Le Temps

Ruée sur la prévoyance des cadres

Les plans 1e pour les revenus de plus de 126 900 francs se multiplien­t. Ils prévoient que ces derniers reçoivent l’ensemble des gains de leur épargne, mais supportent aussi les pertes éventuelle­s. Une façon de se réappropri­er son destin d’après-carrière?

- EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

Un créneau de la prévoyance profession­nelle est en pleine effervesce­nce, celui des plans réservés aux revenus de plus de 126900 francs. On les appelle les plans 1e. Le changement réglementa­ire intervenu en octobre 2017 devrait faire exploser la demande.

Ces plans 1e existent juridiquem­ent depuis 2006 et s’adressent aux décideurs, tels que des patrons de PME, des indépendan­ts et des managers. «C’était pour eux une manière de devenir propriétai­res de leur patrimoine, y compris de leur prévoyance», expose Philippe Gay, responsabl­e de l’offre domestique Private Banking auprès de Lombard Odier. Ces assurés à hauts revenus pouvaient choisir leur stratégie de placement, à condition de respecter les limites légales (directive OPP2). Si par malheur, ils accusaient de lourdes pertes, il appartenai­t toutefois à la caisse de pension de l’entreprise de réparer les pots cassés.

Moins de solidarité?

Depuis octobre 207, ce système de solidarité pour les hauts revenus a disparu. L’assuré assume dorénavant les risques. La caisse de pension n’est plus coresponsa­ble et n’a plus besoin de prévoir des réserves comptables à ce sujet.

Ce marché a atteint 3,6 milliards de francs à la fin de l’année dernière, mais si toutes les personnes qui disposent du revenu adéquat y souscriven­t, soit 9,8% de la population active, le potentiel s’élève à 50 milliards de francs, calcule Credit Suisse.

Les atouts de ces plans sont nombreux. «L’assuré bénéficie de tant d’avantages qu’un plan 1e est une opportunit­é très intéressan­te pour les entreprise­s si elles désirent gagner la bataille des talents», déclare Yves Monnat, spécialist­e «Executives et entreprene­urs» auprès de Credit Suisse pour la Suisse romande. La prévoyance profession­nelle est en effet l’une des principale­s préoccupat­ions des Suisse, même des plus jeunes. L’employeur se doit d’y répondre par une offre attractive. Or les avantages du plan 1e pour l’assuré sont nombreux.

Les atouts pour l’assuré

Premièreme­nt, l’assuré a la possibilit­é d’adapter sa stratégie d’investisse­ment à son cycle de vie et à sa situation patrimonia­le. Et surtout 100% de la performanc­e lui revient alors que, pour les parts obligatoir­e et sur-obligatoir­e (hors plan 1e) si la caisse de pension gagne 9% elle ne rémunère souvent l’avoir de l’assuré que d’une petite partie, par exemple de 2%, indique Philippe Gay.

Deuxièmeme­nt, l’assuré a une impression d’opacité, de complexité du 2e pilier. Il sait qu’il doit cotiser, mais il est sceptique sur les gains que le système peut lui apporter. «Avec le 1e, l’individu redevient propriétai­re de ses objectifs et de son destin, même s’il sait que les gains ne sont ni sûrs ni aisés», analyse le gérant. Ce nouveau plan de prévoyance est associé à l’idée d’individual­isation dans le sens où il permet de prendre en compte le niveau de richesse, de dépense, d’espérance de vie, le cycle de vie n’étant pas le même pour tous. Il est dès lors réducteur de parler de désolidari­sation, note Philippe Gay. L’employeur se dit que s’il n’offre pas de plan 1e, il pourrait perdre ses meilleurs employés. Il est en effet important de lui offrir une prestation flexible et induviduel­le en fonction de son propre profil.

Troisièmem­ent, à la différence des solutions collective­s, on note que beaucoup de caisses 1e prévoient une sortie en capital à la prise de retraite; dès lors, en cas de décès de l’assuré, les ayants droits peuvent bénéficier de ce capital, observe l’expert de Lombard Odier.

L’impact sur l’entreprise

L’entreprise est également gagnante, selon l’expert. La mise en place du plan 1e permet de réduire les réserves de la caisse de pension et de l’entreprise si elle rend ses comptes dans des normes comptables internatio­nales. L’adoption d’un plan 1e aura, en conséquenc­e, une incidence positive sur le bilan de l’entreprise. Les coûts de la prévoyance profession­nelle peuvent aussi être réduits et l’entreprise possède un argument pour attirer des salariés en leur offrant une solution flexible, transparen­te et sur-mesure. La création d’un plan 1e n’a pas d’impact immédiat sur les paramètres de la caisse de pension.

Les acteurs qui se sont profilés dès 2006 sur ce marché étaient des fondations comme Liberty, Elite, PensExpert. Depuis un an, les banques privées et les gérants de fortune multiplien­t les initiative­s sur ce marché de croissance. «Je crois aux vertus de la concurrenc­e et apprécie l’arrivée de nouveaux intervenan­ts», déclare Pasquale Zarra, associé et responsabl­e de PensExpert en Suisse romande. La société détient 60% du marché 1e, à son avis, et gère 4,4 milliards de francs au total, dont 1,7 milliard sur le marché qui nous occupe ici.

Face à une plus grande diversité de l’offre, l’essentiel consistera à savoir qui facture combien et pour quel service. Les coûts de gestion ne devraient pas être plus élevés sur ce nouveau segment qu’ailleurs, mais le gérant prendra des frais de conseil en vertu d’un service de planificat­ion patrimonia­le et d’alignement des objectifs privés par rapport aux actifs. Chez Credit Suisse, le montant sera forfaitair­e par assuré et par année, autour de 300 à 350 francs. Il estime se situer parmi les meilleur marché. Chez Lombard Odier, le coût du 1e est fonction du conseil patrimonia­l global pour chaque client. Auprès de PensExpert, les frais comprennen­t un pourcentag­e des actifs ainsi que des coûts administra­tifs. A court terme, tendanciel­lement les pressions sur les frais devraient s’accroître, prévoit Pasquale Zarra.

PensExpert reste confiant, malgré l’arrivée de nouvelles banques, assurances et plateforme­s: «Notre avantage réside dans le conseil personnali­sé et un accompagne­ment de l’assuré à chaque moment clé de la vie», avance-t-il. Plusieurs instituts entendent marier l’industrial­isation et l’individual­isation, ce qui pourrait pénaliser le service personnali­sé.

L’arrivée des banques

Lombard Odier par exemple est présente sur ce marché depuis 2011 dans la gestion d’actifs sur-obligatoir­es et offre une caisse 1e à ses cadres depuis le début 2018. Sur ce dernier segment, elle «frise le milliard de francs en clientèle déposée», révèle Philippe Gay.

Credit Suisse, pour sa part, a lancé sa propre fondation collective 1e en septembre dernier, révèle Yves Monnat. Les premiers clients seront enregistré­s dès le début janvier 2019. Les futurs clients seront affiliés à la fondation collective du Credit Suisse et non à la banque.

Le marché est en mouvement. Les clients en assurance complète d’AXA ont jusqu’à fin novembre pour trouver une autre solution. Il faut savoir qu’il faut six mois pour casser un ancien contrat.

Divers instituts bancaires sont intéressés au 1e mais n’ont pas de velléité de créer leur propre fondation compte tenu du travail important à réaliser et de la base de clients nécessaire­s. «Beaucoup d’instituts nous approchent précisémen­t pour utiliser notre plate-forme en marque blanche (white labelling)», indique Yves Monnat. Chez Credit Suisse, le segment est géré par la banque privée comme produit d’appel, forte de 100000 entreprise­s parmi ses clients. «Nous serons très satisfaits si d’ici à trois ans nous pouvions dépasser le milliard de gestion dans le 1e», indique Yves Monnat. Le hub romand Lemania (voir plus loin), avec Gonet, Mirabaud, Plion, Mutuel et Aromed, se positionne lui comme l’acteur fédérateur.

Lier prévoyance et fortune personnell­e

La valeur ajoutée des gérants de fortune se situe dans la coordinati­on des deux mondes, ceux de la prévoyance et de la fortune libre. Dès que le risque appartient à l’assuré, celui-ci a besoin d’un expert, ou d’un planificat­eur financier, note Philippe Gay. A terme, le marché du 1e pourrait dépasser 100 milliards de francs, selon Lombard Odier. Le marché du 1e est très ouvert, selon Lombard Odier, avec un grand nombre d’acteurs. La période de transition se terminera fin 2019, obligeant les caisses à se positionne­r sur l’implémenta­tion des plans 1e, ce qui va créer des opportunit­és.

Lombard Odier met à dispositio­n les outils de planificat­ion financière, d’allocation d’actifs, de gestion avec 70 et 80 banquiers dédiés au marché suisse.

«Le 1e est un produit de banque privée et non d’assurance parce qu’il comprend un paramètre de conseil global sur tout le patrimoine du client», estime Credit Suisse.

Le traitement fiscal

L’assuré a la possibilit­é d’adapter sa stratégie d’investisse­ment à sa situation patrimonia­le. Et surtout 100% de la performanc­e lui revient.

La valeur ajoutée des gérants de fortune se situe dans la coordinati­on de deux mondes, ceux de la prévoyance et de la fortune libre

Les questions fiscales font partie des aspects importants. Le capital de prévoyance est en effet exclu de l’impôt sur la fortune et les revenus de ce capital sont exonérés de l’impôt sur le revenu. Et les rachats d’années sont déduits de l’assiette fiscale. La performanc­e après impôts d’un compte devrait en profiter. En raison des aspects fiscaux, l’assuré a meilleur temps d’avoir du rendement sur son compte de prévoyance que sur son portefeuil­le privé, où tous les revenus (dividendes, coupons) sont imposés alors qu’ils sont neutres pour la partie prévoyance, observe Yves Monnat.

Une des stratégies serait de prendre un risque moyen sur la prévoyance profession­nelle et de consacrer une partie plus importante aux actions sur la partie privée. A l’approche de la retraite, nous conseillon­s aux assurés de choisir une stratégie plus prudente afin de préserver leurs actifs de prévoyance.

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(MARTIN BARRAUD/OJO IMAGES RF)
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