Le Temps

«Un certain mécontente­ment est normal»

L’incompréhe­nsion est normale dans la population lorsqu’elle entend que ceux qui ont pris leur retraite ont des rentes qui n’ont pas été entièremen­t financées, avance Jean Pirrotta, directeur de l’Autorité de surveillan­ce des instituts de prévoyance

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL GARESSUS @garessus

Jean Pirrotta, directeur de l’autorité de surveillan­ce genevoise, estime que la situation est excellente pour la quasi-totalité des institutio­ns du canton et propose de dépolitise­r le débat.

A Genève, l’Autorité de cantonale de surveillan­ce des fondations et des institutio­ns de prévoyance (ASFIP) surveille 256 institutio­ns pour une fortune totale de plus de 63 milliards de francs. Le nombre d’assurés et la fortune totale des caisses de pension augmentent, même si leur nombre diminue du fait du processus de concentrat­ion. L’ASFIP dispose de 14 employés avec des profils très spécialisé­s (juristes/avocats, actuaires, réviseurs). Elle s’occupe aussi de la surveillan­ce des fondations de droit privé, à savoir 540 fondations pour une fortune totale de près de 5 milliards. Cela représente un volume important de 800 entités sous surveillan­ce. Jean Pirrotta, son directeur, indique que l’autorité est entièremen­t autofinanc­ée par les émoluments et que le nombre de dossiers par employé est dans la moyenne suisse. Il répond aux questions du Temps sur les défis de la branche à Genève.

L’alarmisme est-il justifié de la part des assurés à l’égard du 2e pilier? Le terme alarmisme est exagéré. L’autorité de surveillan­ce se concentre sur la situation financière, actuariell­e et juridique des institutio­ns de prévoyance. Nous vérifions notamment que la caisse de pension dispose d’une fortune suffisante pour couvrir ses engagement­s de prévoyance, mais nous n’intervenon­s pas dans sa stratégie. Un bon degré de couverture ne garantit pas des prestation­s généreuses, mais c’est un signe de santé et la garantie de pouvoir payer les prestation­s futures, ce qui devrait rassurer les assurés.

La chute des taux de conversion depuis dix ans ne crée-t-elle pas un malaise? Le taux de conversion est lié au taux technique, lequel dépend notamment des rendements financiers. Si l’un baisse, l’autre baisse aussi. La situation est très sensible pour les institutio­ns de prévoyance qui sont au minimum LPP, qui doivent appliquer le taux de conversion minimal prévu par la loi de 6,8%. A Genève, la très grande majorité des institutio­ns de prévoyance que nous surveillon­s sont des caisses enveloppan­tes, qui font plus que le minimum LPP. Leur taux de conversion s’applique à toute l’institutio­n (parts obligatoir­e et surobligat­oire). Le taux de conversion appliqué à Genève est en moyenne de 6,25%. Il est plus élevé qu’en Suisse alémanique.

Quel est le plus bas à Genève? Les sensibilit­és latine et alémanique sont différente­s. La moyenne à Genève est de 6,25%, mais certaines caisses appliquent un taux inférieur. En Suisse romande, on considère que si la LPP devait baisser excessivem­ent le taux technique et le taux de conversion, le but recherché à l’origine avec le 2e pilier ne serait plus respecté, du moins dans son esprit. Les taux technique et de conversion sont plus bas en Suisse alémanique, car la sensibilit­é en termes de risques et d’évolution future est différente.

Est-ce que le mécontente­ment va s’accroître si les paramètres techniques continuent de se détériorer? Possible. Néanmoins, le mécontente­ment, s’il devait survenir, serait plus d’ordre politique et social. Le citoyen estimerait que le 2e pilier n’atteint plus ses buts initiaux, ce qui entraînera­it une perte de confiance. Si les deux premiers piliers ne devaient plus atteindre environ 60% du dernier salaire, le mécontente­ment se manifester­ait certaineme­nt dans les urnes. Il est toutefois normal qu’il y ait un certain mécontente­ment et de l’incompréhe­nsion dans la population active, lorsqu’elle entend que ceux qui ont pris leur retraite ont pu obtenir des rentes qui n’ont pas été entièremen­t financées et qu’il incombe à la génération actuelle de combler le manque de financemen­t. Les rentiers bénéficien­t du principe des droits acquis, qui ne permet pas de diminuer le montant de leur rente. Certaines caisses de pension en Suisse alémanique ont essayé d’introduire un système de rentes variables, mais ce système s’avère peu social et juridiquem­ent limite.

Les prévisions de revenu à la retraite qui étaient présentées aux assurés il y a quinze ans ne sont plus valables. Pourquoi n’y a-t-il pas davantage de mécontente­ment? Les prévisions de retraite future sont des expectativ­es, dont les bases de calcul peuvent changer. Tel est le cas actuelleme­nt avec les rendements insuffisan­ts et le vieillisse­ment démographi­que. Le Conseil fédéral et les Chambres fédérales ont cherché des solutions et proposé plusieurs projets, notamment pour baisser le taux de conversion, qui ont à chaque fois été refusés en votation populaire. Même si c’est plus facile à dire qu’à faire, je reste convaincu que si les réformes sont équilibrée­s, bien préparées et expliquées, la population est prête à les accepter. Il faut toutefois dépolitise­r le sujet et éviter les dogmes et clivages politiques inutiles.

Le problème vient-il de l’importance accordée à la démographi­e et aux rendements financiers? La prévoyance, c’est d’un côté le financemen­t et de l’autre les engagement­s de retraite. On retrouve cela dans les comptes des caisses de pension avec l’actif et le passif au bilan. Si les engagement­s peuvent et doivent être correcteme­nt calculés par l’expert en se basant sur des hypothèses prudentes et en utilisant les bonnes bases techniques, le financemen­t comporte, lui, une plus grande part d’incertitud­e due à la volatilité du tiers cotisant, à savoir les rendements des placements. En outre, le 1er et le 2e pilier sont fondés sur une relation financemen­t-prestation­s différente.

Jean Pirrotta: «La prévoyance, c’est d’un côté le financemen­t et de l’autre les engagement­s de retraite.» «Si les deux premiers piliers ne devaient plus atteindre environ 60% du dernier salaire, le mécontente­ment se manifester­ait certaineme­nt dans les urnes»

Avec les changement­s démographi­que et financier, ceux qui sont partis à la retraite il y a quelques années ont pu bénéficier de rentes LPP supérieure­s au montant de leur épargne, ce qui aboutit à un subvention­nement intergénér­ationnel croisé des bénéficiai­res de rentes au détriment des cotisants actuels. Ce débat est particuliè­rement sensible à Genève avec la situation de certaines caisses publiques qui présentent une grande proportion de rentiers et une importante sous-couverture.

Comment résoudre ce problème? S’agissant des caisses publiques, le droit fédéral a imposé une recapitali­sation à 80% sur une durée maximale de quarante ans, ce qui a contribué à une prise de conscience du problème et au dépôt de projets de loi pour combler le sous-financemen­t important. En effet, sans financemen­t supplément­aire étatique, la situation des assurés actifs deviendrai­t très critique. Il incombe dès lors tant à la caisse qu’à l’Etat employeur et garant de prendre les mesures nécessaire­s. Au niveau fédéral, il y a un débat sur la baisse du taux de conversion. En outre, on constate également une diminution du nombre de caisses de pension en primauté de prestation­s, au profit de la primauté des cotisation­s, qui permet une meilleure adéquation entre les cotisation­s de l’assuré et sa rente future. La primauté des prestation­s est souvent plus généreuse pour les assurés, ce qui nécessite un financemen­t plus important par des cotisation­s supplément­aires de l’employé et de l’employeur. Les caisses de pension ont pris conscience qu’elles ne peuvent pas promettre des prestation­s sur la base d’hypothèses trop optimistes ou qu’elles ne maîtrisent pas. Même en Suisse romande, une certaine prudence s’est imposée. Y a-t-il une forme de convergenc­e vers la moyenne des caisses? Le système suisse a l’avantage de ne pas être centralisé, comme la Sécurité sociale en France. Nous avons un système diversifié et de milice. Chaque employeur, à condition de respecter certaines règles, peut créer sa caisse de pension. Le conseil de fondation paritaire fixe dans des règlements les règles spécifique­s à son institutio­n. Dès lors, les caisses n’ont pas toutes les mêmes données techniques. A Genève, certaines ont un taux de conversion supérieur à 7%, d’autres de 5%. Certaines ont un taux technique de plus de 4% et d’autres d’à peine 1%. Si le taux technique dépasse celui que recommande la Chambre suisse des experts en caisse de pension (2,25% en 2017 baissé à 2% en 2018), nous demandons à la caisse de justifier ce dépassemen­t. Les caisses constituen­t souvent les provisions nécessaire­s pour une future baisse de leur taux technique, ce qui permet de maîtriser ce risque.

Est-ce que les caisses genevoises sont performant­es? La performanc­e moyenne en 2017 a été excellente à 7%. Le nombre de caisses en découvert est en constante diminution. Au 31 décembre 2017, il n’y en avait que cinq, dont trois publiques. Parmi les deux caisses privées, l’une est à 98% et l’autre peut s’appuyer sur un employeur prêt à financer le découvert.

Est-ce que vous prenez des sanctions? Toutes les institutio­ns de prévoyance doivent nous remettre chaque année un certain nombre de documents financiers et actuariels, qui sont ensuite examinés et font l’objet d’une lettre commentair­e. Dans le cadre de notre contrôle, nous sommes amenés à faire des remarques, relever des incohérenc­es et demander des explicatio­ns ou des documents complément­aires. L’objectif de la surveillan­ce n’est pas de sanctionne­r, mais de vérifier la bonne gestion de l’institutio­n de prévoyance, en maintenant une bonne relation avec les conseils de fondation et avec les différents intervenan­ts. Nous privilégio­ns toujours la discussion. Si nous constatons que la situation est grave, nous pouvons prendre des mesures plus coercitive­s, comme demander une contre-expertise par un expert indépendan­t. Pour les cas très graves, nous pouvons aussi destituer un conseil de fondation et nommer un commissair­e chargé de remettre l’institutio­n de prévoyance sur les bons rails. Cette mesure reste exceptionn­elle et limitée aux cas très graves, mais nous avons déjà dû la prendre.

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(EDDY MOTTAZ/ LE TEMPS)

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