Les juges étrangers cachent des rivalités électorales
L’autodétermination et la souveraineté sont les enjeux officiels de l’initiative de l’UDC. Mais, à un an des élections fédérales, le scrutin du 25 novembre sera un jalon majeur de la campagne à venir
L’autodétermination et la souveraineté sont les enjeux officiels de l’initiative de l’UDC. Mais, à un an des élections fédérales, le scrutin du 25 novembre sera un jalon majeur de la campagne à venir. Donner la priorité au droit suisse sur le droit international? Au-delà des enjeux électoraux, l’initiative pose des questions fondamentales au peuple suisse. Décryptage en quatre chapitres.
Annoncée en perte de vitesse dans deux sondages sur trois (le recul est estimé entre 1,4 et 2 points), l'UDC compte sur l'initiative sur l'autodétermination pour doper son moral à un an des élections fédérales. A l'inverse, tous les autres camps politiques, la société civile et les milieux économiques espèrent infliger au parti nationaliste la défaite la plus cuisante possible afin de l'affaiblir. Le vote du 25 novembre ne sera peut-être pas la mère de toutes les batailles, mais il sera un jalon majeur de la campagne électorale à venir.
Le combat contre les juges étrangers, matérialisé par ce projet d'article constitutionnel, est l'un des points d'ancrage de la stratégie électorale de l'UDC, qui s'accompagne d'un calendrier minuté avec une précision toute stratégique. «L'initiative a été lancée en 2015, juste avant les dernières élections fédérales, afin de donner à l'UDC une meilleure visibilité. Le parti aurait voulu, j'en suis convaincu, que le vote ait lieu en 2019, soit juste avant les prochaines. On voit bien la tactique», résume le conseiller aux Etats Beat Vonlanthen (PDC/ FR), farouche adversaire de cette initiative.
La date la plus éloignée possible
Le Conseil fédéral et le parlement ont senti le profit que l'UDC espérait retirer d'une campagne sur les juges étrangers qui occuperait les mois précédant le prochain renouvellement des Chambres fédérales. Le vote final du parlement ayant eu lieu le 15 juin 2018, le scrutin a été fixé à la date la plus éloignée possible des élections: le 25 novembre 2018. Cela n'enlève rien au fait que l'on va vivre «une campagne comme on n'en a pas vu depuis longtemps», pressent le politologue Georg Lutz, de l'Université de Lausanne. «Il est crucial pour l'UDC de rester leader sur le thème de la souveraineté. Une défaite à plus de 60% effriterait son pouvoir sur un sujet central pour elle», reprend-il.
Un scrutin crucial pour l'UDC? «C'est une votation très importante pour le pays, moins pour le parti. L'autodétermination est un enjeu essentiel pour la Suisse, car c'est la démocratie directe qui est en jeu», répond son président, Albert Rösti. Cet argument fait sourire ses adversaires. Ancien président du PLR, Philipp Müller reste bouche bée quand il entend cela: «L'UDC évoque toujours la démocratie directe, qui ne serait préservée que si l'on vote oui à l'initiative sur l'autodétermination. Cela signifie qu'elle n'existerait pas aujourd'hui? Ce n'est pas sérieux. La démocratie directe se porte très bien», réplique-t-il.
Cette initiative n'a-t-elle vraiment pas pour but de doper l'UDC? «Ce sont les autres qui veulent profiter de cette campagne pour affaiblir le plus grand parti du pays. Tout cela est tactique. Ils espèrent que nous perdrons, car ils savent que notre initiative fera barrage à un accordcadre institutionnel, qui sera un enjeu encore plus important pour la Suisse. Or, à chaque fois, c'est l'UDC contre le reste de l'élite politique et économique, c'est David contre Goliath», commente Albert Rösti. «Cette initiative n'est pas en premier lieu pour le parti. D'autres ont été plus importantes: celles sur l'immigration et l'expulsion des étrangers criminels nous ont vraiment permis de progresser», ajoute-t-il.
Rampe de lancement
La volonté de terrasser l'UDC est bien réelle dans les têtes pensantes de ce qu'Albert Rösti qualifie d'«élite politique et économique». On assiste à une mobilisation quasiment sans précédent, qui est aussi motivée par le double jeu que ce parti joue constamment. Depuis 2015, il compte deux conseillers fédéraux certifiés conformes à sa ligne. Cela ne l'empêche nullement de continuer à lancer des initiatives. «L'UDC mène toujours une politique d'opposition. Elle n'a toujours pas compris que, en tant que plus grande force politique du pays, elle doit prendre sa part de responsabilité», critique la présidente du PLR, Petra Gössi. «Le PDC et le PLR ont un intérêt clair à infliger à l'UDC une défaite le 25 novembre, car ils sont directement concurrents», analyse Georg Lutz.
Au-delà de la rivalité électorale, l'initiative sur les juges étrangers sert de rampe de lancement en vue d'autres votations à venir, sur l'abolition de la libre circulation – une autre initiative estampillée UDC – et, surtout, sur l'accord-cadre. «Si nous voulons gagner le plus nettement possible le 25 novembre, c'est pour préparer la suite et empêcher l'UDC de continuer à claironner que, lors des votations, elle obtient des résultats supérieurs à ses parts électorales», confie un proche du comité d'opposition. Les enjeux du 25 novembre vont ainsi bien au-delà des jugements de la Cour européenne des droits de l'homme ou des arbitrages internationaux.
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