«Un certain mécontentement est normal»
L’incompréhension est normale dans la population lorsqu’elle entend que ceux qui ont pris leur retraite ont des rentes qui n’ont pas été entièrement financées, avance Jean Pirrotta, directeur de l’Autorité de surveillance des instituts de prévoyance
Jean Pirrotta, directeur de l’autorité de surveillance genevoise, estime que la situation est excellente pour la quasi-totalité des institutions du canton et propose de dépolitiser le débat.
A Genève, l’Autorité de cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance (ASFIP) surveille 256 institutions pour une fortune totale de plus de 63 milliards de francs. Le nombre d’assurés et la fortune totale des caisses de pension augmentent, même si leur nombre diminue du fait du processus de concentration. L’ASFIP dispose de 14 employés avec des profils très spécialisés (juristes/avocats, actuaires, réviseurs). Elle s’occupe aussi de la surveillance des fondations de droit privé, à savoir 540 fondations pour une fortune totale de près de 5 milliards. Cela représente un volume important de 800 entités sous surveillance. Jean Pirrotta, son directeur, indique que l’autorité est entièrement autofinancée par les émoluments et que le nombre de dossiers par employé est dans la moyenne suisse. Il répond aux questions du Temps sur les défis de la branche à Genève.
L’alarmisme est-il justifié de la part des assurés à l’égard du 2e pilier? Le terme alarmisme est exagéré. L’autorité de surveillance se concentre sur la situation financière, actuarielle et juridique des institutions de prévoyance. Nous vérifions notamment que la caisse de pension dispose d’une fortune suffisante pour couvrir ses engagements de prévoyance, mais nous n’intervenons pas dans sa stratégie. Un bon degré de couverture ne garantit pas des prestations généreuses, mais c’est un signe de santé et la garantie de pouvoir payer les prestations futures, ce qui devrait rassurer les assurés.
La chute des taux de conversion depuis dix ans ne crée-t-elle pas un malaise? Le taux de conversion est lié au taux technique, lequel dépend notamment des rendements financiers. Si l’un baisse, l’autre baisse aussi. La situation est très sensible pour les institutions de prévoyance qui sont au minimum LPP, qui doivent appliquer le taux de conversion minimal prévu par la loi de 6,8%. A Genève, la très grande majorité des institutions de prévoyance que nous surveillons sont des caisses enveloppantes, qui font plus que le minimum LPP. Leur taux de conversion s’applique à toute l’institution (parts obligatoire et surobligatoire). Le taux de conversion appliqué à Genève est en moyenne de 6,25%. Il est plus élevé qu’en Suisse alémanique.
Quel est le plus bas à Genève? Les sensibilités latine et alémanique sont différentes. La moyenne à Genève est de 6,25%, mais certaines caisses appliquent un taux inférieur. En Suisse romande, on considère que si la LPP devait baisser excessivement le taux technique et le taux de conversion, le but recherché à l’origine avec le 2e pilier ne serait plus respecté, du moins dans son esprit. Les taux technique et de conversion sont plus bas en Suisse alémanique, car la sensibilité en termes de risques et d’évolution future est différente.
Est-ce que le mécontentement va s’accroître si les paramètres techniques continuent de se détériorer? Possible. Néanmoins, le mécontentement, s’il devait survenir, serait plus d’ordre politique et social. Le citoyen estimerait que le 2e pilier n’atteint plus ses buts initiaux, ce qui entraînerait une perte de confiance. Si les deux premiers piliers ne devaient plus atteindre environ 60% du dernier salaire, le mécontentement se manifesterait certainement dans les urnes. Il est toutefois normal qu’il y ait un certain mécontentement et de l’incompréhension dans la population active, lorsqu’elle entend que ceux qui ont pris leur retraite ont pu obtenir des rentes qui n’ont pas été entièrement financées et qu’il incombe à la génération actuelle de combler le manque de financement. Les rentiers bénéficient du principe des droits acquis, qui ne permet pas de diminuer le montant de leur rente. Certaines caisses de pension en Suisse alémanique ont essayé d’introduire un système de rentes variables, mais ce système s’avère peu social et juridiquement limite.
Les prévisions de revenu à la retraite qui étaient présentées aux assurés il y a quinze ans ne sont plus valables. Pourquoi n’y a-t-il pas davantage de mécontentement? Les prévisions de retraite future sont des expectatives, dont les bases de calcul peuvent changer. Tel est le cas actuellement avec les rendements insuffisants et le vieillissement démographique. Le Conseil fédéral et les Chambres fédérales ont cherché des solutions et proposé plusieurs projets, notamment pour baisser le taux de conversion, qui ont à chaque fois été refusés en votation populaire. Même si c’est plus facile à dire qu’à faire, je reste convaincu que si les réformes sont équilibrées, bien préparées et expliquées, la population est prête à les accepter. Il faut toutefois dépolitiser le sujet et éviter les dogmes et clivages politiques inutiles.
Le problème vient-il de l’importance accordée à la démographie et aux rendements financiers? La prévoyance, c’est d’un côté le financement et de l’autre les engagements de retraite. On retrouve cela dans les comptes des caisses de pension avec l’actif et le passif au bilan. Si les engagements peuvent et doivent être correctement calculés par l’expert en se basant sur des hypothèses prudentes et en utilisant les bonnes bases techniques, le financement comporte, lui, une plus grande part d’incertitude due à la volatilité du tiers cotisant, à savoir les rendements des placements. En outre, le 1er et le 2e pilier sont fondés sur une relation financement-prestations différente.
Jean Pirrotta: «La prévoyance, c’est d’un côté le financement et de l’autre les engagements de retraite.» «Si les deux premiers piliers ne devaient plus atteindre environ 60% du dernier salaire, le mécontentement se manifesterait certainement dans les urnes»
Avec les changements démographique et financier, ceux qui sont partis à la retraite il y a quelques années ont pu bénéficier de rentes LPP supérieures au montant de leur épargne, ce qui aboutit à un subventionnement intergénérationnel croisé des bénéficiaires de rentes au détriment des cotisants actuels. Ce débat est particulièrement sensible à Genève avec la situation de certaines caisses publiques qui présentent une grande proportion de rentiers et une importante sous-couverture.
Comment résoudre ce problème? S’agissant des caisses publiques, le droit fédéral a imposé une recapitalisation à 80% sur une durée maximale de quarante ans, ce qui a contribué à une prise de conscience du problème et au dépôt de projets de loi pour combler le sous-financement important. En effet, sans financement supplémentaire étatique, la situation des assurés actifs deviendrait très critique. Il incombe dès lors tant à la caisse qu’à l’Etat employeur et garant de prendre les mesures nécessaires. Au niveau fédéral, il y a un débat sur la baisse du taux de conversion. En outre, on constate également une diminution du nombre de caisses de pension en primauté de prestations, au profit de la primauté des cotisations, qui permet une meilleure adéquation entre les cotisations de l’assuré et sa rente future. La primauté des prestations est souvent plus généreuse pour les assurés, ce qui nécessite un financement plus important par des cotisations supplémentaires de l’employé et de l’employeur. Les caisses de pension ont pris conscience qu’elles ne peuvent pas promettre des prestations sur la base d’hypothèses trop optimistes ou qu’elles ne maîtrisent pas. Même en Suisse romande, une certaine prudence s’est imposée. Y a-t-il une forme de convergence vers la moyenne des caisses? Le système suisse a l’avantage de ne pas être centralisé, comme la Sécurité sociale en France. Nous avons un système diversifié et de milice. Chaque employeur, à condition de respecter certaines règles, peut créer sa caisse de pension. Le conseil de fondation paritaire fixe dans des règlements les règles spécifiques à son institution. Dès lors, les caisses n’ont pas toutes les mêmes données techniques. A Genève, certaines ont un taux de conversion supérieur à 7%, d’autres de 5%. Certaines ont un taux technique de plus de 4% et d’autres d’à peine 1%. Si le taux technique dépasse celui que recommande la Chambre suisse des experts en caisse de pension (2,25% en 2017 baissé à 2% en 2018), nous demandons à la caisse de justifier ce dépassement. Les caisses constituent souvent les provisions nécessaires pour une future baisse de leur taux technique, ce qui permet de maîtriser ce risque.
Est-ce que les caisses genevoises sont performantes? La performance moyenne en 2017 a été excellente à 7%. Le nombre de caisses en découvert est en constante diminution. Au 31 décembre 2017, il n’y en avait que cinq, dont trois publiques. Parmi les deux caisses privées, l’une est à 98% et l’autre peut s’appuyer sur un employeur prêt à financer le découvert.
Est-ce que vous prenez des sanctions? Toutes les institutions de prévoyance doivent nous remettre chaque année un certain nombre de documents financiers et actuariels, qui sont ensuite examinés et font l’objet d’une lettre commentaire. Dans le cadre de notre contrôle, nous sommes amenés à faire des remarques, relever des incohérences et demander des explications ou des documents complémentaires. L’objectif de la surveillance n’est pas de sanctionner, mais de vérifier la bonne gestion de l’institution de prévoyance, en maintenant une bonne relation avec les conseils de fondation et avec les différents intervenants. Nous privilégions toujours la discussion. Si nous constatons que la situation est grave, nous pouvons prendre des mesures plus coercitives, comme demander une contre-expertise par un expert indépendant. Pour les cas très graves, nous pouvons aussi destituer un conseil de fondation et nommer un commissaire chargé de remettre l’institution de prévoyance sur les bons rails. Cette mesure reste exceptionnelle et limitée aux cas très graves, mais nous avons déjà dû la prendre.
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