Le Brexit déchire les partis politiques britanniques
Deux ans après le référendum, travaillistes et conservateurs, dont les conférences annuelles viennent de débuter, s’étripent sur la sortie de l’Europe
A Liverpool, des manifestants réclament la tenue d’un deuxième référendum sur le Brexit.
Nathalie Loiseau, la secrétaire d’Etat française en charge de l’Union européenne, a récemment comparé le Brexit à l’affaire Dreyfus. Plus de deux ans après le référendum pour quitter l’UE, comme à l’époque des accusations d’espionnage contre Alfred Dreyfus, le sujet divise familles, collègues, générations… Plus le temps passe et plus le débat devient virulent, chacun étant retranché sur ses positions.
C’est particulièrement vrai dans le paysage politique britannique. Les deux grands partis s’étripent violemment et sont obsédés par le sujet. La traditionnelle saison des conférences annuelles des partis politiques – celle des travaillistes du 23 au 26 septembre, puis celle des conservateurs du 30 septembre au 3 octobre – va une nouvelle fois le démontrer.
«Le Brexit traverse les partis et cela a produit un système politique exceptionnellement dysfonctionnel», estime Patrick Dunleavy, politologue à la London School of Economics. Les conservateurs, dont la base est pro-Brexit, sont dirigés par Theresa May, qui s’est opposée à la sortie de l’Union européenne pendant le référendum. Les travaillistes, dont la base est pro-européenne, sont dirigés par Jeremy Corbyn, un eurosceptique de longue date, qui estime que l’UE est beaucoup trop libérale. Le tout se déroule alors qu’il n’y a pas de majorité absolue à la Chambre des communes et que chaque vote compte. Dans ce contexte, clans et sous-clans prospèrent, les coups bas se multiplient et l’atmosphère est détestable.
Le silence de Jeremy Corbyn
Du côté des travaillistes, Jeremy Corbyn tente de jouer la montre. Depuis le référendum – il a fait une campagne très molle pour rester dans l’UE –, il refuse de prendre position trop fermement, disant vouloir respecter le résultat du vote tout en assurant un Brexit doux. Samedi, dans un discours à Liverpool avant le début de la conférence du Labour, il n’a pas abordé le sujet, préférant revenir à ses priorités habituelles: la fin de l’austérité, la renationalisation de certains services publics, l’amélioration des conditions de travail…
Cela n’empêche pas la question d’être au coeur des débats des travaillistes. Tom Watson, le numéro 2 du parti, qui a des relations tendues avec Jeremy Corbyn, s’est officiellement déclaré en faveur d’un deuxième référendum. Il s’appuie sur un sondage implacable: 86% des membres du Labour y sont de même favorables. Il en va donc de la démocratie interne de son parti, dit-il: «Si les membres veulent que la population puisse se prononcer sur l’accord du Brexit, nous devons respecter cela.»
Le quasi-silence du leader travailliste commence à se faire sentir. Lors des manifestations européennes, la foule chante régulièrement: «Où est Jeremy Corbyn?» Ce dernier a fini par répondre dimanche, tout en ambiguïté: il «soutiendra les membres» si ceux-ci choisissent pendant la conférence de faire d’un deuxième référendum une politique officielle, mais il préférerait des élections législatives.
Deux camps irréconciliables
Du côté des conservateurs, l’atmosphère est encore plus tendue. En tant que première ministre, Theresa May ne peut pas se payer le luxe d’ignorer le Brexit. Mais elle doit jongler entre un groupe d’une cinquantaine de députés extrémistes qui affirment que le Royaume-Uni peut sortir de l’UE sans accord, et un autre groupe d’une vingtaine d’élus fermement opposés au Brexit. Leurs irréconciliables différences s’étalent sur la place publique depuis deux ans, forçant Theresa May à promettre souvent deux choses contradictoires en même temps.
Désormais, les plus ardents Brexiters, sous l’impulsion de leur leader, Jacob ReesMogg, n’hésitent plus à parler ouvertement de se débarrasser de la première ministre. Ils en ont potentiellement le pouvoir. Selon les règles du parti conservateur, il suffit de 48 députés pour soumettre une motion de défiance contre le leader, qui doit ensuite être votée à la majorité simple des députés (actuellement 159).
Theresa May forcée de louvoyer
Pour l’instant, Theresa May tient parce qu’elle a su jouer sur une sorte d’équilibre de la terreur entre les deux groupes. Elle utilise régulièrement un élément massue: si elle est défenestrée, de nouvelles élections législatives risquent d’être nécessaires et d’apporter la victoire de Jeremy Corbyn. Actuellement, travaillistes et conservateurs sont au coude-à-coude, les deux partis étant à 40% dans les sondages.
Néanmoins, Theresa May se sait faible politiquement. Ce qui explique qu’elle a attendu deux années avant de finalement soumettre en juillet à l’UE un plan détaillé de ce qu’elle souhaite pour le Brexit. Pour la même raison, il est probable qu’elle choisisse de louvoyer face à son parti lors de son grand discours prévu le 3 octobre. Ce n’est qu’après cette lourde étape politique que les vraies négociations avec Bruxelles pourront vraiment reprendre.
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Clans et sous-clans prospèrent, les coups bas se multiplient et l’atmosphère est détestable