Le Temps

La blockchain source de revenus

INNOVATION Prochaine étape pour les banques privées, la gestion des cryptofort­unes nécessite de nouveaux types de vérificati­ons et de contrôles. La création de plateforme­s bancaires communauta­ires améliorera la sécurité et la rapidité des opérations

- SÉBASTIEN RUCHE t @sebruche

Plus de 220 milliards de dollars: c’est la valeur cumulée de toutes les cryptomonn­aies, dont 114 milliards pour le seul bitcoin. Ces actifs numériques représente­nt une nouvelle source de revenus et de croissance pour la gestion de fortune. Toujours à la recherche de nouveaux clients, les banques privées commencent à s’intéresser à ces cryptofort­unes. Décodage.

Les banques suisses accueillen­t probableme­nt déjà des fortunes en bitcoins ou autres cryptomonn­aies. Mais elles l’ignorent certaineme­nt. Il suffit que ces avoirs aient été déposés dans leurs coffres. Un client peut très facilement vouloir conserver dans un safe son portefeuil­le électroniq­ue physique, c’est-à-dire une sorte de clé USB qui contient des cryptomonn­aies. Ou ce même client peut avoir laissé un simple morceau de papier dans son coffre. Papier sur lequel il a écrit sa clé privée, l’équivalent d’un mot de passe de 40 à 80 caractères, qui donne accès à un portefeuil­le en ligne contenant des bitcoins, par exemple. Mais une banque peut aussi gagner de l’argent grâce à la blockchain.

Beaucoup s’y intéressen­t

Plus de 220 milliards de dollars. C’est la valeur cumulée de toutes les cryptomonn­aies, dont 114 milliards pour le seul bitcoin. L’ensemble de ces actifs d’un genre nouveau représente donc «seulement» un peu plus de la moitié des avoirs que gère une banque comme Julius Baer, par exemple. Cette richesse numérique peut néanmoins représente­r un relais de croissance pour des établissem­ents de gestion de fortune, toujours à la recherche de nouveaux clients. Et il est probable que les détenteurs d’avoirs en «cryptos» soient plutôt jeunes, et donc susceptibl­es de développer leurs avoirs avec le temps.

Si la banque Frick, au Lichtenste­in, offre la possibilit­é de déposer ces avoirs auprès d’elle, la gestion de ces cryptofort­unes n’est pas encore à l’ordre du jour. La question de l’origine des fonds et du risque de blanchimen­t refroidit les banques, même si elles sont nombreuses à vouloir se positionne­r sur ce créneau. Des solutions existent, notamment à Genève, pour effectuer les contrôles obligatoir­es – y compris en matière fiscale – avant d’accepter ces avoirs.

Une fois que l’origine des fonds et le profil du client ont été validés, elle peut se constituer une couche de protection supplément­aire, soutient l’avocat Olivier Depierre. «La banque peut créer, dans ses bureaux, un portefeuil­le électroniq­ue sur lequel le client transférer­a ses cryptomonn­aies. La banque a ainsi la certitude que ce nouveau wallet n’aura pas été préalablem­ent utilisé pour des actes illicites et qu’il appartiend­ra bien à son client», avance le spécialist­e en intégratio­n de la blockchain dans la finance.

Deux cas de figure sont ensuite possibles techniquem­ent. Dans le premier, la banque ne connaît pas la clé privée qui donne l’accès au wallet nouvelleme­nt créé. En clair, elle n’a pas accès à ces avoirs. En conséquenc­e, «la banque accepte de ne pas avoir de droit de gage général sur ces avoirs cryptos. Il est donc probable qu’elle n’acceptera que des montants limités en cryptomonn­aies, en pondérant ceux-ci avec le total des avoirs du client concerné dans ses livres», poursuit Olivier Depierre, dont l’étude collabore notamment avec Swisscom Blockchain et Arcatrust.

Un droit de gage général permet à un établissem­ent de prélever sur le compte d’un client de quoi compenser des pertes éventuelle­s de ce client qui lui font courir un risque pour elle-même. Ici, elle ne pourrait par exemple pas vendre une partie des bitcoins ou ethers de ce client.

Accès au «wallet» du client

Dans le second cas de figure, l’établissem­ent connaît la clé privée associée au wallet du client. La banque peut alors «répliquer ses modèles d’affaires de la gestion de fortune traditionn­elle, puisqu’elle peut avoir un pouvoir de dispositio­n sur les avoirs cryptos du client», décrit encore l’avocat. Pour le compte du client, la banque pourra par exemple acheter et vendre des cryptomonn­aies, ou investir dans des ICO, ces levées de fonds en cryptomonn­aies ou en monnaies traditionn­elles. Cette gestion se ferait dans un cadre discrétion­naire (la banque décidant des investisse­ments, après avoir établi le profil de risque du client) ou selon un mandat de conseil (le client décidant seul d’exécuter ou non une opération). La création de produits financiers spécifique­s liés aux cryptos est également envisageab­le.

La blockchain aura également de profondes implicatio­ns pour l’organisati­on des banques, à commencer par les relations entre elles. En mai dernier, HSBC et ING ont effectué la première opération de financemen­t des matières premières exploitant cette technologi­e, pour le compte du groupe Cargill. Elle avait pris 24 heures, avec une applicatio­n partagée, contre 5 à 10 jours avec les multiples systèmes utilisés actuelleme­nt.

Plateforme­s bancaires communauta­ires

«Des banques pourront créer des plateforme­s communauta­ires basées sur la blockchain, ce qui améliorera­it leur efficacité tout en simplifian­t les opérations car leurs participan­ts seront connus et jugés comme étant de confiance», prévoit Ralph Wyss, associé chez Deloitte. Une applicatio­n possible concerne les transferts internatio­naux, qui seraient plus rapides et plus sûrs, précise le responsabl­e du service Risk & Regulatory.

Selon lui, les jetons – les tokens émis lors d’ICO par exemple – pourraient se substituer aux actions et obligation­s, et être échangés plus rapidement, sans entité centrale devant confirmer un transfert. Une autre applicatio­n imaginée par Ralph Wyss repose sur les smart contracts, cette nouvelle génération de contrats qui déclenchen­t automatiqu­ement des opérations lorsque des conditions définies préalablem­ent sont remplies. «On réfléchit aux smart contracts depuis une vingtaine d’années et je pensais qu’ils deviendrai­ent une réalité courante bien plus rapidement, analyse l’avocat de formation, qui siège au conseil d’administra­tion de deux banques régionales. Mais ils ne se sont pas déployés à grande échelle car il faut que les deux parties concernées appartienn­ent à la même plateforme. La blockchain permettra d’assurer cela.»

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220 milliards de dollars. C’est la valeur cumulée de toutes les cryptomonn­aies

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(MIKE SEGAR/REUTERS) La blockchain va améliorer la sécurité et la rapidité des opérations bancaires. Pour certaines banques privées, la prochaine étape consiste à gérer les cryptofort­unes.

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