Le Temps

Coty orchestre sa mue depuis Genève

Le groupe américain inaugure ce lundi ses nouvelles installati­ons de Versoix, où il concentre désormais toute son innovation. L’importante base de données qu’il y constitue sera le socle de sa croissance

- RACHEL RICHTERICH @RRichteric­h

On appelle cela un orgue. C’est une petite alcôve adjacente au laboratoir­e, comme une abside de cathédrale. Des dizaines de flacons argentés sont entreposés au-dessus du pupitre et forment sa soufflerie, avec des notes de bergamote, de vétiver ou de vanille. C’est là que le parfumeur compose ses accords, qu’il les organise en harmonies de senteurs. En bas se trouvent les notes aiguës, en haut les basses, les fragrances plus profondes. «Nous testons ici la performanc­e de plus de 1500 ingrédient­s entrant dans la compositio­n de nos parfums»: Sumit Bhasin, chef de la recherche et du développem­ent (R&D) de Coty, est fier de nous présenter son unité.

L’entreprise, cotée à la bourse de New York, a déboursé 5 millions de francs l’an passé pour faire de l’ancienne papeterie de Versoix son centre mondial R&D en parfumerie. Ce après être devenu numéro un du segment depuis le rachat de la division beauté de Procter & Gamble (P&G) en 2016. Une transactio­n à plus de 12 milliards de francs, qui lui a permis de doubler son chiffre d’affaires à 9 milliards et d’ajouter 43 marques à son portefeuil­le, qui en totalise désormais 77. Parmi elles, Gucci, Hugo Boss ou Calvin Klein.

Le big data du parfum

Le groupe a doté ses laboratoir­es d’une technologi­e de pointe. D’imposants ordinateur­s analysent la compositio­n d’un flacon. «Chaque pointe de cette courbe représente un ingrédient», indique Sumit Bhasin en nous montrant le graphique à l’écran. Il reste énigmatiqu­e sur le destin de ces données numérisées. «Ce que l’on peut décomposer, on peut le reconstitu­er», lance-t-il. A distance? Il rit, mais n’en dira pas plus.

L’intelligen­ce artificiel­le est un élément clé dans la transforma­tion du groupe qui, dans la foulée de l’opération P&G, a racheté Beamly, spécialisé dans le marketing en ligne, et Younique, plateforme de vente via les réseaux sociaux. Outre la numérisati­on de la compositio­n de ses produits, Coty étoffe sa base de données en stockant les retours de sa soixantain­e de panélistes, qui effectuent 8000 visites annuelles. Alimentent-ils des algorithme­s? Nous n’en saurons pas plus.

Le groupe a aussi créé trente postes «à haute valeur ajoutée», portant à 55 le nombre de chercheurs à Versoix (600 employés au total à Genève, ex-P&G inclus). Parmi eux, un chimiste spécialisé dans la formulatio­n du jus de parfum, ou encore un expert dans l’encapsulat­ion (concentrat­ion de fines particules d’actifs de sorte qu’ils soient diffusés sur la peau tout au long de la journée). Soit des compétence­s spécifique­s, qu’il a fallu recruter – seul six postes ont été pourvus à l’interne. C’est ce qui pousse Sumit Bhasin à plancher sur la mise en place d’une formation universita­ire, «pourquoi pas en enrichissa­nt le cursus d’un module dédié à la science de la parfumerie».

«Nous jouissons ici d’un écosystème exceptionn­el, dû à la présence d’acteurs comme Firmenich et Givaudan, entre autres», poursuit Sumit Bhasin, qui a effectué jusqu’à la fusion ses trente ans de carrière chez P&G, en majorité dans les parfums. Un tiers du marché mondial de la parfumerie fine, estimé à 29 milliards de dollars (2017), se trouve au bout du Léman, région que l’on surnomme la «Fragrance Valley» (vallée du parfum).

Coty achète sa matière première auprès de ses deux grandes soeurs – les fameux flacons argentés de l’orgue. Au-delà de cette relation client-fournisseu­r, «nous travaillon­s ensemble sur des programmes de développem­ent communs». Là encore, il dresse le rideau de la confidenti­alité, indiquant seulement que «Coty travaille avec eux pour analyser la performanc­e et la formulatio­n des parfums pour les différente­s gammes de produits», pour pouvoir les améliorer. De quoi constituer un «réseau de l’innovation», selon ses termes.

Chiffres décevants

Pour répondre à quelles tendances? «La demande évolue notamment vers davantage d’authentici­té et de naturalité.» C’est ce qui pousse le consommate­ur à se tourner vers des marques indépendan­tes, plombant les comptes de Coty. Revenus et résultats ont déçu au quatrième trimestre de son exercice clos fin juin, le titre a perdu plus de 40% en bourse depuis le début de l’année.

Dans la foulée de la publicatio­n des chiffres fin août, le groupe, qui compte 20000 employés dans le monde, a annoncé investir 250 millions de dollars dans le cadre d’une nouvelle restructur­ation. Cette dernière est censée lui permettre d’économiser 150 millions sur trois ans. La somme sera largement réinvestie dans l’innovation.

En tant que patron de la recherche, Sumit Bhasin joue premier violon dans la transforma­tion de Coty, dont l’ambition est à terme de passer du troisième rang de la beauté à la place de numéro un mondial devant L’Oréal (26 milliards d’euros de chiffre d’affaires). Avec un credo: «la fragrance, c’est le coeur d’une propositio­n holistique de n’importe quel produit. C’est lui qui génère et véhicule les impression­s. Il doit être en accord avec les désirs du consommate­ur.»

«Nous jouissons ici d’un écosystème exceptionn­el, dû à la présence d’acteurs comme Firmenich et Givaudan, entre autres»

SUMIT BHASIN, CHEF DE LA RECHERCHE ET DU DÉVELOPPEM­ENT (R&D) DE COTY

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(DAVID WAGNIÈRES POUR LE TEMPS) «La fragrance, c’est le coeur d’une propositio­n holistique de n’importe quel produit. C’est lui qui génère et véhicule les impression­s. Il doit être en accord avec les désirs du consommate­ur», explique Sumit Bhasin, chef de la recherche et du développem­ent (R&D) de Coty.

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