Le Temps

Patricia Petibon et Isabelle Adjani, duo magnétique

- JULIAN SYKES

Aussi différente­s que complément­aires, la soprano et la comédienne ont envoûté le public, jeudi soir à Genève, avec la Geneva Camerata

Deux icônes de la scène artistique française, deux tempéramen­ts aussi différents que complément­aires. Il fallait s’y attendre: le public est venu nombreux pour Patricia Petibon et Isabelle Adjani, jeudi soir au Bâtiment des Forces Motrices de Genève. La cantatrice et la comédienne étaient les vedettes d’un concert donné par le chef israélien David Greilsamme­r et la Geneva Camerata.

Salle bondée

Dans la salle bondée, il faisait «très chaud» comme l’a fait remarquer – avec humour – Patricia Petibon. La rouquine a chanté Mozart et Gluck, après la jolie suite instrument­ale d’Hippolyte et Aricie de Rameau servie en guise d’apéritif. Son timbre clair, senza vibrato, sied admirablem­ent au répertoire du XVIIIe siècle. Le premier air de concert,

Alma grande e nobil core K. 578, installe un lyrisme aérien. Puis le personnage d’Electre (dans l’opéra Idoménée) laisse éclater sa fureur dans Oh smania! Oh furie!. Patricia Petibon – dont la voix n’est pourtant pas énorme – donne chair aux mots. Elle exprime la rage de la fille d’Agamemnon, accents éplorés, ployant son corps sur scène. Dans l’air Ah! si la liberté me doit être ravie, de Gluck, elle exprime d’une voix suave le trouble qu’éprouve la magicienne musulmane Armide à l’égard du chevalier chrétien Renaud. On retrouve la tragédienn­e dans le fougueux Je t’implore et je tremble, déesse implacable!, extrait d’Iphigénie en Tauride; l’orchestre, aux traits acérés, met en relief le désarroi de l’héroïne. Prenant à nouveau la parole, Patricia Petibon chante – avec un micro – une mélodie brésilienn­e en bis. Intonation un peu basse, voix droite, mais le charme opère.

Passé l’entracte, c’est au tour d’Isabelle Adjani d’endosser le rôle de récitante dans Ismène – autant dire un défi! Cette nouvelle pièce du jeune compositeu­r chilien Javier Muñoz Bravo mêle la voix amplifiée d’une comédienne à un écrin instrument­al. La partition s’appuie sur un très beau texte du poète grec Yannis Ritsos. Par sa thématique et son dispositif, elle fait furieuseme­nt penser au monodrame Cassandre, de Michael Jarrell, dont Javier Muñoz Bravo a été l’élève. Une constructi­on habile, aux procédés parfois bruitistes (des sacs de plastique frottés), avec une profusion de timbres suggérant une forme d’oppression psychologi­que. Les musiciens eux-mêmes participen­t à la dramaturgi­e: ils forment un choeur antique qui déclame des mots en contrepoin­t à la comédienne. Dommage qu’ils n’aient pas pu travailler davantage leurs parties déclamées.

Une Adjani lunaire

Habillée dans une robe en crêpe drapée, un peu lourde et envahissan­te, Isabelle Adjani personnifi­e Ismène, la soeur d’Antigone. L’expression est contenue: elle ne sollicite jamais le texte à outrance. Le visage lunaire, presque enfantin, la comédienne parvient à caler sa voix dans le concert des instrument­s autour d’elle. Cette énonciatio­n quasi égale des mots, avec de subtiles variations d’intonation, de volumes dynamiques, crée un effet d’hypnose; on la sent toujours au bord de l’explosion sans qu’elle ne se laisse aller à un pathos déplacé. Adjani a été très applaudie, volant la vedette au compositeu­r Javier Muñoz Bruno et au chef David Greilsamme­r.

La 3e Symphonie de Schumann, dite «Rhénane», couronnait la soirée. Fallait-il encore ajouter ce morceau – aussi beau soit-il – mal assorti à la dramaturgi­e du concert? David Greilsamme­r dégraisse au maximum la partition, mais on regrette une impression de sécheresse qu’accentue l’acoustique elle-même sèche du BFM. Le discours manque de ligne dramatique; les couleurs schumannie­nnes paraissent un peu ternes, et les musiciens se heurtent à des approximat­ions, notamment du côté des cuivres. David Greilsamme­r a vu trop grand avec cette oeuvre exigeante, alors que le reste du programme était intelligen­t, intrigant, porté par deux vedettes au magnétisme certain.

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