Le Temps

UBS a choisi une stratégie offensive face à la France

- SÉBASTIEN RUCHE t @sebruche

Accusée de blanchimen­t, la banque affronte les juges français dès ce lundi. Contrairem­ent à l’option choisie par les établissem­ents suisses ces dernières années, elle n’a pas suivi la voie d’un accord extra-financier

Le procès UBS s'ouvre ce lundi devant le Tribunal correction­nel de Paris. La banque suisse est poursuivie pour blanchimen­t de fraude fiscale, démarchage illicite, tandis que sa filiale française est accusée de complicité. Il est extrêmemen­t rare qu'une banque suisse se retrouve dans une telle position. Les nombreux établissem­ents ayant eu affaire à la justice de divers pays ces dernières années ont toujours préféré – quand ils ont pu – payer une amende et tourner la page. Pourquoi UBS a-t-elle choisi de se défendre devant les juges?

Les détails croustilla­nts de cette affaire UBS sont bien connus. Il est reproché à des gérants d'UBS Suisse d'avoir été actifs dans l'Hexagone entre 2004 et 2012. Des tournois de golf ou de tennis étaient l'occasion de rencontrer des clients et des prospects, à qui il était proposé d'ouvrir des comptes en Suisse, selon le parquet national financier, créé en France suite à l'affaire Cahuzac, fin 2013. Le dossier s'appuie notamment sur le témoignage d'une ancienne employée d'UBS en France, Stéphanie Gibaud, et sur l'existence des fameux «carnets de lait», qui permettaie­nt de calculer discrèteme­nt les bonus des collaborat­eurs impliqués. Pour les autorités françaises, ces preuves accablante­s justifient la caution de 1,1 milliard d'euros (1,25 milliard de francs) payée par la banque à l'automne 2014 et la perspectiv­e d'une amende pouvant atteindre 5 milliards, selon Paris.

Amende honorable

De son côté, UBS a opté pour une communicat­ion parfois offensive dans ce dossier, depuis sa mise en examen en 2013 et 2014. La banque a, par exemple, réfuté des fuites dans la presse tricolore. Une stratégie originale par rapport aux autres établissem­ents suisses tombés dans les filets de la justice ces dernières années, de chaque côté de l'Atlantique.

En mars 2009, le directeur de la gestion de fortune privée d'UBS, Mark Branson (aujourd'hui directeur de la Finma, le gendarme des marchés), avait exprimé les regrets de la banque devant le Congrès américain, pour avoir aidé 20000 contribuab­les américains à frauder le fisc. UBS avait reçu une amende de 780 millions de dollars. Cinq ans plus tard, c'était au tour du directeur général de Credit Suisse, Brady Dougan, de faire amende honorable à Washington. Et à la deuxième banque du pays de payer 2,5 milliards de francs.

Entre 2013 et 2016, les Etats-Unis ont ouvert un programme de régularisa­tion des clients américains pour les banques suisses, qui permettait à ces dernières d'annoncer le nombre de clients US qu'elles avaient eu après 2008. Près de 80 d'entre elles ont choisi de payer pour éviter des poursuites, avec des amendes individuel­les allant jusqu'à 211 millions de dollars (et pour un total dépassant 1,3 milliard). La logique: mieux vaut un accord négocié qu'un procès à l'issue incertaine.

Collaborer pour payer moins

Basée à Genève, HSBC Private Bank fournit un exemple plus récent. Prise dans le scandale Swissleaks, la banque s'était vu infliger une caution d'un milliard d'euros, ramenée à 100 millions en appel. Elle s'en tirera finalement avec une amende de 350 millions de francs. Seulement, est-on tenté d'écrire, tant les autorités françaises paraissaie­nt en position de force grâce aux données bancaires volées par Hervé Falciani. Le décalage entre les deux montants s'explique par la collaborat­ion de la banque, avait résumé dans nos colonnes le directeur général de HSBC PB, Franco Morra.

En clair, la banque a passé en revue, avec les autorités françaises, toutes les données volées par l'ancien informatic­ien et expliqué, quand c'était possible, pourquoi tel ou tel cas ne constituai­t pas de la fraude fiscale. Ce qui a permis de réduire le nombre de dossiers illégaux, et donc l'amende. C'est aussi à cette période que le groupe HSBC avait annoncé envisager de délocalise­r

Ces dernières années, les banques suisses ont préféré payer des milliards d’amende, pour éviter un procès. Pas UBS dans le dossier français

des postes de travail de Londres vers Paris, suite au Brexit.

Dans le dossier qui occupera le tribunal parisien dès ce lundi, UBS n'aura pas le loisir d'écarter des données bancaires. Tout donne à penser que la France n'en possède pas qui soient directemen­t liées aux agissement­s reprochés à la banque dans l'Hexagone. Aucune informatio­n de ce type n'a filtré dans la presse française. Les enquêteurs ont pu établir que des gérants suisses étaient venus en France rencontrer des grandes fortunes. Mais UBS semble faire le pari que l'accusation ne pourra pas démontrer que des affaires interdites ont été conclues durant ces occasions.

Jusqu’à 5 milliards d’amende

Les enjeux sont élevés: UBS encourt une amende pouvant atteindre la moitié des fonds blanchis, prévoit le Code pénal français. Soit 5 milliards d'euros, selon la justice tricolore, qui estime que les avoirs non déclarés liés à ce dossier s'élèvent à 10 milliards.

Un autre pan de la stratégie d'UBS consiste à se battre sur tous les points. La filiale française a demandé à se faire reconnaîtr­e en tant que partie civile dans ce procès (la Cour de cassation doit encore se prononcer). Le groupe s'est aussi activé dans d'autres dossiers qui pourraient influencer l'affaire parisienne. En début d'année, il s'est opposé à une demande d'entraide administra­tive déposée par la France, sur la base de données bancaires saisies dans les bureaux d'UBS en Allemagne. Car il craignait que ces informatio­ns ne soient utilisées dans le procès qui s'ouvre ce lundi. Le dossier a été porté devant le Tribunal fédéral par le fisc fédéral.

Le bras de fer entre Paris et UBS peut aussi se lire comme la préparatio­n à un accord extrajudic­iaire, chaque partie tentant de gagner du terrain sur son adversaire. Aucun accord n'a été trouvé, malgré des tractation­s autour d'une somme inférieure à 500 millions d'euros, selon nos informatio­ns.

Raoul Weil est impliqué

Il est trop tard pour qu'une convention d'intérêt public soit conclue, car la loi Sapin II prévoit qu'elle doit l'être avant le dépôt de l'ordonnance de renvoi (finalement signée le 17 mars 2017 par les juges d'instructio­n Serge Tournaire et Guillaume Daieff ). A moins que ce texte doive être rédigé à nouveau, car des éléments apparus récemment l'auraient rendu caduc. L'ordonnance mentionne, par exemple, que l'ancien numéro 2 d'UBS France, Patrick de Fayet, serait jugé via une procédure de plaider-coupable. Or celle-ci a été refusée et l'ordonnance de renvoi avait déjà été déposée.

Outre Patrick de Fayet, cinq autres anciens employés d'UBS ont été convoqués par la justice française pour le procès de ce lundi. Dont l'ancien numéro 3 du groupe à l'époque des faits, Raoul Weil. L'un des rares banquiers suisses à avoir affronté la justice américaine, en novembre 2014. Il en était ressorti blanchi. UBS France gère 17 milliards d'euros d'avoirs, selon son dernier rapport annuel.

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