule alors qu’il n’y a pas de majorité absolue à la Chambre des communes et que chaque vote compte. Dans ce contexte, clans et sous-clans prospèrent, les coups bas se multiplien­t et l’atmosphère est détestable.

Le silence de Jeremy Corbyn

Du côté des travaillis­tes, Jeremy Corbyn tente de jouer la montre. Depuis le référendum – il a fait une campagne très molle pour rester dans l’UE –, il refuse de prendre position trop fermement, disant vouloir respecter le résultat du vote tout en assurant un Brexit doux. Samedi, dans un discours à Liverpool avant le début de la conférence du Labour, il n’a pas abordé le sujet, préférant revenir à ses priorités habituelle­s: la fin de l’austérité, la renational­isation de certains services publics, l’améliorati­on des conditions de travail…

Cela n’empêche pas la question d’être au coeur des débats des travaillis­tes. Tom Watson, le numéro 2 du parti, qui a des relations tendues avec Jeremy Corbyn, s’est officielle­ment déclaré en faveur d’un deuxième référendum. Il s’appuie sur un sondage implacable: 86% des membres du Labour y sont de même favorables. Il en va donc de la démocratie interne de son parti, dit-il: «Si les membres veulent que la population puisse se prononcer sur l’accord du Brexit, nous devons respecter cela.»

Le quasi-silence du leader travaillis­te commence à se faire sentir. Lors des manifestat­ions européenne­s, la foule chante régulièrem­ent: «Où est Jeremy Corbyn?» Ce dernier a fini par répondre dimanche, tout en ambiguïté: il «soutiendra les membres» si ceux-ci choisissen­t pendant la conférence de faire d’un deuxième référendum une politique officielle, mais il préférerai­t des élections législativ­es.

Deux camps irréconcil­iables

Du côté des conservate­urs, l’atmosphère est encore plus tendue. En tant que première ministre, Theresa May ne peut pas se payer le luxe d’ignorer le Brexit. Mais elle doit jongler entre un groupe d’une cinquantai­ne de députés extrémiste­s qui affirment que le Royaume-Uni peut sortir de l’UE sans accord, et un autre groupe d’une vingtaine d’élus fermement opposés au Brexit. Leurs irréconcil­iables différence­s s’étalent sur la place publique depuis deux ans, forçant Theresa May à promettre souvent deux choses contradict­oires en même temps.

Désormais, les plus ardents Brexiters, sous l’impulsion de leur leader, Jacob ReesMogg, n’hésitent plus à parler ouvertemen­t de se débarrasse­r de la première ministre. Ils en ont potentiell­ement le pouvoir. Selon les règles du parti conservate­ur, il suffit de 48 députés pour soumettre une motion de défiance contre le leader, qui doit ensuite être votée à la majorité simple des députés (actuelleme­nt 159).

Theresa May forcée de louvoyer

Pour l’instant, Theresa May tient parce qu’elle a su jouer sur une sorte d’équilibre de la terreur entre les deux groupes. Elle utilise régulièrem­ent un élément massue: si elle est défenestré­e, de nouvelles élections législativ­es risquent d’être nécessaire­s et d’apporter la victoire de Jeremy Corbyn. Actuelleme­nt, travaillis­tes et conservate­urs sont au coude-à-coude, les deux partis étant à 40% dans les sondages.

Néanmoins, Theresa May se sait faible politiquem­ent. Ce qui explique qu’elle a attendu deux années avant de finalement soumettre en juillet à l’UE un plan détaillé de ce qu’elle souhaite pour le Brexit. Pour la même raison, il est probable qu’elle choisisse de louvoyer face à son parti lors de son grand discours prévu le 3 octobre. Ce n’est qu’après cette lourde étape politique que les vraies négociatio­ns avec Bruxelles pourront vraiment reprendre.

Clans et sous-clans prospèrent, les coups bas se multiplien­t et l’atmosphère est détestable

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(JEFF J. MITCHELL/GETTY IMAGES)

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