Le Temps

La politique et le Grand Bleu

A 37 ans, il s’apprête à reprendre la présidence du PDC genevois. Héritier d’une dynastie de politicien­s, il est aussi un avocat loin des codes traditionn­els de la profession. Un homme de contrastes qui ne craint pas de parler de ses fragilités

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon

Un thème qui lui tient à coeur? «La réduction des inégalités, qu’il ne faut pas laisser à la gauche, dont le simplisme consiste uniquement à rendre les riches moins riches»

Quand on pousse la lourde porte d’une étude d’avocats genevois, sise quai Gustave-Ador avec vue sur le Jet d’eau, on se figure un air d’austère noblesse, des salons capitonnés, des subjonctif­s plus-que-parfait et un homme de loi en costume trois-pièces. Chez Janin Waeber Maitre, sis Gustave-Ador avec vue, etc., Vincent Maitre reçoit en t-shirt et baskets. Sa tenue de combat habituelle, les jours sans audiences.

Serait-ce là une fantaisie singulière, ou le signe d’un changement véritable de style de travail? Seconde option, répond l’avocat de 37 ans et nouveau président du PDC genevois dès le 4 octobre prochain: «Mes associés et moi-même avons envie de travailler différemme­nt, loin des études très codifiées et traditionn­elles, où l’on se tue à la tâche 80 heures par semaine et où l’on perd la proximité avec les clients. Nous préférons gagner moins mais compenser en qualité de vie.» Son regard se perd sur le lac, lui pour qui les flots sont une raison de vivre, tout comme les sommets. Vincent Maitre pratique avec passion le ski de randonnée, ainsi que le windsurf et le surf sur les océans du globe.

«J’ai explosé en plein vol»

Il faut dire que le Grand Bleu l’a tiré, en 2013, des affres du burnout et de la dépression. Il travaillai­t alors dans une étude renommée, «le genre d’étude où l’on rencontrai­t des stars de foot du Real le matin et des capitaines de l’industrie l’après-midi. J’étais surmené, je n’avais peut-être pas les épaules suffisamme­nt larges pour tout supporter, car j’étais aussi chef de groupe au parlement. En 2012, à la veille du vote sur le budget, j’ai explosé en plein vol.» Il quitte l’étude sur le coup de 23 heures, avec une plaidoirie ainsi que des interventi­ons pour le Grand Conseil à préparer pendant la nuit. Crise d’angoisse, palpitatio­ns. Son réveil sonne à cinq heures, il ne l’entend pas. Il émergera plusieurs heures plus tard, «comme prisonnier à l’intérieur de mon corps». Son médecin lui prescrit l’arrêt total.

Mais on ne passe pas aisément de la course trépidante au silence désoeuvré. Au bout d’un mois, l’avocat reprend du service et rechute. C’est de l’autre côté de la Terre qu’il va se relever, en Australie où il passera six mois, voile au vent, écume aux chevilles.

Il est bien là désormais, «même si j’ai constammen­t peur que cela se reproduise. J’essaie de me ménager». Une attitude qu’il a dû apprendre, loin du modèle transmis par son père, feu Jean-Philippe Maitre, ancien conseiller national et conseiller d’Etat. Un père qui aura laissé en héritage un métier, un engagement politique, un parti, des valeurs. Un père et toute une dynastie, puisque sa mère, sa grand-mère et son grand-père étaient aussi des politiques. «Il y avait un côté sacrificie­l chez mon père pour qui seul le travail acharné méritait récompense. Il avait une vie de bénédictin, minutée seize heures par jour, six jours par semaine. Alors que moi, je veux pouvoir vivre mes passions en dehors de mon boulot.»

Vincent Maitre, ou le goût des contrastes. Tel un funambule, cherchant l’équilibre entre la poursuite d’une tradition dans la discipline et le goût pour l’aventure; entre le jeu politique et la recherche d’authentici­té: «Je ne m’explique pas moi-même ces contradict­ions, elles sont sans doute le vestige de mon éducation. J’aspire à la liberté et à la découverte, mais je mène deux carrières qui m’astreignen­t à de nombreuses obligation­s.»

Celle de président du PDC genevois, après le bouillonna­nt Bertrand Buchs, s’annonce exigeante, surtout quand on se revendique de «l’extrême centre», concept plutôt abscons. Vincent Maitre a déjà exprimé sa volonté de dynamiser le parti. Un thème qui lui tient à coeur? «La réduction des inégalités, qu’il ne faut pas laisser à la gauche, dont le simplisme consiste uniquement à rendre les riches moins riches.» Il compte aussi rajeunir le PDC. Il dispose déjà d’un atout coeur en la personne du conseiller administra­tif et conseiller national Guillaume Barazzone, même génération, même progressis­me affiché, même belle gueule, le premier solaire et madré, le second plus ombrageux. «Ce qui nous distingue, c’est le talent politique hors pair dont Guillaume est d’évidence doué.»

«Je ne serai jamais un vieux briscard accroché à son siège»

Vincent Maitre, lui, quittera un jour la politique, ses turbulence­s, ses moments de grâce, ses petites trahisons et ses grandes misères: «Je ne serai jamais un vieux briscard accroché à son siège. En politique, à la foi succède la déception, à la déception la lassitude, à la lassitude l’usure. Je ne m’éternisera­i donc pas.» L’engagement sans les illusions, déjà. S’il est un autre jeune as de la politique qui les aura perdues, à supposer qu’il les ait jamais eues, c’est le conseiller d’Etat en disgrâce Pierre Maudet: «J’ai de l’empathie pour lui, car je trouve ces attaques totalement disproport­ionnées, estime Vincent Maitre. Sa faute n’est objectivem­ent pas dramatique et les circonstan­ces, excusables. Ce qui est sûr, c’est que Genève aurait beaucoup à perdre sans lui.» Et l’avocat de dénoncer dans le même élan les journalist­es «qui se muent en petits procureurs, à coups de soupçons et d’éditoriaux creux», et les députés vindicatif­s, drapés dans leur virginité et oublieux des petits avantages qu’ils reçoivent sans vergogne.

On dirait bien le jeune porte-drapeau du PDC vacciné contre l’ivresse et les faux-semblants du pouvoir, instruit par l’histoire familiale. A son bras, des bouts de ficelles en guise de bracelets, rapportés des quatre coins du monde. Décolorés et éphémères.

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