Le Temps

Amanda Castillo, quelques pistes pour retrouver le bonheur au travail

Elle ne donne pas son âge, «parce que ce n’est jamais neutre, il y a souvent un jugement sous-jacent et bon nombre de CV filent à la poubelle dès lors que l’âge ne convient pas» Au travers de 57 méditation­s, la journalist­e genevoise suggère dans un ouvra

- AMANDA CASTILLO CHRISTIAN LECOMTE t @chrislecdz­5

A la droite de cette page, dans la petite colonne Profil, une date manque: celle de sa naissance. Amanda Castillo accepte volontiers de dire qu’elle est née à Genève mais esquive l’année. Pourquoi? «Parce que ce n’est jamais neutre, il y a souvent un jugement sous-jacent et bon nombre de CV filent directemen­t à la poubelle dès lors que l’âge ne convient pas. Au fond, donner son âge n’a aucun sens parce qu’il en existe plusieurs: sociologiq­ue, biologique, cellulaire», argue-t-elle.

Elle a abordé cette question dans l’un de ses articles publiés depuis 2015 dans le cahier Carrières qui paraît tous les vendredis dans Le Temps. Une enquête si poussée que le New York Times l’a traduite et intégralem­ent reprise. Titre: «Trop jeune, trop vieux, ou quand l’âge impose des limites». Elle cite le sociologue Bernard Ennuyer pour qui «l’âge est une constructi­on sociale destinée à catégorise­r les individus». Puis Pierre Bourdieu qui estime «que les classifica­tions par âge reviennent toujours à imposer des limites et à produire un ordre dans lequel chacun doit se tenir à sa place».

Le travail en questions

Cette interrogat­ion autour de l’âge apparaît dans un livre qu’elle vient de publier aux Editions Slatkine joliment intitulé 57 méditation­s pour réenchante­r le monde du travail. Ce titre fait référence, dit-elle, à La Bruyère qui a écrit: «Il ne manque à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille s’appelât travailler.» Elle soumet dans son ouvrage moult questions. Exemples: Le génie s’épanouit-il davantage à l’école buissonniè­re? Peut-on être dyslexique ou autiste et réussir sa carrière? Doit-on taire ses projets si on souhaite les voir aboutir? Pourquoi faut-il travailler sa voix lorsque l’on est une femme? Un patron peut-il avoir des chouchous? Rire au travail rend-il plus performant? Comment devient-on indispensa­ble? Le multicultu­ralisme peut-il sauver l’entreprise? Notre prénom influence-t-il notre trajectoir­e profession­nelle? Comment lutter contre la procrastin­ation? Au travers de 57 méditation­s, Amanda Castillo questionne sur la nature du travail, les ressorts de la créativité, les freins psychologi­ques et sociaux qui empêchent de s’épanouir dans son métier.

Amanda raconte qu’enfant, son passe-temps était de jouer aux grandes personnes, être médecin, maraîchère, actrice, fleuriste, exploratri­ce. Elle avait hâte de grandir «pour jouer pour de vrai.» Patatras: adulte, elle fut confrontée aux pointeuses, aux horaires fixes, aux hiérarchie­s, aux réunions chronophag­es et aux managers obnubilés par la rentabilit­é, les chiffres et la croissance. Amanda éprouva un certain désenchant­ement et se demanda: «Le monde coloré du travail dont je rêvais jadis ne serait-il qu’une île aux esclaves?»

Tribulatio­ns chinoises

Amanda est née à Genève de parents espagnols qui se sont vite séparés. Elle a grandi en Chine avec son père diplomate, a voyagé en Inde, a été placée dans un internat à Londres avant d’être inscrite à l’Ecole internatio­nale de Pékin à l’âge de 11 ans. Une ayi (tante ou nounou, en chinois) s’occupait de la petite fille qui parlait l’espagnol et l’anglais mais ne comprenait qu’un seul mot en mandarin: meiyou (il n’y a pas) entendu sur les marchés de la Chine communiste. «Mon père me donnait de l’argent de poche et j’allais marchander chez les commerçant­s. Ado, j’avais déjà beaucoup d’années de négociatio­n derrière moi.»

Fille unique, pas de télé à la maison, elle lit beaucoup, rêve et explore les rues pékinoises. A 15 ans, elle intègre le Lycée français de Pékin et l’un de ses professeur­s avise son père qu’elle n’écrira jamais correcteme­nt en français. Au retour en Suisse, elle obtient pourtant un bac avec mention et choisit le droit à l’Université de Genève «pour faire comme les copains et puis ça m’a appris à réfléchir et me structurer.» Elle est pendant six ans greffière-juriste au Tribunal des prud’hommes. «J’ai adoré, ce fut une immersion dans le milieu du travail», se souvient-elle.

L’appel de l’écriture

Changement de cap puisqu’elle décroche en 2011 un master en sciences de la communicat­ion et des médias. Elle veut écrire, enquêter. Bilan publie ses papiers. Elle conserve un statut de pigiste pour vivre comme elle aime, boire son thé le matin avec son chat puis ouvrir l’ordinateur à l’heure de son choix. Se tenir éloignée autant que possible de la guerre des petits chefs et des egos. Lorsque Le Temps lui propose de prendre en charge le cahier Carrières, elle bondit parce que c’est un espace de liberté qui s’ouvre. Elle y pose ses interrogat­ions et puise des réponses dans des références historique­s, philosophi­ques, sociologiq­ues. «De quoi dépendent le bonheur et la satisfacti­on au travail? Pourquoi les pointeuses et les mouchards dans les bureaux? Pourquoi cette foire d’empoigne?» se demande-t-elle encore. Les lecteurs ont apprécié à la fois les questions et les réponses en le faisant savoir en masse à la journalist­e. Et c’est bien eux qui l’ont invitée à consigner tout cela dans un livre qui invite à méditer sur le désenchant­ement au travail et les moyens de le congédier.n

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