João Cabeçadas, pour l’amour du vent
Troisième du Grand Prix Realstone, Alinghi remporte le championnat D35. Une ligne de plus au palmarès de João Cabeçadas, préparateur hors pair, qui a côtoyé José Mourinho et Eric Tabarly avant de lier son destin à celui d’Ernesto Bertarelli
L’an prochain, cela fera vingt ans que sa route a croisé celle d’Ernesto Bertarelli. João Cabeçadas, 57 ans, bichonne matin et soir les voiliers d’une équipe d’Alinghi soudée comme les doigts de la main. Mais cet homme de l’ombre, navigateur hors pair, a plus d’un tour du monde dans son sac et un palmarès long comme un jour sans air. Mercredi 19 septembre, entre deux navigations tests en vue de l’élaboration du TF35, le futur bijou technologique lémanique amené à remplacer le D35 dès 2020, il nous a accordé une heure pour évoquer son parcours au long cours.
«J’avais 6 mois lorsque mes parents ont commencé à m’emmener en croisière sur le voilier que mon papa avait construit, commence-t-il. Je me souviens précisément de la première fois où j’ai pu barrer, bien avant 6 ans.» La suite est plus classique: dériveur, quillards et, très vite, l’appel du large. «Ça m’a fait tilt: notre maison transpirait la course au large. Mon père n’est jamais allé plus loin que les côtes portugaises, mais les tours du monde le fascinaient.» Une première course en équipage Lisbonne-les Açores-Lisbonne, remportée en 1983, lui inocule définitivement le virus.
Formation d’officier de pont en parallèle
Parallèlement, il opte pour une formation d’officier de pont dans la marine marchande. «Ça me permettait d’apprendre un maximum de choses sur la mer, les océans, les courants, la météo, l’architecture navale, la mécanique des fluides et la résistance des matériaux.» Pendant huit ans, il arpente les océans sur des pétroliers ou des remorqueurs, en s’imaginant ce qui se passerait en pareilles circonstances sur un voilier. «J’ai pu traverser de nombreuses fois le Pot au noir à une vitesse supérieure à celle des voiliers de l’époque, et comprendre la complexité de cette zone de convergence intertropicale si redoutée à la voile. Ça m’a aidé ensuite lors de mon premier tour du monde en équipage et nous a permis de remporter l’étape.»
A partir de 1989, il enchaîne trois courses autour du monde – la Whitbread –, dont une avec Eric Tabarly. «Après avoir lu, à 12 ans, des récits sur la Whitbread, sur Eric Tabarly et sur le cap Horn, j’ai pu faire coïncider ces trois centres d’intérêt.» Il en garde des souvenirs puissants et une certaine fierté. «Il y a plus de gens qui ont gravi l’Everest que doublé le cap Horn. Il y avait du danger, beaucoup de neige, de glaçons qui flottent, il faisait très froid, mais on avait choisi d’y être.» D’Eric Tabarly, il connaît la vraie personnalité. Celle d’un marin pas si taiseux. «Il est un peu timide en public, mais avec la famille – et l’équipage, c’est sa famille –, il adore raconter des histoires et, nous, lui extorquer des récits. C’est un meneur d’hommes. Il ne les pousse pas, il les traîne derrière.» Il en parle au présent, comme si le mentor n’était pas brutalement disparu en juin 1998. «J’étais choqué, j’étais touché. Eric n’est pas vivant, mais il est présent. Comme mon papa… Il n’y a pas une journée où je ne pense pas à lui.»
Une équipe devenue une famille
Une autre rencontre marque à jamais sa vie professionnelle, celle avec Ernesto Bertarelli. «C’était en 1999, il avait aidé Pierre Fehlmann à sortir du trou en finançant la construction des Grand Mistral, rebaptisés Maxi One Design». Ils ont constitué une flotte de huit bateaux et un tour de l’Europe. Ernesto cherchait quelqu’un pour compléter son équipage, composé déjà de Pierre-Yves Jorand et Yves Detrey. Je les ai rencontrés à Cadix et j’ai embarqué avec eux dans une aventure qui dure depuis presque vingt ans.» Les longues heures passées «au rappel» (à faire contrepoids contre le bastingage quand le bateau gîte) avec Bertarelli ont noué des liens.
Du poste de navigateur il est passé à celui de gréeur et préparateur pour les catamarans lémaniques, mais aussi lors de la Coupe de l’America. Et il est toujours de la partie, en D35 et sur le circuit international des Extreme Sailing Series. Les bateaux ont évolué, mais les hommes n’ont pas changé. João Cabeçadas aime l’audace, la vision et le perfectionnisme d’Alinghi. Une équipe devenue une famille auprès de laquelle il distille ses jeux de mots et encaisse, sans se lasser, les plaisanteries autour de ses habitudes alimentaires – il ne mange jamais chaud. Qui aime bien châtie bien.
«Jouer» en kitesurf
Quand il n’est pas pris avec Alinghi, il s’envole pour le Portugal et retrouve sa famille à Setubal, sa ville natale, où il a côtoyé José Mourinho sur les bancs de l’école primaire. Cet été, ils se sont croisés sur le bac qui mène à la presqu’île de Comporta. «C’est lui qui m’a reconnu, sourit-il. On a bavardé un petit moment. On suit nos parcours respectifs à distance. La seule chose que je sais en foot, c’est dans quelle équipe il est. C’est de la fierté de se dire qu’un copain du village est arrivé jusque-là. Petit, il était déterminé, ça, c’est sûr. L’image qu’il donne à l’extérieur est une carapace pour se protéger.»
Lui, au contraire, peut se permettre de rester léger comme l’air. Au Portugal, João Cabeçadas troque son ciré pour une combinaison néoprène pour aller «jouer» en kitesurf. Ambassadeur Eleveight, il aime initier qui le souhaite à cette discipline. «Depuis tout petit, le vent est mon compagnon de jeu.» Sur sa feuille de route, tous les chemins mènent à Eole.
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João Cabeçadas aime l’audace, la vision et le perfectionnisme d’Alinghi