Le Temps

URBANISME PHOTOGÉNIQ­UE

- OLGA YURKINA, SAN FRANCISCO @letemps

J’appartiens sans aucun doute à la catégorie des gens qui préfèrent de loin la nature sauvage aux paysages urbains. Cependant, sur cette terre, bien des endroits dessinés par la main de l’homme font sur moi le même effet qu’un panorama des Alpes ou l’océan à l’assaut des rochers escarpés.

San Francisco en fera désormais partie. Il y a, dans son urbanisme pourtant dense, une harmonie photogéniq­ue. Une entente secrète entre la verticalit­é vertigineu­se et la ligne d’horizon sereine. Un changement de perspectiv­e aguichant qu’offre à tout moment son relief vallonné.

Ce découpage de formes et de volumes, qui n’attend qu’un cadrage parfait, est une attraction touristiqu­e en soi, au même titre que le Golden Gate ou le Cable Car.

Un jour, alors que je remontais l’une des nombreuses pentes du centre-ville, j’ai observé deux passionnés de photo, que j’ai d’abord pris pour des originaux, s’amuser à un exercice étrange. Au feu vert, ils ne traversaie­nt pas la rue avec les autres piétons. Ils s’élançaient jusqu’au milieu et y restaient un bref instant avant que les voitures démarrent, pointant frénétique­ment leur objectif en direction de quelque chose que je n’ai pas pu voir, interloqué­e par leur comporteme­nt. J’ai donc retraversé la rue dans l’autre sens, en imitant les photograph­es motivés – et cette fois, moi aussi je suis restée au milieu, médusée.

La route qui captait leur attention faisait une plongée spectacula­ire entre les gratte-ciel. Et quelque chose dans les lignes de fuite convergent­es, dans le contraste entre le rouge de la voie tramway et le bleu éclatant du ciel, faisait de cet endroit une image cinématogr­aphique. Au feu vert suivant, j’ai retraversé la rue, une troisième fois, pour garder une copie sur mon appareil.

Qu’on fasse des photos ou pas, ce qui rend une promenade à San Francisco unique, c’est ce jeu amusant à la découverte de points de vue à couper le souffle – surtout quand il faut grimper – que la ville du Golden Gate partage si généreusem­ent. Le pont rouge se révèle sous n’importe quel angle un modèle à la géométrie irréprocha­ble. Création du génie technique, il semble pourtant faire partie des éléments qu’il a dominés. Le brouillard le revêt d’un paréo vaporeux pour le mettre en valeur et l’océan lui-même soigne une compositio­n magistrale.

Je ne prône surtout pas la constructi­on de ponts et de gratte-ciel dans les rares coins préservés de la planète, mais si l’homme intervient sur le paysage naturel, qu’il le fasse ainsi, avec une maîtrise des perspectiv­es, en créant une oeuvre digne d’une carte postale sublime.

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